« La langue créole peut-elle devenir une langue scientifique ? » À cette question posée par le président de la Creole Speaking Union (CSU), Arnaud Carpooran, les trois gagnants du « Konkour lekritir texte siantifik 2020″, Jean-Lindsay Dhookit, Krishna Pentayah et Amena Rosun, ont répondu « oui ! » Le premier volume de Sians ek konesans pou tou dimounn, de la CSU-Edision, a été officiellement lancé jeudi dernier au Rajiv Gandhi Science Centre, à Bell Village, en présence du ministre des Arts et de la Culture, Avinash Teeluck, et de nombreux académiciens de l’université de Maurice, du Mauritius Institute of Education et de l’Université des Mascareignes, entre autres.
Une cérémonie de lancement forte en émotions. Après presque deux ans de travail, d’écriture, de réécriture et de relecture, les auteurs et éditeurs de Sians ek konesans pou tou dimounn peuvent désormais souffler. Cette première « expérience » est ainsi « satisfaisante » pour le Professeur Arnaud Carpooran, qui a félicité tous les participants, de même que l’équipe d’édition composée, entre autres, du Dr Yannick Bosquet et de Kimberly Oxide, doctorante à l’université de Maurice. « Ti baba inn sorti dan ward, asterla nou bizin gete si nou kapav akonpagn li », a lancé Arnaud Carpooran.
En effet, ce dernier a rappelé la nécessité de publier davantage d’ouvrages littéraires et autres en kreol morisien pour accéder à d’autres sphères, dont la science, qui reste un domaine technique, et essentiellement dominé par l’anglais. « Nous ne sommes pas des scientifiques, et là, nous demandons réellement l’aide de vrais scientifiques, de chimistes, de mathématiciens », a-t-il dit d’emblée. Un aide de taille qui aiderait non seulement à vulgariser davantage les sciences dures, mais aussi à institutionnaliser davantage la langue maternelle. « En 2012, le gouvernement introduisait le kreol morisien dans les écoles primaires, en 2022, soit 10 après, l’on annonce que les étudiants pourront prendre part aux National School Certificate en kreol morisien », a-t-il dit fièrement. Un progrès notable et qui conforte tous ceux, académiciens, hommes et femmes de lettres, et décisionnaires, qui ont toujours lutté pour la reconnaissance et l’institutionnalisation du kreol morisien.
Pour la CSU, ce texte est ainsi « un premier jalon », et elle prévoit d’autres éditions qui seront cette fois-ci ouvertes au grand public. « Nous n’organiserons pas de concours, mais nous lançons un appel aux scientifiques qui souhaiteraient publier », a précisé Arnaud Carpooran. Le ministre des Arts et de la Culture, Avinash Teeluck, a lui salué l’initiative de la CSU, dont il s’est dit très satisfait. Passionné de lettres et de littérature anglaise, il a confié avoir choisi la filière scientifique au collège sans trop y croire, car l’anglais, la langue dans laquelle la matière était enseignée, ne lui parlait pas. « Elle n’était pas adaptée », a-t-il ajouté. « Je pense que ce genre d’ouvrages permettra aux gens du grand public de s’intéresser davantage à la science, aux choses qui nous entourent, et c’est pour cela que nous encourageons de telles initiatives », a-t-il déclaré.
Il faut préciser que le lancement et la publication de cet ouvrage coïncide avec les célébrations de la Journée mondiale de la langue maternelle.
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Extraits
« Anou fer enn teleskop » de Jean-Lindsay Dhookit
Cela vous dit de regarder les étoiles ? Jean-Lindsay Dhookit, ancien Senior Lecturer en informatique à l’université de Maurice, apprend à construire un télescope. D’ailleurs, son texte Anou fer enn teleskop a charmé le jury et lui a valu le premier prix di konkour. Nous vous en proposons un extrait : « Bon, ler finn arive pou trous lamans ! Me enn ti konsey : enn teleskop li enn linstriman presi. Pena plas pou apepre ! Par exanp, si bizin koup enn pies dibwa enn longer 46.5″, fode li exantema 46.5″. Li pa kapav 46.4” oubien 46.6″. Apre, nou bizin ena pasians ek common sense, me krwar mwa, si ou finn resi fer enn teleskop, li inposib dekrir sa satisfaksion ki ou pou gagne la. »
« Langaz Liniver » de Krishna Pentayah
De la poésie scientifique… en kreol morisien, qui plus est ! Krishna Pentayah, du haut de ses 22 ans, invite à parler à l’univers. Avec l’aide de ses proches collaborateurs, notamment Shain Ramjan, Shaza Ayacoutee, Darshini Goorvadoo et Anaëlle Blais, le jeune étudiant en ingénierie, un brin dandy, signe Langaz Liniver. Extrait : « Simi : Pou mwa, enn imin, glason-la fre, blan, ron, inpe mou ek mouye, li ousi leze ; ek finalman kaab dir ki ariv enn fenomenn ar li – li pe fonn. Me glason-la pou limem, ki li ete ? San ki nou met perspektiv enn imin ladan, glason-la ki li ete anrealite ? Nou servi simi pou konn so lidantite. »
« Mezir dan Fiziks » d’Amena Rosun
D’une simplicité déconcertante, Amena Rosun, enseignante au collège Hamilton, a décidé de se faire accompagner par ses deux étudiants. Un geste symbolique pour montrer que la science en langage maternelle a de beaux jours devant elle. Avec Mezir dan Fiziks, Amena Rosun accompagne pas à pas l’étudiant, et le lecteur dans le monde technique et complexe de la physique, en proposant, en bonus, des exercices de travail. Extrait : « Dan fiziks, li inportan ki nou presiz inite sak kantine ki nou pe mezire, sinon kantite-la pa pou ena okenn sans. Par exanp, si nou dir “enn longer 10”, eski li 10 milimet, 10 santimet ouswa10 kilomet ? Eski ena differans ant sa trwa-la ? »