Enseignement technique : Ces filles qui ont choisi le bleu de travail

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La mécanique automobile, le bâtiment, l’électricité ou l’électronique sont des filières traditionnellement choisies par les garçons. Pourtant, elles réussissent aussi aux filles. Scope a été à la rencontre de plusieurs étudiantes du Collège Technique St Gabriel, à Sainte-Croix, et du Lycée Polytechnique Sir Guy Forget à Flacq qui ont décidé d’apprendre ces métiers.

Le Collège Technique St Gabriel, à Sainte-Croix, compte 19 filles en formation dans les différentes sections. À Flacq, des 338 élèves du Lycée Polytechnique Sir Guy Forget, elles sont 6 étudiantes. Ne se considérant pas comme  « exceptionnelles”, ces jeunes femmes sont conscientes que leur choix attire les regards et soulève des questionnements. Considérant que « c’est normal » d’avoir choisi des filières techniques, elles doivent composer avec un certain nombre de préjugés. Tant pis si ça « dérange », elles ont décidés à franchir les barrières des stéréotypes.

Jayneeka Soobrah a opté pour des études en production maintenance industrielle. Un choix loin d’avoir été fait au hasard car la mécanique, c’est vraiment son « truc ». Son objectif : prendre la relève de son père, propriétaire de garage. Pourtant, “les aînées de la famille, surtout ma grand-mère, ont essayé de me diriger dans une autre voie professionnelle” raconte-t-elle. Karina Sainte-Marie a aussi eu à faire face à certains commentaires désobligeants quand elle a décidé de se lancer dans des études techniques. Elle s’est entendue dire : “ To enn tifi kifer to pe al fer sa? Es-tu sûre de tenir le coup? C’est un travail dur.” Sa détermination l’a cependant aidée : “Les gens seront toujours là pour critiquer ou pour nous décourager. Il faut avancer avec passion.

Quand un fusible saute ou quand une machine tombe en panne, Valentine Pointe, est toujours la première à prendre les devants. Cette bricoleuse se débrouille bien en électrique. Sauf qu’avant de rejoindre le Collège Technique St Gabriel, elle avait pensé suivre des cours de coiffure. Puis, tout a basculé : “ C’est tellement passionnant de comprendre le fonctionnement des machines que je peux passer des heures à trouver comment fonctionne un système électrique.” Lors des ateliers pratiques, Clémence Speville manipule les machines sans crainte. Cette Rodriguaise en 3ème année de fabrication mécanique a côtoyé depuis toute petite un environnement très masculin. Donc, ouvrir son propre garage à son retour dans son île natale est plus qu’une évidence : “Les gens pensent que c’est difficile pour une femme. Mais je veux justement faire de la mécanique”, insiste-t-elle. Scier, limer, ajuster, sont un jeu d’enfant pour elle et elle voudrait bien voir davantage de filles dans ce secteur : “afin de montrer que la mécanique n’est pas uniquement une affaire d’homme.”

Les sceptiques, il y en aura toujours. Plus ils sont nombreux, plus Harshika Doolooa est convaincue d’avoir eu raison de faire les choses différemment. Actuellement en 1ère année bâtiment, elle se sent totalement à l’aise dans ses baskets : “Pourquoi faut-il catégoriser les filles et les garçons? Kifer tifi bisin enn fason, garson bisin enn lot fason? Ce n’est à la mode de penser ainsi.” Kathleen Merle se souvient des doutes de sa mère quand elle a choisi d’entamer sa formation en électro-technique. « Elle était préoccupée et avait peur que je ne puisse pas m’intégrer et que je ne trouve pas de travail” raconte cette dernière, qui s’avère être la seule fille de sa classe. Cependant, au fil des années, le fait d’avoir acquis énormément de confiance en elle, son choix a fini par faire la fierté de ses proches. Leslie Ayoung a elle toujours pu compter sur le soutien de sa famille. Voilà deux ans qu’elle a pris de l’emploi au Collège Technique St Gabriel et au passage, est devenue la première enseignante femme en mechanical engineering. Elle n’en démord pas que ça n’a rien de facile de choisir des métiers dits masculins : “Des fois certaines filles peuvent être réticentes. Mais du moment que nous effectuons notre travail et que nous montrons que nous savons aussi bien le faire que les hommes, les choses se passent bien. Je dirai même que les choses évoluent mieux pour nous”. Elle réfute catégoriquement cette perception disant qu’il faut être un peu « garçon-manqué » pour exercer des métiers d’hommes : “Je n’ai aucune difficulté à basculer de mes chaussures à talons à mes safety-shoes et vice-versa. Nous ne perdons aucunement notre part de féminité sous notre bleu de travail. Cela ne nous empêche pas de nous maquiller. Nous avons joué à la poupée comme toutes les autres petites filles. Sauf que certaines peuvent aussi bien aimer jouer à la poupée et être intéressées à démonter, à analyser, à ouvrir, et à comprendre comment fonctionnent les choses.”

Faut juste être un peu coriace”, souligne Karina Sainte-Marie, étudiante en tournage et ajustage. Et surtout, rajoute Jainilie Sadalva : “Il faut se donner les moyens d’y croire.” Comme elle, Meganne Auckhaya (section bâtiment), et Jayneeka Soobrah (section production maintenance industrielle) estiment aussi n’avoir pas besoin de faire plus de preuve que les garçons : “Notre capacité, notre connaissance, notre aptitude ne doivent pas être jugées par le simple fait d’être une femme. L’homme et la femme peuvent être complémentaires. La femme peut aussi amener une méthode et une approche différentes.” Sauf que les filles et les garçons ne commencent pas avec les mêmes bases, et ce, dès le plus jeune âge. Il suffit de regarder les catalogues de jouets : les jeux de construction pour les garçons, les jeux de princesses pour les filles. Ou encore comme s’en souvient Valentine Pointe, “L’image de ces métiers était une image souvent masculine”.

À moins d’avoir baigné dedans ou avoir été en contact avec ces professions, comme ce fut le cas pour Clémence Speville et Jayneeka Soobrah, certaines peuvent penser que certains métiers sont réservés aux hommes. Meganne Auckhaya qui aspire à une carrière dans le bâtiment souligne : “Cela peut être difficile pour les jeunes filles de s’y projeter.” Leslie Ayoung voudrait quelques changements dans le secteur éducatif : “Pourquoi n’y a-t-il pas de design & communication dans les écoles des filles? Pourtant les garçons ont des sujets comme le design et la technologie depuis leur entrée en Form 1. La base commence au moment où une fille apprend à manipuler des outils manuels. Lerla ki li pou konne eski li ena enn passion pou sa. Si pa met zoutil la divan tifi kuma li pou kone?”.

Que ce soit du côté du Collège Technique St Gabriel et du Lycée Polytechnique Sir Guy Forget, c’est le même sentiment partagé pour toutes les jeunes femmes : “Il faut ouvrir la voie afin que cela soit plus naturel pour les suivantes”. Elles ont hâte de compléter leur formation et les stages pour prendre enfin leur envol. “Les opportunités sont nombreuses et il ne faut pas avoir peur. Au contraire, il faut se lancer. En restant immobile, on arrivera à rien », lance Harshika Doolooa tandis que Karina Sainte-Marie conclut : “On n’a pas à se comporter comme un homme pour réussir dans un univers masculin, c’est surtout dans la tête que ça se passe.”