Ce lundi marquait la rentrée pour plus de 200 000 étudiants mauriciens, qui ont repris le chemin de l’école, beaucoup sans broncher d’ailleurs. Un retour en classe dans des circonstances nettement différentes des précédents. Certes, depuis le 9 novembre, ces élèves, que ce soit du primaire ou du secondaire, ont été ballottés entre appréhensions et incertitudes quant à la reprise de leurs programmes d’études. Les cours en ligne mis en place pendant ces trois derniers mois n’auront été, dans le meilleur des cas, qu’un palliatif pour les plus débrouillards, et dans le pire un cauchemar pour les plus démunis sans encadrement pédagogique, voire même parental. Ce retour à l’école représente ainsi une nouvelle page tournée pour ces jeunes, qui comptent bien rattraper le temps perdu, pour ne pas dire gaspillé.
A cette occasion, Le Mauricien a fait le tour des établissements scolaires dans les Hautes Plaines-Wilhems, histoire de tâter le pouls des élèves, mais aussi des enseignants et des parents, des partenaires critiques dans le secteur de l’éducation. Partagés entre l’excitation et l’appréhension, tous abordent néanmoins ce nouveau trimestre avec optimisme. Et dans le respect le plus total du protocole sanitaire, pour garder le plus longtemps possible le virus loin des enceintes des écoles de l’île.
Notre Dame de La Confiance : retrouvailles sur fond d’angoisse
8h15. Des parents attendent devant la porte d’entrée de l’école Notre Dame de la Confiance, à Curepipe. Leurs enfants ont déjà passé le seuil de l’école et eux, qui sous l’ordre de la direction ne peuvent aller plus loin, ont décidé de les attendre entrer en classe. Ils sont animés de sentiments souvent contradictoires. Heureux de voir leurs petits reprendre l’aventure de l’école, mais crispés quant aux risques potentiels sur le plan sanitaire, en dépit des assurances en tous genres.
« Babye, fer bon zanfan in ! » lance une maman à sa fille, qu’elle a serrée fort dans ses bras. Dans l’enceinte de l’école, les enseignants accueillent les petits écoliers, et sans broncher, ils présentent tous leurs petites mains pour être désinfectées. La “New Normal”, dira-t-on.
A l’extérieur de l’école, trois jeunes mamans discutent entre elles et se partagent des confidences, aussi bien que des craintes. Si cette rentrée scolaire rythme avec retrouvailles entre copains d’école, elle permettra aux parents accompagnateurs de faire aussi des retrouvailles, entre adultes cette fois, car ayant, au fil des années, tissé des liens d’amitié, ici même, devant ce portail de l’école. « Je suis venue déposer mon petit-fils aujourd’hui et je dois vous avouer que je suis extrêmement contente pour lui »,
confie Jessica.
« C’est merveilleux, car au moins les enfants peuvent désormais sortir, voir leurs amis. A la maison, il y avait beaucoup de tension, et même parfois un peu d’agressivité, car ils ne sortaient pas et voyaient tous les jours les mêmes têtes. Là, mon petit-fils est à l’école, il va jouer, il va dépenser toute son énergie de manière constructive, et c’est tellement mieux pour son épanouissement », ajoute-t-elle.
« Je suis bien sûr un peu triste, mais l’école est importante. C’est leur éducation, leur avenir », laisse-t-elle échapper, avec un petit pincement au cœur. Quant à ses craintes par rapport au Covid-19, Jessica concède : « Le virus est là, qu’on le veuille ou non, et on ne peut pas faire grand-chose, à part prendre ses précautions. Il faut apprendre à vivre avec. D’ailleurs, nous-mêmes travaillons tous les jours, et nous ne savons pas quand, comment et où nous risquons de nous faire infecter par le virus. Donc, le risque de contamination est toujours là. Comme nous disons : il faut vivre avec. »
8h30. La cloche de l’école, après être restée silencieuse pendant des mois, retentit. Les parents retardataires, pressant le pas, se dépêchent de déposer leurs enfants. Devant l’école, un peu à l’écart, la petite Celina, du haut de ses 9 ans, n’ose pas trop s’approcher de ses camarades. « Elle est un peu stressée, mais je pense qu’elle va gérer. Hier elle était tout excitée et voulait retourner à l’école pour voir ses camarades. Mais ce matin, le “mood” a changé », laisse entendre la mère, Elodie Cornet. Elle avoue entretenir des appréhensions, surtout par rapport aux risques d’infection au Covid-19, mais qu’elle a fini par se faire à l’idée qu’il fallait vivre avec, « dans l’intérêt de nos enfants ».
Le va-et-vient est incessant devant la petite école, et les accolades sont nombreuses. Si les enfants s’empressent d’aller revoir leurs camarades, force est de constater que les parents, eux, ont un peu de mal à se séparer de leurs bouts de chou. Yan Gunnoo est de ceux-là. « Je suis content aujourd’hui, dans le sens où mon fils Adam peut revoir ses petits amis. Soulagé aussi d’un côté, car le Covid-19 a eu un gros impact sur les enfants, et je suis un peu déçu aussi dans le sens où il va perdre une année, en sachant que mon fils est né au mois de janvier. Du coup, j’ai calculé : il aura 19 ans quand il terminera son HSC et 20 ans quand il obtiendra ses résultats. Il n’a pas intérêt à redoubler de classe. Et je me dis qu’éventuellement, on aurait pu quand même faire les évaluations avec les élèves et ceux qui ont le niveau auraient pu monter en grade », regrette-t-il.
Le père explique par ailleurs qu’à 8 ans, son fils est toujours en Grade 2 et doit faire encore une année dans la même classe, alors que lui est d’avis que son enfant est prêt pour aller en Grade 3. Yan Gunnoo est d’ailleurs satisfait des cours en ligne, même si c’était « super chaud ». Mais son institutrice, Miss Déborah, de la Grade 2 Yellow, a assuré. « Elle était tout le temps en communication avec nous sur WhatsApp. Elle a fait des Zoom, elle ne s’est pas fiée aux classes de la MBC », se félicite-t-il. Concernant le Covid, il se contente de reconnaître qu’il faut vivre avec et que « c’est une génération qui doit s’adapter ».
Dans la cour de l’école, les petits se racontent bruyamment leurs vacances, et les instituteurs essaient tant bien que mal de faire régner la discipline. « J’étais impatient de retourner à l’école, car tout ce qu’on peut faire en ligne n’a rien à voir avec les cours en présentiel. Je suis aussi impatient de retrouver la classe, les élèves, l’ambiance de l’école. Et revoir le sourire des enfants, cela n’a pas de prix », reconnaît M. Clifford, qui enseigne depuis 23 ans. Il explique par ailleurs que « les cours en ligne ne fonctionnent pas très bien avec les petits ». Il explique : « Déjà en classe, au niveau de la réception, cela peut être 30% et, maintenant en ligne, c’est encore plus difficile, car on ne sait pas si l’enfant est là, s’il assimile les explications. »
Pour ce qui est du virus, l’enseignant n’a d’autre choix que d’afficher la sérénité. « Un protocole a été établi. Les enfants savent quoi faire, ils nettoient leurs tables, ils apportent leur propre gel. Le Covid est là, mais il y a aussi la grippe, qui fait beaucoup de victimes dans le monde, et il faudra apprendre à vivre avec », avoue-t-il.
Cela fait longtemps déjà que cette ambiance de classe n’existait plus. Cette fois, c’est parti pour un premier trimestre plein de promesses pour les élèves, les enseignants et les parents…
Au Curepipe College : « Voir s’il y a des cas de déscolarisation »
Du côté des grands, il y avait autant d’excitation, mais sans les parents ! Pas moins de 900 élèves ont repris les classes au Curepipe College hier, à 8h15 pile. Satisfait de cette première journée, le directeur et recteur de l’établissement, Neetesh Sewpal, avance cependant qu’une lourde tâche et responsabilité attendent son équipe et lui, soit de procéder à une évaluation du taux de déscolarisation, surtout parmi les élèves de Grade 11.
En ce jour de grande rentrée, après le faux départ causé par Batsirai, le directeur du collège ne pouvait que faire preuve de satisfaction. Les salles de classe sont remplies, les enseignants se sont vite mis au travail, même si certains trouvent que « les élèves sont plus bruyants » que d’habitude. « Ils ont beaucoup de choses à se raconter. Surtout après une aussi longue et ennuyeuse absence. »
Neetesh Sewpal reconnaît d’emblée : « C’était très attendu, surtout par apport aux problèmes mineurs rencontrés en ligne, avec notamment des enfants qui n’ont pas pu suivre régulièrement les cours. Nous avons eu 90% ou 95% de participation, mais je vais être franc : ce n’était pas constant. Pour cette rentrée, nous procèderons à un récapitulatif du premier trimestre, qui était en présentiel, et allons recommencer le deuxième trimestre, comme prévu. De ce fait, même les enfants qui n’ont pas pu suivre les cours pour des raisons spécifiques auront l’occasion de se rattraper. Et pour ceux qui étaient présents et qui ont pu suivre les cours en ligne, ce sera comme des révisions. Nous ne pouvons pas continuer les cours sans récapitulatif après quasiment quatre mois d’absence. »
Pour ce premier jour de classe, le recteur note toutefois quelques retards, qui seraient dus peut-être au changement de routine. « Probablement ont-ils oublié les horaires de bus. Mais nous allons assurer le suivi pour mieux discerner les problèmes en vue d’un retour à la normale dans les meilleurs délais », dit-il.
Neetesh Sewpal explique aussi que tout a été planifié pour cette rentrée et que les enfants, « comme d’habitude », auront un “Staggered Lunchtime” et un “Staggered Departure Time”. En cas de contamination au Covid-19, le recteur du collège déplore cependant le manque d’indications précises quant aux procédures à suivre. « Nous avons pris connaissance des grandes lignes pendant la conférence de presse de la ministre, mais nous ne savons pas encore comment cela sera en pratique. Nous avons à notre niveau notre Isolation Room et le gymnase s’il le faut », rassure-t-il.
Neetesh Sewpal est aussi soulagé de l’extension du calendrier scolaire. « Personnellement, je pense qu’il fallait reprendre et étendre le calendrier, et je ne parle pas seulement pour le Curepipe College, mais aussi pour les écoles privées. En ma capacité de vice-président, je pense qu’il ne faut pas pénaliser les enfants qui sont prêts », fait-il ressortir.
Il ajoute avoir eu une discussion avec deux élèves de Grade 13 qui pensaient pouvoir prendre part aux deux examens s’ils n’étaient pas satisfaits de leurs premiers résultats. « Je leur ai dit que ce n’était pas possible, à cause des délais d’inscriptions. Du coup, je conseille à mes élèves d’attendre encore quelques mois, car c’est leur avenir qui est en jeu », s’appesantit-il.
Pour conclure, Neetesh Sewpal reconnaît que son équipe et lui ont du pain sur la planche, car ils doivent appeler chaque parent d’élève qui ne s’est pas présenté à l’école, surtout ceux de Grade 11. « Nous devons voir s’il y des enfants qui ont décidé d’arrêter. » Et ce n’est que le début de la première “Full Year Schooling Post-Covid-19”…