Pour marquer la Journée de la langue maternelle, le 21 février, l’Akademi Kreol Repiblik Moris (AKRM) a organisé une table ronde sur les perspectives pour la prochaine décennie. Déjà, cette année, cela fait dix ans depuis que le Kreol Morisien (KM) a été introduit à l’école. Alors que la langue maternelle est passée en Grade 10, avec la première édition du National School Certificate (NSC) en KM prévu l’année prochaine, les universitaires débattent déjà sur l’élaboration d’un programme de Literatir Kreol Repiblik Moris. Cela afin de préparer une suite logique au NSC.
« Ki perspektiv pou kreol repiblik Moris dan prosin deseni ? » Tel est le thème choisi par l’AKRM pour marquer la Journée internationale de la langue maternelle. Cette démarche, fait ressortir le Professeur Vassen Naeck, directeur du Mauritius Institute of Education (MIE) et président de l’AKRM, cadre avec les responsabilités de l’académie à promouvoir la langue kreol et l’héritage culturel. L’AKRM, a-t-il rappelé, a un rôle fédérateur auprès des autres institutions et organisations qui œuvrent dans ce sens. L’accent est mis sur le terme Kreol Repiblik Moris, car les spécificités des autres îles sont aussi prises en considération.
La première partie de la table ronde était consacrée au kreol dans l’éducation. C’est en 2012 que le KM a été introduit au primaire comme langue optionnelle. Et même s’il y avait beaucoup de questions à l’époque, notamment quant à savoir où l’apprentissage du KM allait mener, une moyenne consistante de 3 000 étudiants a opté pour le kreol chaque année au primaire.
Au secondaire, le démarrage a été beaucoup plus lent, mais avec le National School Certificate (NSC) en KM, dont la première épreuve est prévue l’année prochaine, on aura noté plus d’intérêt pour cette matière. Surtout que le KM comptera pour les cinq crédits permettant d’accéder en Grade 12.
« Et maintenant ? » serait-on tenté de se demander. Le Pr Arnaud Carpooran, de l’Université de Maurice, et président de la Creole Speaking Union, a parlé de la nécessité de se pencher sur l’élaboration d’un programme de Literatir Kreol Repiblik Moris dans la perspective que le KM soit introduit en HSC, après le SC. L’importance de la notion de literatir kreol dans les programmes du National Certificate of Education (NCE) et du National School Certificate (NSC) est jugée primordiale. Il s’agit maintenant de développer un programme pour le volet de literatir à part entière.
Arnaud Carpooran met l’accent sur un tri à faire par rapport aux manuels en KM qui peuvent être étudiés. Se posera également la question de l’orthographe. Car avant la standardisation, les auteurs mauriciens ont écrit le kreol de plusieurs manières. Faudra-t-il respecter leur originalité, en partant par exemple des écrits de Charles Baissac, en passant par ceux de Dev Virahsawmy ou la graphie de Ledikasyon Pu Travayer, ou les standardiser ?
Le Dr Jimmy Harmon, directeur adjoint du Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC), suggère de les regrouper selon leur époque, comme c’est le cas pour la littérature anglaise et la littérature française. « Pourquoi ne pas garder les textes dans leurs versions originales comme les textes de Shakespeare, Chaucer, Keats ou Molière ? » se demande-t-il en faisant état d’un travail d’inventaire a priori.
Ce qui est sûr aussi, c’est qu’il y a nécessité de continuer à produire des textes qui pourront être utilisés. Et l’une des responsabilités de l’AKRM, justement, sera d’encourager la créativité. Au niveau de l’Université de Maurice, l’éventualité d’un BA in Creole Studies à part entière est à l’étude. Actuellement, il existe un BA French and Creole Studies, avec des contenus à 50% dans chaque langue.
Le MIE continue à développer le programme d’études pour les différents niveaux. Actuellement, c’est le syllabus du NSC qui retient l’attention. Alors que les manuels de Grade 10 ont été bouclés, ce sont ceux de Grade 11 qui sont en préparation, a révélé la Dr Béatrice Antonio du département Kreol Repiblik Moris du MIE.
Parallèlement, le Dr Yannick Bosquet a annoncé la mise en place d’une structure au niveau de l’Université de Maurice, en collaboration avec le MIE et le Mauritius Examinations Syndicate (MES), pour l’examen du NSC l’année prochaine. L’Awarding Body pour cet examen ne sera autre que l’Universit’é de Maurice.
Mais au-delà de tous ces projets, c’est la question du KM comme médium d’enseignement qui demeure en suspens. Ainsi, Alain Ah-Vee de Ledikasyon Pu Travayer n’a pas manqué de faire ressortir que l’enseignement dans la langue maternelle de l’enfant est une libération. Cela a d’ailleurs été noté pour les adultes à travers les cours Lir Ekrir de LPT. L’importance de l’enseignement dans la langue maternelle est également reconnue par l’Unesco et fait partie des droits de l’enfant. Il indique que des recherches ont prouvé que l’enfant développe plus facilement le multilinguisme lorsqu’il apprend dans sa langue maternelle.
Mais pour cela, il faudra une Policy Decision, et ce sera sans doute le combat le plus dur à mener. Le Dr Jimmy Harmon a partagé l’expérience du Prevokbek, avec une pédagogie en kreol et anglais. Même les papiers d’examens étaient bilingues pour les matières autres que les langues. « Tous les questionnaires étaient en deux parties. Les concepts de base constituaient la première partie et étaient en kreol. La deuxième partie était en anglais et comportait les notions plus avancées », dit-il.
Le Dr Jimmy Harmon s’est demandé pourquoi ne pas utiliser ce modèle pour le questionnaire de NCE, particulièrement pour l’Extended Programme. « Pourquoi ne pas offrir le choix aux parents entre des Maths Papers in English ou des Maths Papers Bilingual – KM/English – comme perspective d’avenir ? » s’interroge-t-il.
Clôturant l’événement, le Pr Vassen Naeck a déclaré que la table ronde a été riche en termes d’idées et de propositions. La question du KM comme médium d’enseignement sera une bataille à mener, relève-t-il, tout en soulignant la nécessité de se mettre au travail pour préparer le Higher National School Certificate, et non pas attendre la veille des échéances.