C’est un grand classique : lorsqu’il tonne dehors et que la population est exaspérée par un mort post-Batsirai, qu’elle découvre que le pays super « développé » qu’on lui présente a encore des problèmes de fourniture d’eau et d’électricité à la moindre rafale et que de pauvres pensionnés sont roulés dans la farine et qu’ils ne toucheront que le 7 du mois leur dû, même la partie contributive, il n’y a qu’à balancer une information politique qui va faire jaser pendant quelques jours.
C’est ce qui s’est passé hier avec l’annonce de l’adhésion de sept “nouvelles” recrues au Sun Trust. Si cette annonce n’est pas inhabituelle et qu’elle fait même partie du folklore mauricien, le retour sur le parcours des protagonistes ne peut que confirmer à quel point la politique, ici, est question d’intérêt et d’appétit pouvoiriste.
Les revenantes d’abord. Prateebah Bholah et Gaytree Dayal retrouvent les ascenseurs du Sun Trust après des parcours aussi sinueux que divers. La première nommée fait ses premières armes au MSM et est présentée comme candidate aux élections de mai 2010 sous la bannière de l’alliance PTr-MSM-PMSD. Elle est élue en première position à Piton/Rivière du Rempart. Puis éclate l’affaire MedPoint qui pousse Pravind Jugnauth et le MSM à claquer la porte du gouvernement en juillet 2011. Ayant pris goût à son poste de PPS, l’élue du MSM qui affirmait haut et fort qu’elle « reste fidèle au MSM » choisit finalement de quitter le Sun Trust en août 2012 et de faire route avec Navin Ramgoolam.
Elle rejoint le PTr, se présente sous la couleur rouge en 2014 face à Pravind Jugnauth, mais mord la poussière. Suite à certains propos et comportements, elle est expulsée du Labour Party et déclare en février 2020 qu’elle « regrette d’avoir quitté le MSM ». C’est tout dit et l’affaire est entendue ? Son époux Hurydev Bholah, directeur de la National Development Unit, avait été suspendu après son interrogatoire par la police dans le sillage des diverses enquêtes initiées par le gouvernent Lepep après son arrivée au pouvoir en décembre 2014. Il sera toutefois réintégré en 2016.
L’incident « vender » d’octobre 2019
Gaytree Dayal revient, elle, après un long transit au MMM qu’elle a représenté aux dernières élections générales au N°15. Elle a démissionné de toutes les instances mauves en octobre dernier en annonçant la couleur. N’a-t-elle pas affirmé avec beaucoup d’allant que le « MSM a apporté beaucoup en termes des développement ». Celle qui déclare ne pas être « opportuniste » n’a pas attendu longtemps pour changer de casaque, à peine trois mois. Comme une Dayal peut remplacer un Dayal, Gaytree pense pouvoir marcher dans les pas de feu Raj Dayal récemment décédé en plein procès Bal Kouler.
Les anciens MMM, puis Mouvement Patriotique et un peu Plate-forme Militante Atma Bumma et Vinay Soburn ont eu un itinéraire non moins kas kontour. Vinay Sobrun avait pris ses distances du MMM après les élections de 2014 pour être tantôt du côté du MP d’Alan Ganoo puis avec Steve Obeegadoo et la Plateforme Militante. Il revient au MMM en juillet 2020. Puis changement de programme avec la perspective d’une investiture qui s’éloigne. Celui qui rêve d’être député quitte de nouveau les mauves en septembre 2021.
Il est désormais officiellement pensionnaire du Sun Trust. Et peut-être même qu’il pourra succéder à un ancien camarade, Sanjeeven Permall, brusquement débarqué de la Cargo Handling Corporation sans motif apparent ou, du moins, connu de la place publique.
Atma Bumma, lui, s’est bien démené pour retourner au MMM dont le Bureau politique avait finalement tranché contre sa réintégration. Celui qui a été annoncé comme un nouveau membre du MSM se retrouvera sur la même plateforme gouvernementale que son ancien collègue de partis, MMM et Mouvement Patriotique, Alan Ganoo. Et là, certains se délecteront de la vidéo largement partagée et accessible sur YouTube de ce fameux incident du 9 octobre 2019 au siège de la commission électorale pendant l’exercice d’enregistrement des partis en prévision du scrutin du 7 novembre.
Le pétitionnaire qui se rebiffe
Les échanges étaient pour dire le moins extrêmement virulents. Atma Bumma commence par traiter Alan Ganoo de « vender », c’est-à-dire celui qui, le matin, disait non à tout rapprochement avec le MSM pour annoncer dans l’après-midi qu’il rejoignait l’équipe de Pravind Jugnauth. La réponse d’Alan Ganoo, ce jour-là, n’en était pas moins cinglante : « toi ki vender, to ti sou, koz ca Rs 8 millions, moi ek Baloomoody ki ti empes toi vender ». Les deux compères qui vont gaiement se retrouver au sein de la même alliance étaient dans des camps différents lors des dernières élections générales, Atma Bumma avec les rouges comme candidat contre Pravind Jugnauth au N°8 et Alan Ganoo au N°14 avec le MSM.
Si les autres recrues du Sun Trust ne sont pas aussi connues, elles ont quand même fait parler d’elles. À commencer par Roshan Seetohul, associé au secteur de l’externalisation et longtemps membre du PMSD jusqu’à mai 2021. On se souvient aussi de lui pour avoir engagé un bras de fer avec Dan Maraye alors que ce dernier était le directeur d’Airports of Mauritius Ltd et, lui, Chairman de la même organisation, au point où Navin Ramgoolam les vira tous les deux de la compagnie publique.
Le cas de Shah Javed Khudurrun est fort instructif. Celui qui est un fervent travailliste dans la circonscription N° 8, celle de Pravind Jugnauth, furieux de la tournure des événements après les élections, avait logé une pétition demandant à la Cour suprême d’invalider l’élection du leader du MSM, mais aussi celle de ses colistiers Leela Devi Dookun-Luchoomun et Yogida Sawmynaden. Les choses allaient bon train et c’est Me Gavin Glover qui conduit les démarches légales de l’opposition pour contester les élections qui représentait le pétitionnaire de la route Bois Chéri à Moka.
Or, le 18 novembre 2020, l’avocat de Shah Javed Khudurrun a, à l’appel du procès, annoncé que son client ne souhaitait plus aller de l’avant avec sa pétition qui, en conséquence, a été tout simplement rayée. C’était tout juste un mois après le décès de l’activiste MSM Soopramanien Kistnen. Et c’était aussi six mois après que Shah Javed Khudarrun a dénoncé une « vendetta politique » selon laquelle son employeur Nundun Gopee — un super protégé de la cuisine, qui a obtenu des contrats et du financement de la Mauritius Investment Corporation, et dont le directeur Avinash Gopee est aussi le président de la Tourism Authority — l’aurait mis à la porte en mars 2 020, une semaine seulement après y avoir été embauché comme conseiller des ventes.
Lorsqu’on regarde de plus près la séquence, on devine aisément ce qui a pu se passer. Et aujourd’hui, Shah Javed Khudurrun est au Sun Trust et il confirme amplement l’adage selon lequel « if you can’t beat them, join them ». On ne sait pas quel est le lien de parenté de la nouvelle recrue du MSM avec un autre Khudurrun, Nawshad qui lui avait dénoncé un conseiller de Yogida Sawmynaden pour offre de pot de vin dans le cadre d’un contrat pour la réalisation d’un clip pour la Sports Gala Night du Mauritius Sports Council. Comme quoi, il se passe toujours quelque chose au N°8, n’est-ce pas?
L’affidavit venu de nulle part
La dernière recrue annoncée hier, Kamlesh Seechurn, s’était déclarée MSM d’origine avant de rejoindre le Reform Party de Roshi Bhadain. Ici aussi, il y a des séquences intéressantes. Celui qui est Chief Operating Officer de la compagnie Xamm Pest Control Specialists se présente même aux élections de novembre 2019 à Grand-Baie/Poudre d’Or. Enregistré comme représentant de la « population générale », il ne recueille que 284 voix. S’il reste dans le giron du Reform Party, il se fait de plus en plus discret jusqu’à novembre 2020, lorsqu’il jure un affidavit pour soi-disant raconter les dessous du dossier Angus Road de Roshi Bhadain qu’il fuit depuis comme la peste.
Voilà le pedigree de ceux qui ont été annoncés en grande pompe hier. Si l’étonnement n’est peut-être pas de mise, le dégoût, lui, n’est pas interdit !