Les violences conjugales sont présentes dans tous les milieux sociaux. Cependant, très peu de femmes appartenant à une classe sociale aisée et qui ont une bonne situation professionnelle osent en parler, encore moins dénoncer leurs bourreaux. Karuna (nom fictif), concubine d’un haut cadre connu, a accepté de nous parler de son quotidien de femme battue.
Le souvenir de première fois où son compagnon l’a giflée est encore intact dans sa tête. Celui que nous appellerons Rajesh, était rentré saoul après un dîner d’affaires. “Mon erreur a été de lui faire des reproches à ce moment-là. Il s’est rapproché de moi, et le moment d’après, j’ai senti le sol se dérober sous mes pieds, mes oreilles siffler et j’ai vu noir”. Un premier coup d’une longue série qui la plongea dans la violence physique et verbale. Et cela fait des années que ça dure.
Elle s’est souvent réveillée avec la boule au ventre ne pouvant jamais savoir comment se terminerait sa journée. “Avant que mon cauchemar ne commence, quand j’entendais les récits de violence domestique dans les médias, j’étais détachée car dans ma tête, ça n’arrivait qu’aux autres”. Karuna n’avait pas imaginé que son histoire, qui avait commencé comme un conte de fée, prendrait cette autre tournure. Employée dans l’administration d’une société d’import-export à l’époque, elle gagnait bien sa vie. Elle collaborait de temps en temps sur certains projets avec la compagnie où travaillait Rajesh. Les deux se sont d’abord liés d’amitié avant de se mettre ensemble. “Il était aux petits soins pour moi, me traitait comme une reine et nous étions tout le temps ensemble”. De même, Rajesh avait une bonne situation financière et la couvrait de cadeaux hors de prix. Quelques années plus tard, les tourtereaux ont emménagés ensemble dans un quartier huppé des hautes Plaines Wilhems.
C’est quand Rajesh a été promu cadre dans sa société que le quotidien du couple a basculé. “Il avait plus de responsabilités et rentrait à des heures tardives”. Entretemps, Karuna avait accepté de mettre de côté sa carrière professionnelle pour s’occuper de l’éducation de leur fils. “En quittant mon travail, je suis devenue totalement dépendante financièrement de lui. Et ça a changé beaucoup de choses entre nous”. Le comportement de Rajesh a commencé à changer “et les rares fois où il était à la maison, il était distant”. Plus tard, Karuna découvrit des messages sur son portable et comprit qu’il voyait d’autres femmes. A chaque fois qu’elle cherchait des explications, “ce qui était légitime”, elle ne récoltait que « mépris, insultes et coups. »
Elle a envisageait partir : “J’ai voulu prendre mon fils et partir à nombreuses reprises, mais j’avais peur”. Elle a subi en silence sans oser en parler à personne, même pas à sa famille.
Quant à rechercher l’aide d’associations militant contre la violence envers la femme ou porter plainte à la police, ce n’était pas envisageable. “Rajesh était une personne charmante avec ses collègues, ses voisins, ses amis. Il était aussi une personnalité influente et respectée dans la société. De plus, il avait des contacts haut placés. Il me disait que personne ne me croirait et que je perdrais la garde de mon fils”.
Elle explique que très souvent, les femmes sont les premières à juger et à manquer d’empathie envers leurs semblables. “On les blâme souvent de ne pas partir au premier coup et d’accepter de subir ces violences. Il faut être à notre place pour réaliser par quoi nous passons ”. Karuna explique s’être souvent sentie seule. “J’ai honte de ce qu’est devenue ma vie. Je suis passée de reine à femme battue. Surtout par rapport au milieu bourgeois où je vis, je ne suis pas préparée à subir les préjugés des autres de peur d’être mise à l’écart”. Elle ne se souvient plus du nombre de fois où elle a dû se maquiller à outrance pour camoufler les bleues sur son visage pour aller dans des réceptions avec son conjoint. Toutes les occasions sont bonnes pour son compagnon qui se défoule sur elle sans la moindre pitié. Et cela fait des années que cela dure.
Les larmes, les demandes de pardon et les supplications de Rajesh ont souvent touché Karuna qui accepte à chaque fois de lui donner une nouvelle chance. « Dans ces moments je suis touchée et je me dis qu’il ne se contrôle plus parce qu’il passe par une mauvaise passe. C’est peut-être à cause du stress de son travail. » Mais, désormais, elle le sait, une fois son pardon accordé il finit par redevenir violent au bout de quelque temps. Parallèlement il exerce une pression psychologique sur Karuna, qui raconte que son partenaire a souvent menacé de se suicider si elle le quittait. Aujourd’hui, elle vit toujours avec son bourreau “surtout pour préserver les apparences. Ce qui a changé c’est qu’au cours des années, j’ai appris à être la bonne petite femme soumise qui ne voit rien, n’entend rien et surtout qui ne dit rien”.