La communauté des planteurs mise à rude épreuve avec une sérieuse menace sur la sécurité alimentaire du pays
En proie à des difficultés depuis les fortes rafales et l’excédent d’eau de l’intense cyclone tropical Batsirai et également d’Emnati, la communauté des planteurs doit subir un tout autre calvaire : celui de la hausse vertigineuse du prix des engrais ; En tout cas, une menace certaine et sérieuse pour la production agricole locale.
Avec la guerre en Ukraine, les cours mondiaux des matières premières des engrais sont en forte hausse et la situation se détériorera dans les semaines à venir, selon les spécialistes du secteur à Maurice, surtout si la guerre perdure. Le coût des composantes entrant dans la fabrication des engrais connaît une augmentation sans précédent, provoquée par les conflits géopolitiques, mais aussi la hausse du fret.
Un producteur d’engrais local parle de hausse de prix variant entre 80 et 150% depuis 2021… Contacté par Le-Mauricien, un autre producteur affirme de son côté que « c’est inquiétant surtout que Maurice doit tendre vers sa sécurité alimentaire. Et il y va encore des augmentations, c’est phénoménal, je ne sais pas comment les planteurs vont faire face à cette situation, surtout les petits… Savez-vous que le sac de 25 kilos qui coûtait entre Rs 500 et Rs 600, nous coûte aujourd’hui entre Rs 750 et Rs 1500. C’est dramatique pour le secteur agricole, c’est sûr ».
Il y a une combinaison des facteurs exogènes qui font flamber les coûts des engrais, à commencer par la guerre, mais aussi le fret maritime et le changement climatique. Cette escalade de prix met en danger la production de légumes localement. « La situation est vraiment sérieuse pour les planteurs. Les plus gros planteurs et ceux engagés avec partenaires au niveau de la chaîne de distribution, pourront absorber dans une certaine mesure cette flambée de prix, mais pour les petits planteurs indépendants qui n’ont pas de chaîne de distribution, ce sera beaucoup plus compliqué surtout après les dégâts de deux gros cyclones », explique le responsable d’une entreprise spécialisée dans les engrais.
Agriculture à l’ancienne
Des spécialistes du secteur agricole estiment que le pays aurait dû revoir sa stratégie qu’ils jugent dépassée , surtout dans un contexte post-Covid : « Il y a un manque de vision, un manque de main-d’œuvre, un manque d’innovation et un manque de technologies agricoles modernes. On persiste avec une agriculture à l’ancienne pour les légumes. Notre sécurité alimentaire est plus que jamais menacée, exacerbée par notre insularité », s’indigne-t-on.
Chez Desbro Trading, engagée dans la production d’engrais, le Marketing Manager, Patrick Desmarais, ne cache pas son inquiétude au sujet de la hausse de prix mais aussi sur les difficultés d’approvisionnement. « Il y a de grosses incertitudes dans le secteur sur la possibilité de fournir toute une gamme de produits complète à la communauté des planteurs. Chez Desbro, nous sommes en permanence à l’écoute de nos revendeurs et de tous planteurs et nous faisons de notre mieux pour essayer de garder un stock important afin de pouvoir répondre à la demande. »
Patrick Desmarais insiste que dans la conjoncture il faut aider les planteurs qui sont confrontés à de gros soucis, surtout les planteurs de plein champ, car les prix continuent de grimper… « Ils ne sauront pas comment faire pour vendre leurs légumes à beaucoup plus cher. Et à ce jour, nous n’avons pas de solution à ce problème », dit-il. Même s’il faut préciser que la Mauritius Cane Industry Authority a déjà apporté son aide aux petits planteurs enregistrés en finançant une partie des frais des engrais.
À ce jour, le consommateur ne pourra que faire les frais de la hausse de prix des intrants agricoles qui va grimper rapidement dans les court et moyen termes, avec comme résultat – une augmentation des prix des légumes.
La STC « à la mode »
Des observateurs renvoient la balle dans le camp des compagnies privées, qui malgré leurs efforts pour industrialiser le secteur agricole, devraient aussi « laisser la place aux petits planteurs en les encadrant et en les aidant dans une transition vers une agriculture moderne et soutenable. L’agriculture moderne se fait avec très peu d’eau, très peu de fertilisants, pas de pesticides, et dans des enclos solides capables de résister aux cyclones – bien loin du concept de Sheltered Farming mauricien – que sont quelques mètres de plastiques et tuyaux ! »
Face aux difficultés actuelles de prix et d’approvisionnement des intrants, un spécialiste de ces activités agricoles suggère en boutade que « comme la STC est à la mode en ce moment, pourquoi n’importerait-elle pas les intrants en vrac en demandant à quelques acteurs locaux de faire le blend ?»
Un autre opérateur local suggère que la meilleure solution est d’avoir une coopération avec toutes les parties pour mieux comprendre le problème et trouver des solutions, tout en insistant que « nos partenaires financiers continuent à nous soutenir ».
Outre la hausse de prix, la guerre en Ukraine a rendu l’approvisionnement plus compliqué et certains intrants sont carrément introuvables. « Les produits deviennent plus difficiles à avoir et les fournisseurs deviennent plus difficiles en termes de conditions de paiement », fait-on comprendre.
Entre-temps, les prix des légumes va continuer à grimper à l’étagère dans les marchés et à tous les points de vente, et comme c’est le cas pour d’autres denrées de base certains Mauriciens au bas de l’échelle ne pourront bientôt plus consommer de légumes.