Elle a passé plus de 24h sur la route vers la Pologne, avec ses deux animaux de compagnie dans son sac
« I just said to myself : I’m ready to die. I’m going to die now », lance Shabnam Heerah dans une interview sur la chaîne d’informations télévisée américaine internationale CNN, où elle partage son témoignage, après avoir vécu la guerre à Sumy. Elle est à ce jour saine et sauve de l’autre côté de la frontière ukrainienne, à Varsovie. L’étudiante mauricienne en soins vétérinaires, coincée pendant des semaines à la Sumy Agrarian National University en Ukraine, est arrivée en Pologne à minuit. Et ce, avec ses deux animaux de compagnie dans son sac à dos, un lapin et un chinchilla qu’elle avait refusé d’abandonner. Ses proches à Maurice n’ont qu’une seule hâte : la revoir.
« I don’t think I will ever forget this in my whole life. It will just be in mind », confie la jeune Mauricienne au journaliste de CNN dans une vidéo racontant le périple de ces centaines d’étudiants étrangers qui ont pu évacuer Sumy, ville assiégée par les forces russes. Shabnam Heerah a passé plus de 24h sur la route vers la Pologne, avec ses deux animaux de compagnie dans son sac, comme seuls amis. En effet, durant la semaine, après plusieurs jours de négociation entre diplomates russes et ukrainiens, des couloirs humanitaires (voir encadré) ont été ouverts pour permettre aux civils piégés d’évacuer les lieux. Shabnam Heerah qui se trouvait à Sumy, à 40 km de la frontière nord-est et non loin de la deuxième plus grande ville d’Ukraine Kharkiv, a ainsi fait 11h de route jusqu’à Poltuva sous escorte militaire, et 15h de voyage en train jusqu’à Lviv, où elle a pu traversé la frontière ukrainienne.
intense inquiétude
« I just said to myself : I’m ready to die. I’m going to die now », lance-t-elle devant un journaliste visiblement dubitatif. « Really ? » renchérit-il après une seconde de silence. « Yeah. Because when you hear that bomb explosion, you just freeze and you start shaking », poursuit la Mauricienne sur la vidéo disponible sur le siteweb de CNN. Après avoir vécu l’enfer de la guerre, la jeune femme est actuellement à Varsovie en Pologne et est prise en charge par les autorités mauriciennes. Elle attend son rapatriement et surtout l’aval du ministère de l’Agro-industrie pour qu’elle puisse rentrer avec ses deux petits compagnons de route. Ses parents à Maurice sont soulagés et n’ont qu’une seule envie : la revoir à la maison.
Sa mère, qui a eu la gentillesse de répondre à nos appels pendant ces deux semaines d’intense inquiétude, est enfin apaisée. « J’ai perdu la notion du temps, tellement l’attente a été longue », nous confie-t-elle au téléphone. « Shabnam est arrivée en Pologne à minuit, mercredi, et elle va bien. Avec l’aide de l’ambassadeur de Maurice en Russie, Chandan Jankee, elle a un endroit où rester et elle attend pour rentrer », nous dit-elle. Sa famille est restée aux côtés de la jeune vétérinaire en devenir du début des affrontements à la fin. « Nous avons été en contact tout le long et je suis contente qu’elle soit saine et sauve. » Sa mère nous avoue qu’elle ne sait pas comment sa fille a pu faire preuve d’autant de courage et de calme.
« Elle était seule là-bas, mais je crois que ce sont ses deux animaux de compagnie qui l’ont aidée à tenir le coup. » En effet, lors de l’évacuation des étudiants de la Sumy Agrarian National University, les étudiants ont été regroupés selon leur nationalité, et Shabnam Heerah étant la seule étudiante mauricienne, a fait le voyage avec le groupe d’étudiants africains. « Elle était seule à avoir voyagé jusqu’à la Pologne, tandis que les étudiants africains sont eux partis en Hongrie », explique-t-elle. En attendant le retour de Shabnam Heerah, ses parents tiennent à remercier tous ceux qui l’ont tenue dans leurs prières. « Nous les remercions, car ils ont aidé à leur manière à accompagner Shabnam par ces moments difficiles. »Chandan Jankee (l’ambassadeur de Maurice en Russie) : « Tous ceux qui nous ont contactés ont quitté l’Ukraine »
« Il y a encore beaucoup d’incertitude, mais il y a aussi eu beaucoup de pourparlers entre diplomates russes et ukrainiens pour permettre l’ouverture de corridors humanitaires et l’évacuation des civils », déclare Chandan Jankee. Suivant de près, avec les autorités mauriciennes, la situation, il reste à l’écoute des Mauriciens, dont ceux qui ont pu fuir l’Ukraine.
« Tous ceux qui nous ont contactés ont quitté l’Ukraine. Ils sont soit actuellement en Pologne ou sont rentrés à Maurice. » Par ailleurs, l’ambassadeur a aidé Shabnam Heerah à avoir un logement dès son arrivée en Pologne. « Je viens de parler à mademoiselle Heerah et elle est actuellement hébergée par un ancien consul de Maurice en Pologne, et elle fait ses démarches pour rentrer au pays », dit-il. Il remercie par ailleurs l’ambassadrice du Congo, Clémentine Shakembo Kamango, qui a montré son soutien du début à la fin. « La solidarité africaine est incroyable », soutient-il. En ce qu’il s’agit des Mauriciens actuellement en Russie, qui fait face à de graves sanctions, l’ambassadeur se veut rassurant.
« À l’ambassade, nous recevons des appels d’étudiants et de parents d’étudiants en Russie, et qui nous disent qu’ils n’arrivent plus à faire des transactions bancaires. Nous essayons de les diriger vers d’autres banques et de trouver des solutions », dit-il. Il ajoute aussi que d’autres personnes ont contacté l’ambassade entre-temps, notamment celles dont les proches sont en Ukraine. « Elles ont leurs fiancés, ou peut-être des membres de leur famille qui sont en Ukraine et qui ont la nationalité mauricienne. Nous sommes aussi en contact avec eux. Ils attendent l’ouverture de couloirs humanitaires pour pouvoir évacuer les lieux. »
Pour rappel, le jeune étudiant en dentisterie en Ukraine Comal Luchun, qui avait passé trois jours à fuir l’Ukraine, est finalement rentré dimanche dernier, après avoir été accueilli par de bons samaritains mauriciens en Pologne. Et Kevin Allagapen et sa famille, eux aussi en Pologne, devraient arriver très bientôt.
Des couloirs humanitaires pour évacuer les civils piégés
Un couloir humanitaire, soit un itinéraire sécurisé dans une zone de conflit ou de catastrophe naturelle permettant l’acheminement d’une aide ou l’évacuation de personnes. Par ailleurs, l’article 23 de la Convention de Genève de 1949 fixe la nécessité du « libre passage de tout envoi de médicaments et de matériel sanitaire ainsi que des objets nécessaires au culte, destinés uniquement à la population civile » et « l’envoi de vivres indispensables, de vêtements et de fortifiants réservés aux enfants de moins de quinze ans, aux femmes enceintes ou en couches ». Ces convois humanitaires ne peuvent pas être détournés par l’ennemi. Ainsi, depuis le 8 mars dernier, soit 13 jours après le début de la guerre, « la Russie assure avoir ouvert des “couloirs humanitaires” pour permettre l’évacuation de civils de Kiev et de quatre autres villes d’Ukraine (Tchernihiv, Sumy, Kharkiv et Marioupol). Sur le terrain, l’armée russe aurait accepté, depuis 8 heures, un cessez-le-feu temporaire », a ajouté le ministère de la défense, cité par l’agence Interfax. D’après Irina Verechtchouk, vice-première ministre ukrainienne, « un premier convoi de civils devrait quitter la ville assiégée de Sumy, dans le nord-est, dans le cadre d’un accord conclu avec la Russie. D’autres pourraient suivre de Marioupol, assiégée depuis plusieurs jours dans le sud-est du pays », indique le journal français Le Monde. Ainsi, grâce à trois couloirs humanitaires, desdizaines de milliers civils ont pu quitter les villes assiégées par les forces russes.