KHALIL ELAHEE
L’invasion russe en Ukraine tombe au pire moment provoquant une flambée du cours du pétrole, alors que nous devons lutter pour une forte relance post-COVID19. Si nous y ajoutons la dépréciation de la roupie, il n’y a pas de doute que nous devons faire de notre indépendance énergétique une priorité absolue. Or, une industrie locale des énergies vertes était déjà annoncée dans le dernier Budget. Afin de combattre le changement climatique, un engagement des plus fermes au plus haut niveau a été pris à la COP26, l’an dernier au Sommet sur le Climat, mais sommes-nous capables de le respecter ? D’ailleurs, nous notons que les émissions de carbone ont battu un nouveau record en 2021. Nous venons de subir deux cyclones successifs, un rappel certain de notre vulnérabilité à diverses menaces.
Désormais, il nous faut porter notre part des énergies renouvelables dans la production d’électricité à 60% en 2030, tout en éliminant l’usage du charbon. La Faculté d’Ingénierie de l’Université de Maurice a publié un Discussion Paper soulignant les défis que représentent une telle transition (voir le document https://www.uom.ac.mu/foe/
1.Cesser le gaspillage et lutter contre l’inefficacité
En juillet 2008, alors que le baril du pétrole atteint un record absolu de $147, le projet Maurice Ile Durable est lancé avec, entre autres mesures, une subvention presque totale de l’achat des chauffe-eau solaires, la réduction des taxes et autres droits de douane sur les voitures hybrides, la promotion des ampoules à basse consommation et l’initiation du Energy Efficiency Bill qui donnera, plus tard, l’Energy Efficiency Management Office (EEMO) avec comme mission de combattre le gaspillage et l’inefficacité énergétique.
Le baril du pétrole avoisinant maintenant $ 130, et une roupie s’échangeant à Rs 43 pour le dollar contre seulement Rs 26 lors du record de 2008, la première mesure d’urgence est d’avoir une campagne nationale contre le gaspillage et l’inefficacité énergétique. Une réduction d’au moins 10% de la consommation est réalisable seulement avec la sensibilisation dans presque tous les secteurs, des foyers résidentiels aux usines en passant par le transport, les hôtels et les bureaux. L’EEMO est l’institution désignée pour mener immédiatement cette bataille sur tous les fronts pour une culture de la sobriété énergétique.
2. Eviter les climatiseurs
La pointe de la demande et la facture d’électricité explosent avec les climatiseurs. L’EEMO a choisi de faire appel au public dans le sens « konn swazir ou aircon, ou ki pou sorti gagnan ». Ce message peut être assez trompeur. Car, malheureusement, les climatiseurs les moins énergivores sont plus chers, sinon se limitent à des fournisseurs qui n’offrent pas toujours le meilleur service sur tout un cycle de vie. Les appareils de moindre efficience énergétique sont réparés plus facilement, avec des pièces disponibles ici même et sont ainsi préférés par les acheteurs. En conséquence, la vente de tels climatiseurs double quasiment chaque année. La solution n’est pas autant dans l’adoption de normes exigeantes, sans doute nécessaire dans le futur, mais dans l’éducation des utilisateurs. Pourquoi faut-il la climatisation en hiver ou dans une salle inoccupée? N’est-il pas possible d’avoir une bonne ventilation naturelle ? Pourquoi ne pas privilégier les ventilateurs mécaniques autant que possible au lieu de la climatisation thermique ? Chaque baisse de température d’un degré occasionne une augmentation de la consommation d’électricité d’au moins 3% dans la plupart des installations. Il est aussi temps d’introduire d’autres méthodes de climatisation non-énergivores comme par le refroidissement solaire ou par la déshumidification car souvent c’est l’humidité, et non la température, qui est l’origine du malaise que nous pouvons ressentir.
3. Bâtiments écologiques
La facture énergétique d’un bâtiment se décide pendant la phase où se dessinent les plans de construction. Avec des dizaines de milliers de maisons à prévoir prochainement, le simple fait d’aligner les fenêtres et autres ouvertures afin de maximiser la circulation d’air transversal et l’éclairage naturel peut mener à des économies significatives d’au moins 10% en électricité. Aujourd’hui, il est possible avec des techniques et des matériaux modernes d’éviter un usage abusif du béton qui retient aisément trop de chaleur. Et que dire des soi-disant smart-cities et autres constructions, dites ‘haut de gamme’, y compris certains centres commerciaux et autres infrastructures ! Non seulement l’autosuffisance énergétique y est une illusion, mais la lourde demande systémique additionnelle que ces bâtiments imposent au réseau se trouve indirectement subventionnée par les centaines de milliers de petits consommateurs du CEB, voire l’ensemble des contribuables. Il faut que l’Energy Efficiency Code qui dort dans les tiroirs soit une réalité au plus vite, afin que les nouveaux bâtiments soient plus écologiques.
4. Bioéthanol
S’il y a un item qui revient dans les discours budgétaires depuis plus de deux décennies, il s’agit de l’usage du bioéthanol comme ajout à l’essence à un taux de 5%, sans aucune modification à nos véhicules. Et dire qu’il semble que les Brésiliens auraient appris des locaux, il y a un demi-siècle, à propos de tout le potentiel que représente le bioéthanol à partir de la canne! Chez nous, la question d’un prix équitable, par rapport aux fournisseurs de mélasse et aux différentes parties prenantes, a souvent été un obstacle à tout accord. Aujourd’hui, plus que jamais, il revient aux autorités compétentes de trancher en toute urgence.
Il y va de la survie même de notre industrie cannière, le bioéthanol avec la bagasse et les résidus de la canne devenant beaucoup plus que de simples sous-produits. La combustion du bioéthanol dans la production électrique est aussi envisageable à l’avenir. Le National Biomass Framework, annoncé dans le précédent Budget, ne peut aussi être conçu sans une approche couvrant toutes les bioénergies, y compris le choix stratégique concernant l’usage des terres agricoles. Il faut aussi décider des variétés de canne ou d’autres biomasses à adopter, du rendement sucre-fibre-bioéthanol impliquant la considération de la production de bioplastiques et de biofertilisants, sans oublier l’impératif incontournable qu’est notre autosuffisance alimentaire. Le potentiel de créer des emplois verts est significatif, sans négliger la possibilité de promouvoir un écodéveloppement similaire dans la région, notamment en Afrique ou des terres sont disponibles.
5. Bikonomics
L’idée n’est pas nouvelle, mais la bicyclette peut être non seulement un mode de transport complémentaire, par exemple avec le Metro Express, mais aussi l’objet d’une économie circulaire, écologique et durable. Avec les plans d’aménagement du territoire pour les villes et pour Rodrigues en voie de finalisation, l’intégration de pistes cyclables est aussi une occasion pour encourager la pratique physique et améliorer la qualité de vie. L’automobile est un catalyseur économique et ramène aujourd’hui tant de revenus à l’État, mais il faut songer à un monde où elle devra partager, sinon céder, sa place avec d’autres formes de mobilité, le vélo avec sa version électrique comprise. Entretemps, de simples mesures concrètes, mais fortes, sont bienvenues pour que ce moyen de transport puisse devenir plus accessible, par exemple, en enlevant les taxes sur les équipements. Le contexte écotouristique post-COVID19 se prête aussi au bikonomics. Il va sans dire que dans le même élan des gens se tourneront davantage vers la marche, réduisant encore notre dépendance sur les énergies fossiles dans le quotidien.
6. Green procurement
L’exemple doit venir d’en haut. Il faut que la politique de ‘procurement’ du gouvernement et des collectivités locales soit dans le sens de privilégier des achats et des approvisionnements qui ont une empreinte carbone moindre. Dans le long terme, cela coûtera moins cher. Concrètement, cela commence par leurs achats de véhicules où il faut un quota pour les véhicules électriques, sinon hybrides, alimentés à partir du solaire directement, y compris sur les lieux de travail. Cela permettra aussi de créer rapidement une masse critique qui entrainera la disponibilité de services et de pièces de rechange à des coûts abordables pour ceux désireux de passer des carburants fossiles à l’électricité verte. Aujourd’hui, les voitures électriques sont réservées aux très riches seulement, en partie parce que les programmes offerts par le CEB pour l’installation de photovoltaïques ne sont pas attrayants. Il faut revoir les incitations proposées aux consommateurs en rétablissant le net-metering. Sinon, au rythme où vont les choses, l’objectif de la feuille de route du Gouvernement de 35 000 véhicules électriques d’ici 2030 ne sera jamais atteint.
7. Décider enfin…
En matière de mesure concrète, rien ne souligne autant le leadership, particulièrement en gouvernance énergétique, que le courage de prendre des décisions claires et catégoriques au moment opportun. Le coût de l’indécision peut être lourd. Les rapports des consultants ne manquent pas et dorment souvent dans des tiroirs. S’il le faut, un ultime round de consultations est toujours bienvenu, afin de ne pas écarter les stakeholders concernés. Mais finalement, ce qu’il faut c’est une ‘policy decision’ pour que toutes les parties, publiques et privées, puissent s’engager résolument vers un objectif commun. À ce titre, il sera vital que les autorités se prononcent sur trois questions d’importance capitale pour notre avenir énergétique.
Premièrement, confirmer les dates d’annulation des contrats des centrales à charbon et identifier en ordre de priorité les énergies propres qui seront utilisées? Deuxièmement, décider comment aller de l’avant avec un projet de Waste-to-Energy avec la saturation qu’atteint l’enfouissement à Mare Chicose, et sous quelles conditions dans le respect de l’environnement ?
Tertio, va-t-on mettre sur pied, enfin, une instance pluridisciplinaire public-privé-société civile pour chapeauter le développement durable de l’économie bleue, comprenant des volets comme l’énergie thermique pour le refroidissement et la climatisation, l’éolienne offshore ou encore les biocarburants marins ? La production de l’hydrogène vert et le dessalement de l’eau de mer, particulièrement à Rodrigues, sont aussi des possibilités à explorer en adoptant une approche holistique. Une prompte décision dans la conjoncture actuelle a le pouvoir d’impacter positivement notre secteur énergétique, mais aussi bien au-delà.