Mo ti zil plore
Personn pa souy so lizie
chantait Kaya.
Depuis 1999, chaque 21 février a été consacré à commémorer la mort de Kaya. Celui qui a créé et révélé au monde le seggae. Mais aussi celui qui a mis Maurice face au potentiel destructeur du monstre ethnique et communal qu’elle abrite en son sein en feignant qu’il ne s’agit que d’une couleuvre…
Depuis 1999, le 21 février est associé à la mort en cellule de celui qui avait fait naître et diffusé au monde une nouvelle expression musicale aussi forte dans son rythme que dans sa dénonciation et revendication sociale. Arrêté trois jours auparavant pour avoir fumé un joint en plein concert pour la dépénalisation du gandia à Maurice, Kaya est retrouvé sans vie dans la cellule n°6 de la prison baptisée Alcatraz à Port Louis un dimanche matin. La version officielle affirme qu’il s’est cogné la tête dans le mur sous l’effet du manque. Une contre-autopsie estime qu’il aurait été tiré par ses dreadlocks pour être cogné. L’île Maurice s’embrase.
23 ans plus tard, en ce lundi 21 février 2022, nous allons fêter la toute première Seggae Day. Une célébration nationale, décidée par le gouvernement, qui a annoncé il y a quelques jours sa décision d’instaurer une Bhojpuri Gammat Day le 8 février, et le Seggae Day le 21 février, faisant ainsi de ce mois de février le mois de célébration de deux expressions musicales qui enrichissent le patrimoine culturel mauricien.
La première date est liée à Sona Noyan, qui a maintenu et popularisé à Maurice la tradition des gammat venant du « Bhojpuri belt » de l’Inde jusqu’à sa mort le 8 février 2013 à l’âge de 67 ans. La deuxième date est plus tricky.
Elle renvoie au débat entre célébrer et commémorer.
Jusqu’ici, le 21 février, on commémorait la mort brutale et controversée de Kaya. Le 21 février, c’est un jour lié à la brutalité policière.
Le 21 février, c’est le début d’une explosion qui a stupéfait et déchiré l’île Maurice, exposant dans une lumière crue et violente une colère sociale et communale jusque-là plus ou moins bien enfouie.
Le 21 février, ne soyons pas hypocrites, c’est le détonateur de ce qui a bel et bien, pendant trois jours, pris le visage d’une guerre civile, entre population créole à bout du sentiment d’être exploitée et victimisée, et pouvoir hindou jugé « dominère ».
23 ans après, le pouvoir politique prétend donc faire du 21 février une date de célébration. Alors même que certains sentent que nous ne sommes pas loin d’être assis sur une poudrière. Alors même que Kaya, qui fustigeait l’hyper-prévalence du communalisme, l’hypocrisie politique, l’instrumentalisation religieuse, l’exploitation économique des plus faibles, aurait certainement eu beaucoup à dire sur ce qui se passe aujourd’hui. Alors même que si l’Etat lui a versé une forme de « dédommagement », reconnaissant par là même de façon implicite sa responsabilité dans ce drame, la veuve de Kaya, Véronique Topize, clame toujours que la vérité n’a pas été établie. Que les coupables n’ont pas été identifiés et sanctionnés.
Que va-t-on célébrer le 21février : le fait que la violence d’Etat puisse rester impunie ?
Il faut saluer les efforts de Jorez Box, depuis des années déjà, pour qu’une Seggae Day vienne honorer la mémoire de son génial créateur. Mais que le gouvernement choisisse pour cela la date de sa mort brutale peut être perçu comme un mépris de ce qu’a véritablement été son décès, qui relève du criminel. Et peut-être, au-delà, comme une volonté de gommer l’aspect revendicatif qui entoure Kaya et sa création. On ne va certainement pas sampler, pour faire danser, les « Ayo mama pa bate » que plusieurs témoins disent avoir entendu Kaya crier pendant son incarcération. Pourtant, le 21 février devrait rester la date où nous commémorons tout cela. Pour ne pas oublier la tragédie. Pour en tirer les enseignements et les actions nécessaires. Pour la célébration, on aurait tout aussi bien pu choisir la date de naissance de Kaya, car la création d’un genre musical est en soi une naissance.
Ne nous laissons pas enfumer…
Une île, entre le ciel et l’eau
Une île sans hommes ni bateaux
chantait Serge Lama
Cette semaine, Maurice a envoyé un bateau sur l’île déserte de Peros Banhos.
Une île habitée par les Chagossiens jusqu’au moment où les Britanniques décidèrent d’assortir la demande d’indépendance de Maurice, dans les années 1960, d’une décision d’enlever l’archipel des Chagos du territoire mauricien. Afin d’en louer l’île principale de Diego Garcia aux Américains pour l’établissement d’une de leurs plus importantes bases militaires.
Il faut le dire : c’est un sacré pied de nez que le gouvernement de Pravind Jugnauth vient de faire au gouvernement britannique. Certes, il y a un litige opposant Maurice et les Maldives sur la possession d’une part d’océan au large des Chagos. Et il y avait nécessité d’aller déterminer si le Blenheim Reef affleure ou pas à marée haute, ce qui serait susceptible de déterminer, devant l’ONU, si cette part d’océan fait partie de la Zone Economique Exclusive des Maldives ou de Maurice. Mais il est clair qu’en prenant prétexte de cette « mission scientifique », le gouvernement mauricien en a bel et bien profité pour poser une affirmation forte de la souveraineté de Maurice sur les Chagos, en hissant, « au passage », le drapeau mauricien sur l’île de Peros Banhos.
Répercutée par les médias britanniques et américains que le gouvernement mauricien a choisi d’emmener dans ce voyage, l’image du quadricolore flottant sur cette plage immaculée a une charge symbolique et émotionnelle très forte. D’une certaine façon, elle fait écho à la fameuse photo montrant ce même quadricolore hissé en haut du mât au Champ de Mars le 12 mars 1968, marquant l’accession de Maurice à l’indépendance après 158 ans de colonisation britannique. Le drapeau mauricien flottant sur les Chagos, c’est un peu comme parfaire et compléter le processus de notre décolonisation.
Mais pourquoi faut-il donc que cela soit accompagné de sentiments aussi mitigés ?
Aujourd’hui, le Premier ministre fait sourire quand il vient s’offusquer que cet événement soit traité par la presse locale comme une nouvelle de second ordre. À quoi donc s’attendait-il lorsqu’il a choisi de ne pas permettre à la presse locale de faire partie de ce voyage, donc de ne pas bénéficier d’informations de première main ? Le gouvernement considère manifestement que distribuer nominations et postes officiels relève de son pouvoir de récompenser ses fidèles. Mais prétendre, priver de places à bord une presse locale avec laquelle on entretient de mauvaises relations, ne relève pas d’une attitude digne d’un Etat démocratique. Il est ridicule de se proclamer décolonisé et de s’en remettre exclusivement aux médias britanniques et américains pour informer sa population de cette démarche majeure. Et cela rejaillit sur l’événement.
Sentiments mitigés aussi parce que, quelque part, on peine à croire que Britanniques et Américains aient été aussi « naïfs » pour se laisser berner par une supposée mission scientifique à Blenheim Reef, menée par l’ambassadeur mauricien à l’ONU, et laisser approcher Peros Banhos pour y planter le drapeau mauricien sans plus d’opposition.
Sentiments mitigés parce que la fanfaronnade autour des Chagos retrouvées n’est pas cohérente avec la « négligence » avec laquelle ce même gouvernement semble traiter Agaléga. Et que ce dernier cas, et les aises grandissantes qu’y prend l’Inde, amènent à s’interroger sur ce que le gouvernement mauricien compte réellement faire des Chagos s’il en reprend la jouissance.
De la volonté de ne pas s’en laisser conter…
Une île
Car c’est là-bas que tout commence
Je crois à la dernière chance
chantait Jacques Brel.
Face aux menaces croissantes qui pèsent sur les îles, le
One Planet Summit for the Ocean, qui s’est tenu à Brest en France du 9 au 11 février dernier, s’est révélé, aux yeux de beaucoup, très décevant. Rien sur la décolonisation, ni sur les menaces climatiques liées à l’océan, dont le réchauffement nous impactera certainement avec davantage de phénomènes cycloniques extrêmes. Mais beaucoup sur la perspective du profit qui peut en être tiré par certains. D’énormes intérêts sont en jeu.
De l’urgence de ne pas attendre que nous n’ayons plus que nos yeux pour pleurer, comme le chantait Kaya…