En ce moment : “Je suis dans la vague.” Au réveil tout va bien. Le café est bon, la journée s’annonce palpitante, la vie est belle. Puis un nuage apparaît dans le décor. Progressivement, il s’épaissit, obscurcit la scène et déverse des trombes d’eau sur elle. La tempête l’écrase. Pour rester debout, il faut s’opposer aux rafales, se battre contre les bourrasques. Lancer une guerre. Contre elle-même. “Se battre contre les autres c’est une chose. Se battre contre soi c’est autre chose. Il n’y a rien de plus dur.” Cette vague qui la bouscule dans tous les sens l’a happée depuis décembre.
Ces deux dernières années, à chaque fois qu’elle se retrouve dans cette phase elle se voit projetée sur le champ de bataille. S’ensuit une bagarre violente contre ces changements d’humeur qui la poussent vers des extrêmes. Vers tout ce qu’elle n’est pas. Pleurs, peurs, désespoir, fatigue, anxiété, mal-être étouffent sa joie de vivre. Son beau et grand rire qui rayonne sur les écrans depuis quelques années disparaît. Sa personnalité lumineuse s’enfonce dans l’obscurité. “Tout cela, ce n’est pas moi. Je suis cette personne drôle qui sourit toujours. Là, ce n’est pas Sheryl.”
Pour tenter d’émerger de ces abysses : “Je m’en prends à moi. Je me force à sortir de là. Je m’impose des choses au lieu de me comprendre.” Ce qui est peut-être la solution. Ou pas. N’ayant jamais eu la réponse elle se ressasse la question. Et se dit souvent : “Non, je ne suis pas folle.” Elle nous le répète trois ou quatre fois : « Je sais que je ne suis pas folle. » Il lui a fallu du temps pour comprendre qu’elle n’avait pas sombré dans la folie. C’est en parlant à une amie qu’elle a pris conscience que ce mood swing est l’un des effets secondaires du traitement médical contre l’endométriose (voir hors texte) qu’elle suit depuis deux ans.
Mais, aussi violents que soient ces effets, il est difficile pour elle d’arrêter le comprimé. Si elle le faisait, cela la plongerait dans un autre enfer. Là-bas, la douleur est physique, d’une intensité qu’elle ne peut nommer. Levant les yeux au ciel elle cherche le mot approprié. “Non, je ne vois pas comment l’expliquer.” Autant la décrire : “Cela arrive quand j’ai mes règles. Tout commence par le stress. Puis viennent les contractions et en une trentaine de minutes je peux me retrouver à terre, terrassée par la douleur. Je tremble, je transpire, mon corps ne me répond plus. Je dois m’allonger, ne pas bouger et tenter de dormir.”
Âgée de 26 ans, c’est ainsi qu’elle vit depuis ses 16 ans. “Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai dû être transportée parce que je m’étais évanouie.” Toute la panoplie d’antidouleurs y est passée. La plupart des médicaments sont sans effet. Pire, à force de s’en gaver, au bout de certains temps, elle avait développé une gastrique aigue qui l’avait contrainte à un régime strict. S’en était fini des pizzas et des autres bonnes choses qui lui faisaient plaisir. “Il me fallait faire attention à tout ce que je mangeais en permanence et suivre un autre traitement pour la gastrique tout en continuant les antidouleurs.”
Ce cercle vicieux qui s’accompagnait de bien d’autres troubles, elle ne l’avait pas vu se mettre en place. Collégienne au St Andrews à l’époque : “Nous pensions tous que ces troubles n’étaient que des règles douloureuses.” Le gynécologue où elle avait été conduite par sa mère lui avait prescrit des pilules pour interférer avec ses hormones. “Cela m’avait un peu soulagée. Mais en contrepartie, j’avais des crises de larmes, je me sentais perdue. J’ai finalement arrêté la pilule.” Les douleurs étaient de retour, s’intégrant de nouveau dans sa vie tandis qu’elle se révélait de fort belle manière dans le domaine de l’audiovisuel, de l’acting, de l’animation, de l’humour, entre autres.
Un sourire frais, un sens de l’humour authentique, à l’aise devant le public comme devant les caméras, décomplexée Sheryl Smith n’a pas mis longtemps à séduire le public et les média. Une reconnaissance qu’elle n’a pas forcée mais qui est venue à elle au fur et à mesure des projets dans lesquels elle était engagée. Qui connaît un peu le personnage sait que la Miss vit à un rythme effréné pour donner corps à ses rêves. Et des rêves, elle en a toujours. Certes, elle n’est pas devenue chanteuse comme elle l’espérait quand elle avait cinq ans, mais rapidement elle s’est découvert d’autres potentiels apprenant au passage les claquettes, la musique et tout ce qu’elle pouvait explorer. Tout cela, en affrontant ses démons et sans jamais montrer cette autre facette.
Dans quelques mois, elle ne pourra plus continuer les comprimés qui lui ont été prescrits par le médecin que lui avait recommandé la mère de Vincent Duvergé. Cette dernière avait décelé la vraie nature du problème de la compagne de son fils et lui avait proposé de voir son médecin. « C’est à ce moment que j’ai compris que ce n’était pas des douleurs de règles, mais de l’endométriose. » Tous les troubles qui affectaient son corps, ses organes et qui lui imposaient un stress constant s’expliquaient enfin. Une lueur apparaissait, mais ce n’était pas donné.
Les nombreuses visites chez le médecin étaient en elle-même très onéreuses. Pour mieux comprendre son état afin de définir le traitement qui lui est approprié elle a besoin d’une cœlioscopie. Cette chirurgie permet d’accéder à l’intérieur de l’abdomen par de petites incisions pour y faire passer des caméras. En attendant de réunir la forte somme qui sera nécessaire pour cette intervention, elle prend les pilules qui lui évitent la douleur physique, mais qui provoquent les troubles psychologiques.
« J’aime être heureuse, je suis une personne heureuse en général. Depuis que je prends ce traitement, j’ai changé et j’apprends à vivre avec. » Si son image publique n’a pas été affectée, Sheryl Smith est consciente d’avoir pris des distances des autres, bien malgré elle. Aussi, l’affirme-t-elle : « J’aime les gens et ça n’a pas changé. Mais mon état m’empêche d’aller vers eux et d’être moi-même. J’ai développé une anxiété et j’ai perdu beaucoup d’amis parce que j’ai du mal à fréquenter les gens.» L’acting lui offre cependant un refuge. La souffrance ressentie en coulisses s’évapore aussitôt qu’elle rentre dans un de ses personnages devant la caméra : « L’acting m’aide, c’est my happy place. Mon Monde de Narnya. »
La compréhension dont lui témoigne Vincent Duvergé lui est précieuse. Sa patience l’aide à avancer, et de son côté, elle n’arrête pas de faire ses efforts. Mais : « C’est comme aller à la guerre. Parfois, tu es blessée, fatiguée et tu tombes. Parfois, tu vas mieux et tu te relèves pour avancer. »
La voix un peu cassée, tout en gardant le contrôle, elle parle des journées qu’elle espère vivre bientôt : « Il s’agira de journées normales où je me réveillerai de bonne humeur, excitée de ce qui m’attendra. Je ferai ma prière, je méditerai, je travaillerai ensuite sur un script ou sur un plateau de tournage. Et à la fin de la journée, je me reposerai enfin. » En attendant de passer à l’autre étape de son traitement, elle se répète : « Je dois être gentille avec moi-même. Je dois aller voir une personne qui pourra m’aider à être heureuse. Mon souhait c’est d’être heureuse. Je ne sais pas si je le suis. Je ne dis pas être malheureuse. Mais c’est dur. Je veux être en paix avec moi-même. »
Depuis quelque temps, pour exorciser ses démons et les tabous, Sheryl Smith parle de son état sur les réseaux où l’on s’est habitué à sa bonne humeur, ses belles photos et ses vidéos. En parler est important pour elle, pour toutes les autres. « Je suis contente de donner cette interview parce que beaucoup de filles vivent la même chose que moi. Qu’elles comprennent qu’elles ne sont pas folles. Qu’elles ne sont pas seules. Dans les échanges que nous avons j’ai entendu beaucoup de femmes dire que leurs vies s’étaient arrêtées. »
Le soutien mutuel est d’une grande aide, explique-t-elle. Il apporte des réponses, brise des silences et fait jaillir l’espoir nécessaire pour croire en la vie. Pour Sheryl Smith, un fait reste indéniable quand on parle de la vie : « C’est une opportunité. It’s one chance. You have only one shot to explore everything that you want.”