Alors que le conseil des ministres de la Commission de l’océan Indien (COI) se réunit à Paris cette semaine, Le-Mauricien a rencontré son secrétaire général pour faire le point sur les activités de la commission. « La COI doit pouvoir porter la voix des petits États insulaires en développement de l’océan Indien », soutient-il. Il fait aussi le bilan de la présidence française de la COI et revient sur l’importance de la formation. « D’ici à 20 ans, nos États membres accueilleront près de neuf millions de jeunes sur le marché du travail. C’est trois millions de plus qu’en 2020 ! Il y a un défi immense en termes de formation, d’employabilité, de financement public, de croissance. C’est un défi de développement économique et d’épanouissement social », souligne-t-il, tout en rappelant que l’Indianocéanie peut devenir un bassin de compétences diversifiées et recherchées.
Le conseil des ministres de la Commission de l’océan Indien (COI) se tiendra le 23 février à Paris. Quels sont les principaux sujets figurant à l’ordre du jour ?
L’année écoulée a été sous la présidence française. Cette présidence a été un peu raccourcie du fait de la présidentielle, qui aura lieu en mai. Le conseil des ministres, qui sera présidé par le ministre français des Affaires étrangères, Jean Yves Le Drian, se présente plutôt bien. C’est la première fois dans l’histoire de la COI que nos États membres se réuniront à Paris, et la raison en est simple : plusieurs réunions auront lieu durant la même période dans la capitale française.
Les ministres de nos États membres participeront ainsi au forum ministériel sur l’Indopacifique. Il y a aussi la réunion Union européenne-Afrique, sous la présidence française. Un certain nombre de membres du personnel des États membres seront présents. Les programmes sont déjà établis.
La session ministérielle de la COI se focalisera sur un ensemble de sujets stratégiques et structurants pour la région. Il sera notamment question de sécurité maritime, dont les dossiers essentiels depuis très longtemps. Nous arrivons à un moment où le paradigme a quelque peu changé dans la zone : le centre de gravité du commerce mondial a un peu bougé. Il est très présent dans cette zone de Sud-Ouest de l’océan Indien. Et qui dit trafic maritime dit aussi trafic en tous genres. Il faut reconnaître que l’océan Indien n’a presque pas connu de guerre et pas connu les méfaits dus aux activités militaires, sauf quelques escarmouches aux grands moments des empires français et britannique.
Avec le soutien de l’Union européenne, la COI a développé une architecture de sécurité maritime remarquée pour tout l’océan Indien occidental. Le conseil des ministres devra se prononcer sur les contours d’une suite au programme MASE pour que nous disposions d’une architecture pleinement opérationnelle en termes d’échange d’information et d’opérations conjointes en mer. Ce dispositif, auquel participent nos États membres ainsi que le Kenya et Djibouti, cible l’ensemble des risques, trafics et crimes en mer.
Le conseil se penchera aussi sur l’économie bleue, une priorité partagée, et sur les biens fondamentaux que sont l’éducation, la formation professionnelle, la culture ou encore la réduction des risques de catastrophes. Ce dernier sujet, d’ailleurs, est d’actualité : le cyclone Batsirai a touché nos États membres, Maurice et La-Réunion, et Madagascar plus sévèrement. La COI est depuis ses débuts engagée dans le renforcement des capacités des services météorologiques et de protection civile. Nous continuerons de le faire.
Cette réunion marque aussi la fin de la présidence Réunion/France de la Commission. C’est aussi l’occasion de faire le point sur les grandes réformes introduites pendant l’année écoulée au niveau de la COI…
La présidence française s’est montrée active. Elle avait d’ailleurs lancé l’année bleue océan Indien, à laquelle la COI a participé. La présidence présentera son bilan avant de passer le flambeau à Madagascar. Concernant les réformes, c’est un mouvement de modernisation fonctionnelle et institutionnelle enclenché depuis 2019. Nous avons modernisé de nombreux “processes” internes, qui améliorent notre efficacité. Mais le chantier n’est pas terminé.
Le 36e Conseil sera l’occasion de faire le point sur ces améliorations soutenues par l’Union européenne. Il sera aussi question de notre plan de développement stratégique. C’est un document extrêmement important, et qui doit cadrer notre action pour les prochaines années, fixer les priorités, identifier les moyens et les ressources. Cela nous pousse à faire de choses plus concrètes et dans ce cadre, l’UE et l’AFD ont indiqué leur disponibilité à soutenir la COI dans cette voie. Ce soutien est aussi le signe d’une appréciation positive de la valeur ajoutée de la COI, qui est la seule organisation insulaire d’Afrique, et du rôle croissant qu’elle joue en Indianocéanie et au-delà. C’est un gros travail puisque la COI a une population qui avoisine les 30 millions d’habitants, très hétérogènes et très différents.
Beaucoup a été fait. Le travail continue. Nous réfléchissons actuellement sur le positionnement global dans de cadre de ce qu’on appelle le post-Cotonou. Il y a aussi les négociations entre l’Europe et l’Afrique. Nous sommes de petites îles. On passe sous le radar. Or, il faut qu’on porte la voix des petits États insulaires en développement de l’océan Indien. Il y a aussi le climat et la biodiversité, qui font partie d’un ensemble. Ce sont des domaines dans lesquels nous sommes acteurs et leaders.
Dans votre message inaugural comme secrétaire général, vous évoquez la nécessité de faire émerger ensemble des solutions collectives face à des défis communs. Si on parlait de ces défis communs ? Pourrait-on faire le point sur le chemin parcouru ?
Je suis satisfait du chemin parcouru, mais on peut toujours faire mieux. Nous faisons tous face à un ensemble de bouleversements systémiques. L’espèce humaine a cette capacité dans cette période actuelle de l’anthropocène d’avoir été à l’origine de ce problème, mais aussi la capacité de se réunir et de régler ensemble les problèmes. Le traitement de la pandémie de Covid-19 en est un exemple. En d’autres temps, pas si lointain, on aurait fait passer l’économie avant la santé. Mais au niveau mondial, on a pris la décision de placer la santé avant l’économie. Oui, on a perdu du pouvoir d’achat, mais on a gardé des gens en vie. On n’avait pas adopté cette démarche par rapport au sida. On a eu cette démarche lorsqu’on a pris conscience du trou dans la couche d’ozone. Une action collective au niveau mondial a amené à changer le mode de production, dont celle des gaz à effet de serre. En deux décennies, on est arrivé à stabiliser le trou dans la couche d’ozone. Cela démontre qu’on est plus résilient ensemble que tout seul. Le jeu collectif est essentiel, c’est l’ADN de la COI. L’une des belles leçons de la vie, c’est que les organismes qui résistent le mieux aux disruptions, ce sont ceux qui coopèrent, qui font preuve de solidarité. C’est bien là notre mission.
Nos îles sont particulièrement vulnérables. Je pense au climat et à la biodiversité. La solidarité est une urgence ! L’Indianocéanie est l’un des 34 points chauds de la biodiversité mondiale et la troisième région du monde la plus exposée aux risques de catastrophes naturelles. Nos projets visent à accompagner la résilience dans nos États membres, à créer les conditions d’une gestion durable des ressources naturelles et des écosystèmes. Ces actions s’inscrivent dans le temps long, mais il nous faut accélérer la cadence, multiplier les efforts. Notre environnement, c’est notre capital premier, c’est le socle de notre développement économique et social.
Et puis, l’autre bouleversement, c’est la santé, qui est devenue un sujet de premier plan. C’est un bien public régional qui mobilise la COI et l’AFD depuis la crise du chikungunya. Le défi, ici, consiste à améliorer les capacités de surveillance et de riposte face aux maladies et, en parallèle, de soutenir les efforts d’une reprise économique.
Vous évoquez la pandémie. Comment s’est manifestée la coopération en Indianocéanie pour y répondre ?
Elle a été concrète et rapide. Dans les situations difficiles, on s’entraide plus facilement. Nous n’allons pas voir ce qui se passe chez le voisin non pas par curiosité, mais pour l’aider au cas où il aurait un problème. Avec l’AFD, nous avons pu mobiliser plus de 4 millions d’euros pour répondre aux besoins en équipements de nos États membres pour la surveillance aux frontières, les analyses et les diagnostics, la prise en charge et la protection des personnels soignants. L’UE s’est jointe à cet effort en accordant un financement de 9 millions d’euros aux activités de notre réseau SEGA One Health.
Nous avons encore tout récemment remis des matériels demandés par les États, comme des ambulances à Madagascar et aux Comores. Nous allons continuer de soutenir nos États pour faire face aux risques pandémiques et épidémiques. Je précise que le Covid-19 ne doit pas faire oublier les autres risques : la dengue, la fièvre aphteuse, la fièvre de la vallée du rift, la résistance aux antibiotiques…
Sur tous ces sujets, nous intervenons directement auprès de nos États aussi bien dans la préparation que dans la riposte ou la recherche. La santé est devenue un secteur emblématique de notre coopération régionale. C’est pareil pour la sécurité maritime, qui est menée collectivement par les États membres dans un cadre très précis.
Le développement durable et le réchauffement climatique sont autant de défis majeurs. Quelles sont les actions communes entreprises dans ce domaine ?
« Gouverner, c’est prévoir », dit l’adage. C’est justement ce que nous visons : plus de prévisibilité, de la préparation, de la prévention. Nous avons signé avec l’Union européenne et l’AFD les premières conventions de financement pour le programme Hydromet, qui renforcera significativement les capacités de prévisions hydrométéorologiques.
Le Fonds vert pour le climat devrait bientôt octroyer un financement aussi, ce qui en fera le plus grand projet de l’histoire de la COI. Concrètement, nous doterons en équipements et formations les services de nos États membres. Il ne s’agit pas seulement de météo, mais aussi de services climatiques. Les administrations publiques et les opérateurs privés disposeront de données leur permettant de mieux planifier leurs activités, d’identifier les risques, d’aménager les territoires. C’est un véritable outil d’aide à la prise de décision politique, économique et sociale. Les secteurs de l’agriculture, de la santé ou du tourisme, par exemple, pourront bénéficier très directement des retombées de ce projet.
Avec l’AFD, nous travaillons aussi à la résilience côtière avec le projet RECOS. Il s’agira d’appliquer des solutions basées sur la nature pour mieux protéger et gérer nos littoraux. Une dizaine de sites pilotes dans la région sera concernée. Il y a également le projet de réduction des risques et de gestion de la réponse avec l’UE. À travers ce projet, nous avons appuyé la Croix-Rouge mauricienne, qui a joué un rôle utile lors du passage de Batsirai pour la sécurité des personnes et les transferts vers les centres de soins.
À Madagascar, nous avons participé à l’action de solidarité collective coordonnée par la PIROI, qui a permis d’acheminer 87 tonnes de matériels d’urgence dans les zones sinistrées (kits de reconstruction, produits de première nécessité, d’hygiène…). Un fonds d’urgence est également activé.
La COI s’inscrit également dans le contexte plus large de l’Indopacifique. Quel est le rôle de la Commission dans ce domaine ?
Combien de temps faut-il au variant d’un virus pour faire le tour du monde ? Une journée. Le paradoxe est qu’on est dans la mondialisation, mais en même temps concernant certains aspects, on démondialise, on re-régionalise. La COI est une organisation de l’espace africain, d’une zone qui peut paraître en marge de l’Indopacifique. En fait, nous y sommes pleinement !
La COI a accueilli l’Inde et le Japon comme membres observateurs en 2020, après la Chine et l’Union européenne. Nous dialoguons avec l’Australie, avec l’IORA et d’autres acteurs du Grand océan Indien et au-delà. La COI et l’IORA formaliseront aussi leur coopération. Cela fait de la COI un acteur de l’Indopacifique.
Notre projection dans l’Indopacifique s’articule particulièrement autour de notre action en sécurité maritime, qui dépasse notre région immédiate. Ce que nous portons, c’est une architecture qui permet de compléter l’image de situation maritime sur la totalité de l’Indopacifique. C’est pourquoi nous prônons la mise en réseau des centres régionaux de Madagascar et des Seychelles avec ceux de l’Inde, de Singapour, du Japon, de l’Australie. Nous avons déjà eu des discussions avec ces centres et, plus largement, avec l’ensemble des acteurs de la sécurité maritime à travers l’ex-Groupe de contact sur la piraterie au large des côtes somaliennes (devenu récemment Groupe de contact sur les crimes maritimes dans l’océan Indien occidental, Ndlr).
Notre action pour la sécurité maritime est remarquée et s’inscrit dans un cadre géostratégique en évolution, dans lequel il y a un besoin de lutter contre les risques, trafics et crimes, mais surtout de mieux coopérer pour atteindre des résultats. Tout naturellement, nous participerons au forum ministériel de l’Indopacifique le 22 février.
La COI est-elle bien équipée pour s’imposer sur cette scène élargie ?
Nos îles paraissent petites et notre organisation semble modeste. C’est une vue de l’esprit ! Nos îles sont des archipels-océans qui contrôlent des espaces maritimes plus vastes que l’Union européenne ! Le rôle politique de la COI s’affirme. Elle gère un portefeuille de projets croissant, qui couvre un large éventail de secteurs du développement durable. La COI est la seule organisation insulaire d’Afrique, si bien que nous portons aussi la voie des îles africaines de l’Atlantique. Le chantier de modernisation doit nous permettre de faire mieux, de disposer des expertises nécessaires pour répondre aux besoins de nos États.
Quelles ont été les avancées enregistrées dans le domaine de la coopération économique ?
Le résultat majeur de la COI, c’est d’avoir accompagné l’installation du câble METISS en 2020. C’est une infrastructure économique et sociale importante, qui doit participer à la démocratisation de l’accès à l’Internet. Dans la foulée, nous avons lancé les premiers travaux sur la protection et la résilience des câbles, parce qu’ils sont stratégiques. Avec la contribution de l’ONUDC, nous avons développé un cadre régional pour faciliter la coopération.
En parallèle, nous continuons de mobiliser les parties prenantes régionales pour l’amélioration de la connectivité maritime en incluant les États côtiers de l’Afrique de l’Est. Les premières consultations, soutenues par le Japon, ont débuté, et des études stratégiques se terminent, notamment sur la faisabilité d’un guichet maritime unique.
Nous allons également démarrer bientôt un projet de développement des industries culturelles et créatives avec le soutien de l’AFD. C’est un authentique projet de développement parce qu’il touchera au patrimoine, à la mobilité des artistes, à la formation professionnelle, à la création, aux métiers de la culture… Il intégrera des appels à propositions pour financer des projets portés par les acteurs culturels de nos pays. Ce sera aussi une contribution directe à l’économie et à l’inclusion sociale puisqu’une attention particulière sera portée à l’égalité femmes-hommes.
Comment la COI participe-t-elle à la relance économique ?
Qu’on comprenne bien : la COI peut apporter un soutien dans les domaines d’intérêt commun. La pandémie a remis à l’avant-plan la question de la régionalisation des circuits agroalimentaires. C’est un sujet important sur lequel la COI, l’Union européenne, la FAO et le FIDA sont mobilisés. Mais il fait aussi tenir compte de la compétitivité. D’où l’importance de travailler sur les questions de connectivité en parallèle, de qualité des semences, de production et de consommation responsables… Il y a aussi l’économie circulaire, qui offre des opportunités pour nos économies. Les projets SWIOFISH2 et ExPLOI y contribuent par la recherche scientifique, l’appui à l’entrepreneuriat, les mises en réseau. Et puis le rebond passera aussi par l’éducation et la formation. Il faut investir plus et mieux dans ces domaines prioritaires. Il faut 25 ans pour former un ingénieur. C’est maintenant qu’il faut s’y mettre ensemble en devançant au mieux les besoins.
Justement, la COI a organisé la semaine dernière les assises régionales de la formation professionnelle et de la mobilité. Qu’est-ce qui est sorti de ces assises ?
L’abbé Grégoire disait : « Il faut éclairer l’ignorance qui ne connaît pas et la pauvreté qui n’a pas les moyens de connaître. » C’était au 18e siècle, et ça reste vrai. Il faut former, former maintenant, former partout, tout le temps, à tous les niveaux.
D’ici 20 ans, nos États membres accueilleront près de neuf millions de jeunes sur le marché du travail, c’est trois millions de plus qu’en 2020 ! Il y a un défi immense en termes de formation, d’employabilité, de financement public, de croissance. C’est un défi de développement économique et d’épanouissement social.
Ces assises ont permis d’identifier les opportunités de coopération en formation professionnelle et en mobilité. Nous avons la possibilité de construire un espace de mobilité autour de la formation dans des secteurs d’intérêt commun, comme l’économie bleue, le tourisme, l’agriculture, le numérique, le BTP ou encore la santé. L’Indianocéanie peut devenir un bassin de compétences diversifiées et recherchées.
Parmi les sujets abordés, il y a la reconnaissance des formations au niveau régional, la certification et la validation des acquis de l’expérience. Nous soumettrons au 36e conseil une note stratégique et les principales orientations d’un projet que nous souhaitons pouvoir lancer d’ici l’année prochaine.
« Nos îles sont particulièrement vulnérables. Je pense au climat et à la biodiversité. La solidarité est une urgence ! L’Indianocéanie est l’un des 34 points chauds de la biodiversité mondiale et la troisième région du monde la plus exposée aux risques de catastrophes naturelles »
« La COI est une organisation de l’espace africain, d’une zone qui peut paraître en marge de l’Indopacifique. En fait, nous y sommes pleinement ! La COI a accueilli l’Inde et le Japon comme membres observateurs en 2020, après la Chine et de l’Union européenne »
« Les assises de la formation ont permis d’identifier les opportunités de coopération en formation professionnelle et en mobilité. Nous avons la possibilité de construire un espace de mobilité autour de la formation dans des secteurs d’intérêt commun, comme l’économie bleue, le tourisme, l’agriculture, le numérique, le BTP ou encore la santé »