Fondé en 1908 par Eugène Henry, Le Mauricien est le plus ancien journal du pays depuis la disparition du Cernéen. Raoul Rivet prend la direction du Mauricien en 1922 lorsque Eugène Henry décide de quitter le journal. Il fit ses adieux le 31 janvier. Raoul Rivet devint ainsi le 1er février, il y a 100 ans, le directeur du Mauricien dont il s’en rend acquéreur en 1925. Deux messages adressés aux lecteurs du journal, l’un d’Eugène Henry, datant du 31 janvier 1922, et l’autre de Raoul Rivet, datant du 1er février 1922, témoignent de ce passage de témoin.
Mardi 31 janvier 1922 – Le Mauricien
Au Lecteur
Je viens vous faire mes adieux et vous remercier chers lecteurs, de l’appui que vous avez bien voulu me donner depuis 1908, et qui m’a été d’un si grand réconfort. Fondé il y a quatorze ans, avec l’aide morale d’amis que je m’honore de pouvoir toujours appeler de ce titre, le MAURICIEN de 1908 n’a jamais dévié de la ligne de loyauté, de probité et d’honneur qu’il s’était tracée.
De mes relations avec la plupart de mes confrères, je n’ai jamais eu qu’à me louer, plusieurs m’ont même témoigné une estime dont je suis fier, une sympathie dont je leur suis profondément reconnaissant.
La rédaction est confiée à un jeune homme, jeune encore, et de haute culture intellectuelle, que j’ai pu suivre, étudier et apprécier. Il s’est déjà tant fait connaitre des lecteurs de ce journal que point n’est besoin de le leur présenter. Mr Raoul Rivet a donné la mesure de son beau talent d’écrivain et de polémiste. Il est incontestablement digne de la confiance de ses amis et du public et du poste d’honneur et de combat auquel son seul mérite vient de l’appeler.
En terminant, je remercierai mes excellents collaborateurs de l’aide qu’ils m’ont donnée, mieux du dévouement qu’ils m’ont montré. Qu’ils veuillent bien accepter ici l’expression de ma profonde et bien sincère reconnaissance,
EUGENE HENRY
Mercredi 1 février 1922 – Le Mauricien
Avant-Propos
Les habitués du MAURICIEN qui nous font l’honneur de nous lire depuis nos débuts dans ce journal, n’attendent pas aujourd’hui, sans doute, un programme de taille pour être fixé sur notre ligne de conduite. En changeant de directeur, ce journal garde son titre, sa devise, ses traditions, et nous pouvons affirmer qu’il continuera à être un organe vraiment Mauricien, qu’il sera une tribune libre, ouverte à toutes les opinions raisonnables.
Nous ne sommes pas un organe de PARTI ; nous ne ferons aucune politique de parti. Ceci dit nettement, pour prévenir ou détruire tout équivoque.
Nous sommes un organe indépendant, libéral ; notre but est de défendre, l’intérêt mauricien, sans nulle restriction.
Nous prônerons avec énergie l’union politique entre toutes les classes de la communauté mauricienne, car maigre des divergences inévitables sur telle ou telle question en dehors, il est essentiel que nous soyons d’accord dès qu’il s’agit de défendre des principes communs sur lesquels repose notre entité.
L’UNION FAIT LA FORCE : cette devise qui est la nôtre devrait être la première raison politique de chaque Mauricien bien-pensant. Tous nous devons comprendre que l’union est d’impérieuse nécessité en face du troublant avenir.
Ce journal sera entièrement au service de la cause mauricienne. Pour cela, il fait appel à toutes les bonnes volontés. Il sera contre la réaction pour le progrès, contre l’inertie. Il ne s’opposera qu’à l’autocratisme et à l’arbitraire. Il dénoncera les abus, d’où qu’ils viennent, et tiendra l’honneur de rendre justice en toute occasion ou mérite, ses éloges et ses critiques seront animés de la même impartialité, de la même franchise.
Nous entrons définitivement dans la lice avec des résolutions bien fermes. Notre plume est loyale, elle ne faillira jamais à la mission d’honneur qu’elle s’est tracée…
Nous combattrons à visage découvert. En retour nous attendrons de nos amis un appui bienveillant et affectif, de nos adversaires le respect de nos opinions, sinon de notre humble personnalité.
En terminant, nous exprimons à M.E. Henry la reconnaissance que nous lui avons vouée pour sa constante sympathie à notre endroit ; sympathie dont il vient de nous donner un témoignage public. C’est à lui que nous devons d’avoir débuté, il y a trois ans dans une profession que nous avons aimée avec passion. La grande expérience de M. Henry nous aura été d’une d’aide précieuse.
À l’heure que, sa tâche accomplie, il se retire du journalisme et où nous lui succédons à une place, qu’il a occupée avec distinction durant nombre d’années, nous tenons à lui dire ici notre bien vive gratitude.
RAOUL RIVET
Depuis lors, Raoul Rivet a été l’acteur principal de son journal d’information et d’opinion. Ce démocrate inné et polémiste acerbe a plus d’une fois fait reculer l’arbitraire et l’abus de pouvoir alors que son indépendance l’a conduit à dénoncer sans relâche les abus et les injustices. Il a aussi été poète enflammé et écrivain qui mettait en avant son admiration pour la langue française et la France au point d’être fait chevalier de la légion d’honneur. On lui attribue à cet effet cette citation : « Je dois à la France d’être un homme pensant ».
Il a aussi marqué son temps par ses activités politiques où il privilégia la lutte en faveur de la justice sociale. Maire de Port-Louis en 1934, 1935 et 1944, Raoul Rivet avait siégé au Conseil Municipal durant 22 ans, de 1924 à 1946. Il était aussi un turfiste passionné. En tant que propriétaire de chevaux, il connut même la consécration du Maiden Cup en 1956 grâce à la jument Roseraie.
Raoul Rivet, qui naquit en 1896, décéda le 29 novembre 1957 à l’âge de 61 ans. À cause de son inlassable combat pour la liberté de la presse mais aussi pour avoir été à la base du regroupement Advance-Le Cernéen-Le Mauricien en une « feuille commune » pendant plusieurs années, à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale, trois quotidiens, en l’occurrence Advance, Le Cernéen et Action, décidèrent de ne pas paraître le jour de ses funérailles. C’est son fils Jacques Rivet qui lui succéda et dirige le journal depuis plus de 60 ans.