Dans une interview qu’il nous a accordée, le président de la commission du Développement durable du MMM, Avinaash Munohur, insiste sur le fait que le développement durable ne se limite pas à l’écologie, mais englobe également l’économie et la régénération sociale. Cette commission des Mauves a été créée l’année dernière et comprend aussi Joanna Bérenger, Danielle Bastien et Nabil Moolna. Elle a déjà produit une première étude consacrée à l’impact socio-économique du Covid et de la marée noire sur Mahébourg et les régions environnantes. La publication d’études sur la sécurité alimentaire et la transition énergétique est aussi envisagée. Par ailleurs, Joanna Bérenger a, dans une récente intervention parlementaire faite à l’ajournement des travaux, proposé la création d’un comité regroupant les parlementaires du gouvernement et de l’opposition consacré au développement durable.
Cela fait plus de six mois que la commission du Développement durable a été instituée. Quelle est sa pertinence dans le cadre des structures du MMM ?
Au sortir des élections de 2019, nous avions clairement remarqué sur le terrain une vraie soif pour les enjeux liés au développement durable à Maurice. Nous avions noté un intérêt prononcé chez les jeunes mais il n’y avait pas qu’eux. D’ailleurs, nous avons vu des personnes se mobiliser en signe de protestation à chaque fois qu’on détruisait la nature ou qu’on abattait les arbres pour faire place aux infrastructures publiques. C’est le cas pour la protection de l’environnement, pour la protection des plages, des côtes et des littoraux. C’est également le cas pour l’environnement en général et pour la qualité de la vie.
Que ce soit dans les régions rurales ou urbaines, nous constatons une prise de conscience de plus en plus évidente. Forcément, la question de l’environnement dans lequel nous vivons est intimement politique parce qu’elle dépend de tous les projets d’infrastructures, de développement, etc. Il était donc normal que nous proposions la mise en place d’une commission du développement durable.
Au départ, l’objectif de la commission était orienté vers l’écologie mais nous avions favorisé le terme développement durable parce qu’il dépasse le domaine écologique.
Que comprenez-vous donc par développement durable ?
En premier lieu, le terme comprend l’aspect de développement et celui de durabilité. Lorsque nous parlons d’écologie à Maurice, nous avons tendance à nous marginaliser parce que nous sommes perçuscomme des écologistes qui ignorent tout de l’économie. D’où notre décision d’opter pour le terme développement durable. Ce qui nous permet de projeter l’image d’une commission qui s’intéresse aux grands enjeux sociétaux et environnementaux et de les mettre en lien avec le développement économique. Nous ne voulons certainement pas opposer l’écologie à l’économie.
Notre postulat est qu’avec les impératifs liés aux changements climatiques et les enjeux du 21e siècle qui sont différents de ceux du 20e siècle, nous sommes au début d’une quatrième révolution industrielle. Cette révolution doit prendre en compte les impératifs de durabilité, de renouvellement des ressources, de protection des océans, l’aménagement du territoire, l’urbanisme.
L’urbanisme ne se limite pas à penser uniquement avec les routes et du béton. Il doit intégrer une certaine conception du vécu. Par exemple, une des raisons pour lesquelles Paris a été choisie pour organiser les Jeux Olympiques réside dans son projet de consacrer 40% de la ville aux espaces verts. Le développement urbain doit prendre en compte impérativement les espaces verts. J’ai été candidat à Curepipe/Midlands (No 17) lors des dernières élections générales et je peux vous dire que cette ville devient de plus en plus délabrée et perd ses espaces verts au profit du béton. Or l’urbanisme consiste à créer des endroits où les citadins peuvent se sentir dans une vie naturelle en milieu urbain. C’est la qualité de la vie qui en bénéficierait. Je ne dis pas qu’il ne faut pas créer des routes et des projets immobiliers
Le développement durable couvre donc une variété de secteurs ?
Lorsque nous parlons de développement durable, nous parlons bien évidemment d’enjeux écologiques mais également de l’économie des entreprises, d’emploi, de régénération sociale. Je suis convaincu que les gros problèmes que nous vivons, comme l’explosion des drogues synthétiques, demandent que nous mettions en place un encadrement légal pour pénaliser ceux qui sont coupables d’un tel trafic.
Au-delà de ce problème, il faut aussi prendre en considération le mal-être de la jeunesse. D’où la nécessité de la création d’espaces interactifs où ils peuvent pratiquer le sport, pratiquer la marche, promener leurs chiens et interagir avec les autres jeunes. En gros, je ne règle pas le problème de la drogue uniquement sous l’angle de la criminalité. C’est, entre autres, de cela que je parle lorsque je dis que le développement durable est un enjeu social. En gros, nous parlons de la protection de la société dans son ensemble. Depuis la création de la commission, y a-t-il eu des études et des propositions concrètes ? Notre acte de naissance est notre manifeste. Il a pour objectif de faire un constat de la situation à Maurice, de définir notre vision de développement durable et finalement de conclure un pacte sociétal avec les Mauriciens.
Notre premier document est consacré à l’impact socio-économique du Covid et de la marée noire sur Mahébourg et les régions environnantes. Cela nous a permis de mettre en application ce que nous préconisons dans notre manifeste. Nous avons été à la rencontre de la population des pêcheurs, des banians et des plaisanciers. Nous avons aussi rencontré les Ong qui ont été actives à l’époque du Wakashio autour de la marée noire. Nous avons constaté que les habitants de cette région ont été victimes de deux vagues de dégâts. Il y a eu d’abord le Covid et la fermeture des frontières et la marée noire. Nous avons constaté à quel point une région comme Mahébourg est extraordinairement exposée. Or, nous ne disposons pas de mécanisme qui leur permette de se réhabiliter.
Le désastre du Wakashio aurait dû provoquer chez nos décideurs la volonté de repenser la vie de ces populations. Lors de son voyage à Glasgow, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a rencontré un investisseur concernant un projet nécessitant une somme de Rs 14 milliards au Bouchon. Ce genre de projets a des impératifs d’investissement social. Ce qui fait que le gouvernement aurait dû trouver un moyen pour que ceux qui sont les plus touchés par la marée noire soient partie prenante de ces investissements sociaux. J’espère que ce sera le cas. Donc, vous estimez que les grands projets d’investissement doivent comprendre une dimension sociale… Au début des années 2000, le concept du CSR a été implanté dans cet esprit. Il y a eu des choses qui ont été effectuées par rapport au CSR Scheme. Je n’entrerai pas dans les détails concernant l’utilisation de ce plan mais il me semble essentiel que tout projet d’envergure doit prendre en considération son environnement social. On ne peut lancer de projets de cette envergure, il faut comprendre la sociologie et l’anthropologie de la région, sinon on apportera un élément de perturbation qui ne pourra être contrôlé.
Mahébourg, Pointe-Jérôme ou Le Bouchon sont des villages où prévaut une vie communautaire avec ses pratiques sociales et une manière de vivre. Il devrait pouvoir avoir un mot à dire dans l’élaboration de ces projets.
Est-ce cela l’esprit de développement durable ?
Tout à fait. L’esprit de développement durable consiste à apporter du développement en tenant compte de son impact sur la société. Cette dernière doit être partie prenante de ce développement. À ce propos, je pense que Rodrigues est un exemple phénoménal pour Maurice. Je suis très admiratif des Rodriguais. Regardez ce que font les autorités rodriguaises par rapport à la pêche à l’ourite, au plastique et au lagon. Ils comprennent leurs lagons et comment les protéger et ils le font. Voilà une population qui comprend son environnement et son monde. Prenons les pêcheurs de Mahébourg : ils nous ont fait comprendre qu’ils sont les premiers à encourager un agenda de la pêche saisonnière dans la région.
Pourquoi le ministre de la Pêche ne les écoute pas alors que les pêcheurs savent où il faut pêcher et où on ne peut pas le faire ?
Ces mêmes pêcheurs sont d’avis que la ferme d’aquaculture aurait dû être créée plus loin. De plus, ils auraient souhaité y trouver un emploi pendant la période durant laquelle ils n’ont pu se livrer à leurs activités de pêche en raison des problèmes provoqués par le Wakashio. Est-ce que ce sont les projets que vous proposez dans le document produit par la commission du Développement durable ? Le document fait un constat des propositions formulées par les pêcheurs. Nous relayons ces propositions parce que nous ne voulons pas nous mettre à la place des personnes qui s’y connaissent. Nous ne faisons que rencontrer les gens et rassembler le maximum d’informations afin d’avoir une compréhension agrandie des choses qui nous permettra, par la suite, de faire des propositions. Qui décide des thèmes sur lesquels la commission du Développement durable doit travailler ? Pour ce qui concerne le premier Position Paper, il était pour nous tout à fait naturel que nous nous intéressions à la marée noire. Pendant la marée noire, l’attention du monde était fixée sur Mahébourg. Un an plus tard, on n’en parle plus alors que c’est un an plus tard qu’on voit vraiment les conséquences.
Les pêcheurs vous diront qu’il existe encore une couche légère d’huile sur l’eau et déplorent qu’aucun rapport n’ait été publié à ce sujet. Le déversement d’huile a provoqué un drame écologique, mais aussi un vrai drame social, écologique et économique se joue aujourd’hui. Il faut trouver une solution afin de permettre à ces populations dans les conditions environnementales de l’après-Wakashio de pouvoir réinventer leurs métiers.
Avez-vous d’autres projets en cours ?
Nous poursuivrons la publication de nos Position Papers. La commission s’intéresse à tous les problèmes liés au développement durable. Nous comptons nous intéresser à la conversion énergétique qui nécessite plusieurs mois de travail, à l’agroalimentaire à Maurice, entre autres. La chaîne d’approvisionnement a été très perturbée par la pandémie de Covid-19. En fait, le Covid-19 va changer la manière de penser la globalisation. Si nous étions dans un système où tout était libéralisé, que ce soit la circulation des personnes, les capitaux et le flux de marchandises, il y aurait eu un ralentissement. La question de chaîne d’approvisionnement est très intéressante à observer.
Depuis une année, les grosses compagnies maritimes ont adopté une nouvelle stratégie. Elles placent des commandes en vue de la construction de très gros navires pouvant transporter jusqu’à 2 000 à 3 000 conteneurs. Nous assisterons à une réduction du nombre de navires. Ce qui pourrait avoir un effet sur des ports comme Port-Louis. Cela demandera une révision de notre stratégie. Tenant compte du fait que sommes entièrement dépendants des importations, il nous faudra songer à constituer des réserves stratégiques en médicaments, en grains secs, etc. Cela deviendrait une priorité durant les trois ou quatre prochaines années.
Pour revenir à nos Position Papers, il est clair que l’indépendance énergétique de Maurice deviendra un vrai problème dans les prochaines années. Ce sera également le cas pour la sécurité alimentaire. Ces deux axes sont porteurs d’un modèle de développement. La COP 26 à Glasgow a été un événement majeur sur le plan mondial l’année dernière. Qu’en pensez-vous ? On s’attendait à une COP 26 plus décisive sur certaines choses. En fait, la COP est un événement géopolitique comme un autre dans le sens où ce sont des négociations. Prenons le cas de l’Inde qui introduit à la dernière minute le concept de retrait progressif du charbon au lieu d’une sortie brutale.
En fait, on ne peut pas s’attendre qu’un pays de 1,2 milliard de personnes, dont 70% dépendent du charbon pour leurs besoins énergétiques, abandonne le charbon du jour au lendemain. Ce qui nécessite des compromis.
Par ailleurs, nous ne sommes pas encore dans une position où l’énergie renouvelable est en mesure de prendre la place de l’énergie fossile. Il y a des avancées certaines. Il y a des batteries qui sont actuellement en création et qui représentent une alternative très crédible capable de faire de gros stockage d’énergie.
À Maurice, nous devons rester ouverts aux développements technologiques et dès que la technologie deviendra un investissement viable, le gouvernement doit investir dans le solaire mais ce n’est pas encore le cas. Il le sera dans quatre ou cinq ans. Avec la souveraineté énergétique, nous donnerons à notre économie tous les moyens de se régénérer. Je m’explique. Lorsqu’on observe la politique publique depuis 15 ou 20 ans, nous constatons que puisque nous dépendons des importations en énergie, c’est le prix du travail qui a baissé. Nous n’avons pu baisser les coûts de production à cause de l’énergie. Si nous arrivons à baisser le prix de l’énergie dans le coût de production, imaginons la force de levier que cela donnerait pour faire augmenter les salaires et donner un meilleur niveau de vie à tous les Mauriciens. L’indépendance énergétique à Maurice aura un effet direct sur le pouvoir d’achat de la population.
Que pouvons-nous retenir de ce sommet avec le recul ?
Je retiens surtout la responsabilité des gros pollueurs vis-à-vis des petits pollueurs. Les États-Unis, la Chine, certains pays européens, l’Inde et la Russie produisent à eux seuls plus de 55% de gaz à effet de serre. Maurice produit 0,01% des émissions de gaz à effet de serre. Il est bon de réduire l’émission de gaz mais le problème est l’exposition aux dangers et aux conséquences du réchauffement climatique.
Le principe de Lost and Damages permet aux petits pays insulaires comme Maurice de poursuivre les grands pollueurs. Reste à savoir comment les dommages éventuels seront utilisés… C’est là qu’il faudra une vraie vision du développement durable du gouvernement et une stratégie nationale. Où vous situez-vous par rapport à la Petroleum Act ? Un projet pétrolier à Maurice fait automatiquement peur. Le leader du MMM, Paul Bérenger, a bien insisté sur la question dans son discours au Parlement.
Nous savons que le pétrole dans des pays comparables à Maurice a été un désastre pour la démocratie et la société. Certains pays ont basculé dans des formes violentes du pouvoir parce qu’on a eu un accaparement privé. Cela ne veut pas dire que si on a une ressource, on doit s’empêcher de l’exploiter. Cette exploitation doit, dès le début, être clairement définie.
Personnellement je suis en faveur du modèle norvégien répondant à deux impératifs. La Norvège est rentière du pétrole. S’il y a du pétrole à Maurice, on sera aussi rentier du pétrole. Or la Norvège a mis toutes ses rentes dans un fonds souverain qui appartient au peuple. Ce fonds doit être dix fois plus élevé que celui de l’Arabie saoudite.
De plus, tout est transparent. Le gouvernement norvégien est redevable pour chaque sou dépensé. Il y a des limites constitutionnelles qui sont imposées sur la gestion du fonds et sur l’utilisation du fonds. Le gouvernement n’a pas la mainmise dessus. L’argent perçu peut être investi dans le système de santé, dans l’éducation, dans les infrastructures et dans la conversion énergétique. Le gouvernement ne peut pas toucher au moins 60% du fonds parce que cet argent est pour les générations futures. Il constitue une assurance contre tous les désastres qui risquent de se produire.
En ce qui concerne l’exploitation, la Norvège a établi un critère environnemental en fixant le nombre de millions de barils produits par an. À Maurice, tenant compte de la mauvaise gestion du gouvernement, de l’absence de transparence et de la tendance à l’autocratie, au MMM on estime qu’on ne peut mettre un outil pareil entre les mains du gouvernement. Il faut des garanties en s’inspirant du modèle norvégien.
En tant que jeune, comment envisagez-vous l’année 2022 ?
La priorité de 2022 sera la sortie ou pas du Covid. La vaccination nous a donné une lueur d’espoir malgré l’apparition d’Omicron. On a vu qu’avec la réouverture des frontières, il y a eu un grand engouement touristique pour Maurice. Ce qui est extrêmement positif et qui montre que l’image de notre pays à l’étranger reste bonne. Il est essentiel pour nous de conserver cela. Nos certitudes économiques sont là.
Dans le cadre d’une relance, nous savons que l’industrie touristique suivra. Ce sera le cas pour le secteur immobilier qui n’a pas été bloqué par le Covid. Nous ne pourrons pas continuer à fermer les yeux et croire que nous pourrions revenir au monde d’avant. Ce n’est absolument pas possible. La sécurité alimentaire, la dépendance énergétique, la conversion de notre modèle économique en un modèle soutenable, le développement du tourisme vert, la régénération des villes constituent des priorités.
De plus, le Covid nous montre à quel point le système de santé doit se moderniser. Le système repose actuellement sur le courage des Frontliners. C’est extraordinaire ! Le gouvernement doit les accompagner avec la modernisation du système, plus d’équipements et plus de moyens. Les 15 ou 20 prochaines années se décident aujourd’hui. Il faudra penser à trois choses. D’abord, au réchauffement climatique et tout ce qui l’entoure.
Ensuite, il faut savoir comment Maurice s’inscrit comme un acteur régional et africain de la révolution digitale. Finalement il y a tout ce qui est en train de se jouer au niveau de la géopolitique, à savoir l’Indo-Pacifique. La Chine s’est positionnée avec la “One Belt One Road”, l’Inde se repositionne dans l’océan Indien. Maurice est en plein dedans et le développement océanique devra être considéré très sérieusement, pas uniquement comme un slogan.
Propos recueillis par Jean-Marc Poché