Dovik Laraker est un ténor segatier. Un buveur de rhum invétéré, joyeux sous la boutique mais colérique et méchant avec les siens et sans pitié pour la veuve et l’orpheline, Tigann. À 28 ans, Brendon Jacquette est à l’opposé de son personnage Ton Dovik qu’il a interprété récemment dans la comédie musicale jouée il y a quelques semaines au Caudan Arts Centre.
“Je suis très peace and love. J’ai l’air d’une armoire à glace, mais j’ai bon coeur.” Ce qu’il aime c’est rire et faire rire les autres. “Je connais l’importance d’avoir des moments agréables et joyeux. Chose que je n’ai malheureusement pas toujours eue dans ma vie.”
Sur la scène, pour devenir son personnage, il a puisé dans son histoire. Son enfance a été marquée par la violence qu’imposait son père à sa famille et par la pauvreté. Dès ses 11 ans, il cumulait différents boulots travaillant à l’hôtel, dans le catering, chez des particuliers à faire le ménage, la vaisselle, le lavage de voitures, le repassage, afin d’avoir de argent de poche pour être en mesure de s’acheter son matériel scolaire : “Mes parents n’étaient pas en mesure de me donner des choses. Avec tous les problèmes je me sentais mis à côté.”
C‘était aussi une manière d’avoir un peu de “valeur” vis-à-vis des autres enfants de son âge : “Je ne bénéficiai pas de même choses qu’eux. Kot mua ti gagn bate.”
Un jour de Noël, après une énième dispute où sa mère avait pris des coups, Brendon Jacquette avait marché avec elle de Solitude à Triolet pour qu’elle aille voir les autorités.
Mais elle se rétracta à la fin : “J’étais vraiment en colère. Quand j’ai demandé à maman de signer les papiers, son regard a changé et j’ai vu dans ses yeux qu’elle ne voulait pas. Je pense qu’elle pensait d’abord à nous ses enfants mais aussi à ce que les gens auraient dire. J’ai pris mes affaires et j’ai décidé d’aller habiter chez ma grand-mère.”
Yolande Jacquette, sa grand-mère paternelle devint ainsi son sauveur. Il trouva aussi le courage d’affronter son père : “Je l’ai défié et je lui ai bien fait comprendre que ça devait s’arrêter. Il a réalisé que j’avais grandi et que je n’allais pas hésité à défendre ma mère et mes soeurs. Li ti fass a enn zom.”
Pour Tigann, il avait accepté le rôle de Dovic sans trop y prêter attention. “Quand Ashish Beesoondial a expliqué les personnages j’ai eu un choc. Je me suis demandé si j’avais la force de replonger dedans”. Dans sa tête il revoyait son père et les scènes vécues durant son enfance et adolescence. Mais il n’en parla pas aux autres comédiens : “Je me suis renfermé, et j’avoue que je ne me donnais pas à 100% dans le rôle pour éviter de faire remonter ses chapitres de ma vie.”
Ce n’est qu’à l’approche des représentations qu’il a commencé à déballer ce qu’il avait sur le coeur. D’autant que lors des scènes avec Mama (Nikita) ou Tante Fifi, sa femme : “Dovik se enn zom ki maltret ek denigre dimoun. Le fait de devoir lever ma main sur la maman de Tigann était très intense et une grande souffrance pour moi. Je n’arrivais pas à faire ce geste-là, c’était un supplice.”
Brendon Jacquette parvint à donner du volume à son personnage: “Mo ti pe bwi. Les souffrances sont remontées à la surface. Ma colère c’était ma façon de faire réagir les femmes, pour leur dire de se défendre. Pou ki konpran ki zot ena zot valer. Pour qu’elles disent stop et qu’elles ne soient pas des sacs poubelles à encaisser des coups.”
Phase sombre.
Issu d’une famille modeste Brendon Jacquette avait beaucoup pris sur ses épaules : “Brendon n’existait pas. J’étais le counsellor de la famille, la police de la famille, le docteur de la famille, un peu le souffre-douleur aussi. Tou zafer ti tom lor mwa.”
Bénéficiaire de Caritas de Solitude, il y passait pratiquement toutes ses journées. Puis après avoir aussi rejoint une chorale d’enfants, il s’est retrouvé à l’âge de 15 ans à accompagner des musiciens de Pointe aux Piments pour des prestations dans les hôtels.
Parallèlement Brendon Jacquette a commencé à suivre thérapies et des cours de formations chez Caritas pour être en mesure de se retrouver et pour s’engager dans une carrière professionnelle dans le social : “Je m’occupais des autres et je m’avais complètement oublié.” Il ne cache pas être passé par des phases de dépressions et de pensées suicidaires.
Puis, la chance finira par le sourire. C’était lors d’une soirée où il travaillait comme serveur chez la famille Leclézio. Dean Nookadu jouait sur un grand piano blanc. À un moment l’hôte demanda à l’assistance qui savait chanter. Comme ses collègues du catering connaissait son talent, ils l’ont poussé à interpréter un morceau :“Mwa ki ti ena mo la farinn lor mwa ek ki ti pe servi manze monn retrouv mwa devant tou sa ban invite la pou santé.” Il interpréta You raise me up.
À la fin de son interprétation, tout le monde était silencieux et M. Leclézio s’empressa de prendre son nom et numéro de téléphone. Un mois après, il reçut effectivement un appel pour lui informer qu’il avait rendez-vous pour une audition à Opera Mauritius avec Paul Olsen et Véronique Zuel-Bungaroo. “Je n’avais jamais entendu parlé de ses personnes. Là seule chose que j’avais retenu de la conversation c’était opéra, car depuis petit j’adorais regardé les opéras à la télévision et faire pareil.”
Aussitôt la soprano l’a pris son aile : “lamisik vreman inn tir mwa dan la bez.” Voilà six ans depuis que Brendon Jacquette suit des cours de chant avec elle et peaufine sa voix de ténor.
Style pluriel.
Il avait aussi pris des cours avec Linzy Bacbotte et faisait partie de sa chorale: “J’ai eu énormément d’expérience scénique avec Linzy et l’occasion de faire des choeurs pour de nombreux artistes locaux mais avec Véronique c’est un travail d’intérieur. Elle m’a fait connaitre ma voix. C’était comme une bénédiction, car j’avais fait plusieurs styles de musique reggae, seggae, ragga, et je me suis retrouvé dans celui de l’opéra. Un bagage supplémentaire dans mon parcours.”
Même si le jeune homme avoue ne s’être jamais imaginé évoluer dans le chant, il a fini par comprendre son potentiel. Sa première prestation en solo d’opéra art lyrique s’est passé à la State House pour l’ancienne-présidente Ameenah Gurib-Fakim.
“J’en ai fait plusieurs autres représentations, des opéras (La Veuve Joyeuse) et des concerts. Tout cela grâce à Véronique. Mo kuma so garson. Qui aurait pu prédire qu’un enfant issu d’un milieu si modeste allait se retrouver dans un milieu différent? Dans ma misère noire, j’ai eu beaucoup de chances et des portes se sont ouvertes pour moi.”
Tout en continuant son apprentissage de la musique, Brendon Jacquette travaille pour Caritas Lakaz Espwar comme coordinateur activités pour les jeunes, et au fur et à mesure qu’il poursuit ses cours en counselling et psychologie, il prend très à coeur de s’occuper des groupes de paroles avec les jeunes.
“C’est important pour moi d’être l’écoute des jeunes, qui malheureusement sont des drogués, mais veulent s’en sortir. Nous avons tous une force intérieure, peu importe les problèmes, et personne ne peut toucher à nos valeurs », conclut-il en ayant hâte de retrouver la scène du Caudan Arts Centre pour reprendre son rôle de Ton Dovik le 9 et 10 septembre.