La “croisière” n’amuse pas

Lundi dernier, le Premier ministre annonce, en conférence de presse, que le voyage à Diego Garcia, promis après le vote des Nations unies en faveur de Maurice, va commencer le lendemain. En 2019, sur le ton d’un général sur le front, Pravind Jugnauth avait promis aux Chagossiens d’affréter un bateau pour aller à Diego Garcia et accoster dans l’archipel, sans demander la permission aux Anglais. Pour leur montrer la détermination de Maurice de récupérer ses territoires. Il avait précisé que le bateau se rendrait dans les îles de Peros Banhos, Salomon et Diego Garcia avec des passagers, majoritairement Chagossiens, et lui-même comme “Commander in Chief”. Le voyage annoncé lundi dernier est le contraire de ce qui avait été vendu par la com gouvernementale, en 2019. Le voyage de défi contre les puissances « coloniales » — la Grande-Bretagne et les États-Unis — est devenu une « expédition scientifique », avec cinq Chagossiens sur une vingtaine de passagers — fonctionnaires, avocats, journalistes étrangers et MBC — sur un bateau de croisière. Dont la location coûtera aux contribuables mauriciens la bagatelle de Rs 40 millions. Le voyage, devenu expédition scientifique, se fait « avec l’autorisation » de la Grande-Bretagne et des États-Unis, et au lieu d’accoster sur les îles citées, va tourner autour de Blenheim Reef. Pourquoi cette destination précise ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’un atoll situé au nord de l’archipel des Chagos qui fait l’objet, depuis de nombreuses années, d’un contentieux territorial entre Maurice et les Maldives. Contentieux qui fait l’objet d’une plainte actuellement à l’étude au Tribunal international sur les droits de la mer. Dans le cadre de ce contentieux, Maurice a deux mois pour constituer un dossier afin de répliquer aux arguments des Maldives. C’est dans ce but que l’expédition — décrite comme un « survey » par le ministre des Affaires étrangères — vendue comme une avancée maritime guerrière de Maurice dans son combat pour reprendre les Chagos, a été organisée en quatrième vitesse. On en a eu une preuve avec les images de la MBC montrant des équipements avec l’inscription de « Republic of Mauritius » fraîchement écrite avec un feutre !

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Il s’agit en fait d’une tentative d’opération com avec le concours de journalistes étrangers — les locaux ayant été écartés d’office — qui, loin de parler du « survey » lui-même, racontent — ou découvrent — les étapes du long combat mené par tous les gouvernements mauriciens et les Chagossiens pour récupérer le territoire mauricien excisé à l’indépendance. Sans remettre en question les compétences des passagers, on peut se demander comment des avocats, des journalistes et cinq Chagossiens vont pouvoir aider « à récolter des données pour aider à délimiter nos frontières maritimes avec les Maldives », et trouver « des arguments et les évidences nécessaires pour que Maurice ne perde pas 4 800 km2 de sa zone économique exclusive » dans l’océan Indien selon, respectivement, le représentant de Maurice aux États-Unis et par ailleurs chef de l’expédition scientifique, et le ministre mauricien des Affaires étrangères. Une expédition ou un survey dont la pertinence est remise en question notamment par le porte-parole des Chagossiens de Crowley, petite ville anglaise où résident le plus grand nombre de Chagossiens, dans un communiqué publié dans la presse britannique : « Il s’agit d’une expédition vaniteuse au coût obscène, menée sans consultation appropriée avec la communauté chagossienne. »

On a donc essayé de transformer la promesse guerrière faite en 2019 en une expédition scientifique alors qu’il n’est en fait qu’un survey pour étoffer le dossier d’un contentieux territorial entre les Maldives et Maurice. Au lieu de constituer une vraie équipe et d’affréter un navire scientifique, le PMO — ou Lakwizinn, ce qui revient au même — a choisi un navire de croisière et des invités triés on ne sait sur quels critères pour effectuer le voyage. Quant aux Chagossiens participants qui pensaient aller enfin fouler le sol de leurs îles natales, ils ont été embarqués dans une mauvaise opération de com et ne verront leurs lieux de naissance que du pont du navire de croisière. Sans doute avec l’aide de jumelles. Une fois encore, les prétendus experts en communication du Premier ministre ont essayé de monter un coup de com destiné à mettre en valeur ses qualités de dirigeant à la poigne de fer qui tient ses promesses. Une fois de plus, ils ont seulement réussi à le ridiculiser — comme quand ils l’avaient placé devant une fausse carte de Diego Garcia — et à montrer sa propension à répéter tout ce qu’ils lui disent. Ils lui ont fait vendre comme une expédition scientifique pour reprendre les Chagos ce qui n’est, en fait, qu’un « survey » géographique. Quand on sait ce que cette « expédition » va leur coûter seulement en termes de location du navire, on peut affirmer que cette “croisière” n’amuse pas les contribuables mauriciens.

Jean-Claude Antoine

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