Combien d’énergie l’homme n’aura-t-il pas dépensé ces deux dernières années pour combattre un seul et minuscule virus, quand bien même celui-ci aura, au fil des mois, grossi son armée de « mutants ». Une énergie colossale, en termes de réflexion, de recherche, de législations, de production de vaccins… Sans jamais abdiquer. Car c’est un fait : si nous avons quelque peu baissé la garde, du fait surtout de l’Omicron, variant bien moins virulent que ses prédécesseurs, jamais nous ne rendrons les armes face à l’ennemi. Tant ce dernier aura emporté de vies, mais aussi et surtout compromis la multiplication de nos précieux billets verts. Aussi peut-on justement se poser la question de savoir pourquoi nous n’aurons jamais réussi, jusqu’à l’heure, à prendre de la même manière la mesure du désastre climatique à venir. Un non-sens lorsque l’on sait à quel point l’être humain peut être réactif lorsqu’il sent que son existence (et par ricochet celle de son économie de marché) est directement menacée.
Mais alors, comment expliquer nos manques d’initiatives, du moins dans les proportions qu’exige la situation ? Eh bien pour deux raisons, la première étant justement que nous ne ressentons pas, pour beaucoup, le besoin immédiat de lutter contre le changement climatique. Certes, les catastrophes se multiplient, qui plus est de plus en plus destructrices, mais elles restent malgré tout, dans l’ensemble, relativement épisodiques, et le plus souvent localisées dans des régions éloignées. Avec pour effet, bien sûr, que l’on se sente moins « concernés » que par un virus qui, lui, par nature, frappe indistinctement. En sus de ne connaître, grâce à nous, aucune frontière.
La deuxième raison concerne les concessions. Car à l’inverse de la Covid, ici, la victoire ne peut se jouer dans nos laboratoires, et l’effort à consentir – et qui doit être collectif – promet d’être colossal. L’origine anthropique du phénomène ne laisse dès lors que peu d’alternatives. Soit nous changeons de paradigme économique – autrement dit produisons, consommons et polluons (beaucoup) moins –, soit nous maintenons le système en place jusqu’à ce qu’il s’épuise et/ou ne soit tout bonnement plus soutenable. Or, opter pour la première solution, seule véritable opportunité qu’il nous reste de sauver l’humanité et le reste du vivant, implique de tels changements sociétaux et comportementaux que le défi semble impossible à relever.
Il faut dire que la tâche est herculéenne. Les lobbies industriels et politiques sont assurément si puissants que l’effort ne semble obligatoirement pouvoir venir que « d’en haut »… Car s’il venait d’en bas, cela impliquerait un réveil (révolution) planétaire, plus qu’hypothétique en l’état. Et puis, d’ailleurs, est-on prêt individuellement à retrousser nos manches et à sacrifier ce qui rend aujourd’hui encore nos vies si confortables en vue de contrôler un emballement climatique dont l’on ne sait pour l’heure prédire ni quand il viendra bouleverser nos vies, ni la manière dont il le fera ? La réponse est évidente : non !
Pendant ce temps, le climat, lui, n’attend pas. À chaque jour qui passe, à chaque molécule de CO2 et de CH4 relâchée dans la haute atmosphère, la situation se complique davantage, nous approchant inexorablement du point de non-retour. Et bien que tout le monde puisse déjà avoir un avant-goût de ce qui nous attend – les glaciers fondent, les mers montent, les tempêtes et les tornades se multiplient, les feux de forêt brûlent tout sur leur passage, et nos villes et villages se noient sous les eaux en furie –, nous poursuivons notre route sans broncher, avec pour seule (fausse) certitude que « le génie humain finira bien par résoudre le problème ». En d’autres mots, nous continuons de réfléchir à la manière dont nous pourrions résoudre l’équation sans en changer ne serait-ce qu’une donnée. Et donc sans toucher à ce sacro-saint système qui nous précipite vers l’abîme.
Ce moment crucial de l’anthropocène est aujourd’hui pareil à un train fou lancé à toute vitesse vers le vide, et ce, sans que personne ne puisse en actionner seul les freins. Autant dire qu’avec autant de cheminots dans la locomotive que compte notre monde de décideurs, nous sommes vraiment mal barrés.