Meera Mohun, celle que ses fans surnommaient la Lata Mangeshkar de Maurice , s’en est allée rejoindre son idole, ce mercredi matin. La nouvelle a pris plus d’un par surprise. Mais celui qui a été le plus affecté est certainement Gérard Louis, son producteur. Celui qui l’a prise sous ses ailes il y a plusieurs années déjà. Et ces deux-là ne partageaient pas qu’une amitié artistique. Leur lien était fusionnel, qualifiera Gérard Louis.
« C’est une grande dame qui s’en est allée…», parvient difficilement à dire Gérard Louis. Il était au chevet de Meera Mohun dans les derniers moments de celle-ci. Tout comme il a été à ses côtés, « pendant très longtemps : nou pa ti zis artis. Nou lien, nou latasman al bien plis ki sa… Plis ki enn ser ek enn frer.»
Cette relation fusionnelle démarre et se cultive dans les rues de Tranquebar, dans la périphérie de Port-Louis, où Meera Mohun et Gérard Louis ont tous les deux vu le jour : « Monn pas tou mo letan kot Meera ! Tou mo letan ti pe fini kot li.» Puis, la vie séparera les deux momentanément.
La grande majorité des Mauriciens ont découvert Meera Mohun via les émissions télé de la MBC dans les années 70 et 80. Les compétitions de chansons qui étaient, à cette époque, légion, et les émissions radio-crochet ont fait émerger une foule de talents locaux. Meera Mohun s’est très rapidement distinguée et s’est démarquée du lot.
Une chanson fétiche qui lui est restée scotchée est Ajeeb dastaan hai yeh de son idole, Lata Mangeshkar, qu’elle reprenait fréquemment, lors des émissions télé ou d’autres plateaux Live où elle était souvent invitée. Son timbre mélodieux et chaleureux, la grâce naturelle que dégageait sa voix, cette réserve et cette élégance – rares de nos jours, en effet – la portaient partout où elle se rendait, et faisaient de Meera Mohun une artiste hors pair.
Pourtant, celle qui a ravi les cœurs unanimement avec son duo inoubliable avec le Réunionnais Dominique Barret, « Mon cœur épris », est loin d’avoir eu une vie au long fleuve tranquille. Ce qui avait poussé son ami et complice de toujours, Gérard Louis, à le prendre sous son aile quand il passe de musicien, chanteur et compositeur, un des fondateurs de Cassiya, à producteur .
« C’était naturel pour moi que je la prenne sous mon aile ! On n’était pas que des artistes. Oui, j’écrivais pour elle, elle mettait les mots en hindi, on composait ensemble… Mais nous avons vécu tant de choses fortes, au-delà de notre passion artistique qui nous unissait, bien sûr. Nous avons une foule de souvenirs de gamins. D’ailleurs, même l’an dernier pour son anniversaire, en septembre, elle me taquinait encore… Comme si on était toujours des gosses !» ajoute-t-il.
Des années durant, Meera Mohun avait persévéré mais avait connu une traversée du désert très rude. Son amour pour la bonne musique et les mélodies qui ont ponctué sa vie devinrent son refuge face aux nombreux obstacles. De même, elle se ressourçait dans les livres, surtout ceux à caractère spirituel, dont elle était entourée en permanence. Ceux qui la connaissent de la première heure se souviennent qu’elle tenait la Nalanda Bookshop de la rue Bourbon, une entreprise familiale, dans les années 80 et 90.
Puis, elle lança, dans les années 2000, sa propre librairie. Meera Mohun fut également présidente de la MASA (Mauritius Society of Authors) de 2012 à 2014; autre expérience douloureuse.
Sous la férule de Gérard Louis, elle fut amenée à se frotter à des registres différents. « Li ti extra kontan al a la dekouvert bann lezot…», se souvient Gérard Louis. Outre le duo avec Dominique Barret, on doit à cette grande dame discrète des collaborations avec Negro Pou Lavi ainsi que Sandra Mayotte.
Meera Mohun chantait également en bhojpuri et tutoyait là encore de multiples registres. Artiste plurielle, elle avait participé au Traditionnal Odyssey en 1992.
Pas plus tard que ce lundi 14 mars, « on évoquait ensemble ce projet qui lui tenait très à cœur, explique Gérard Louis, la voix étouffant difficilement ses sanglots. C’était un concert hommage à Lata Mangeshkar: Meera était très enthousiaste et ce projet la rendait très heureuse. L’idée de reprendre la chanson la comblait.
« Puis, mardi, aux alentours de 17h, elle m’a appelé pour me dire qu’elle ne se sentait pas bien. Je lui ai conseillé de se rendre à la City Clinic, où je me suis rendu, également, peu de temps après. Puis, l’inévitable s’est produit », confie Gérard Louis.
Dévasté, le producteur admet : «Je n’arrive toujours pas à me faire à l’idée qu’elle ne soit plus là.»
Aux artistes locaux, Gérard Louis conseille que « tous retiennent d’elle sa grande humilité, sa simplicité de tous les temps. Nou ena boukou pou aprann ar Meera. Cette grande dame n’a jamais eu une once d’arrogance. Elle avait un potentiel immense et du talent à en revendre. Mais jamais, au grand jamais, elle ne prenait des airs ni ne donnait des leçons. Ou se la jouait la grande diva… Pourtant, elle aurait pu !»