Le Covid, qui est avec nous depuis deux ans maintenant et qui est parti pour durer, a entraîné dans son sillage son lot de décès, de drames, d’incertitudes et de remises en question. La pandémie qui a mis à rude épreuve les services de santé à travers le monde a aussi vu le départ de nombre de ministres qui ont été accusés d’avoir failli à leur devoir ou, tout simplement, d’avoir enfreint les règlements qu’ils avaient eux-mêmes introduits. Parce que la vie est précieuse, parce que l’exemple doit avant tout venir des autorités, du gouvernement et du ministre de la Santé. Ici, on est confronté à un phénomène particulier. À un variant unique. Depuis l’éclatement de la pandémie, on aura tout entendu et tout vu.
Le ministre responsable de la Santé, le novice parlementaire Kailesh Jagutpal, est celui qui est capable d’affirmer, catégorique, au Parlement et ailleurs qu’il n’y a absolument pas de cas de Covid à Maurice et qui est contredit par le Premier ministre quelques heures après, les cas avérés se multipliant à une vitesse inquiétante. On a depuis tout vu : le départ du directeur de la Santé, Vasant Rao Gujadhur, la disparition inquiétante d’une conseillère venue d’ailleurs, d’un conseiller «bénévole» qui se fait rare parce que trop occupé à faire avancer ses projets personnels de cliniques. Mais Kailesh Jagutpal, lui, reste toujours en selle.
Fort du soutien du Premier ministre, qui préside le comité national sur le Covid, le ministre ne bronche pas. Il reste imperturbable. Tout ce qui déraille dans ses services, ce n’est pas lui. Il répond avec une belle assurance et une rare arrogance aux questions qui lui sont posées à l’Assemblée nationale mais, dès que l’affaire se corse, il ne sait plus rien. Et ceux qui croient que les graves dérives du ministère de la Santé datent de ces derniers mois auraient tort. Depuis le début, on a vu des choses qui montraient clairement que les services publics de soins étaient déficients et que, malgré la bonne volonté et la disponibilité des personnels à tous les nouveaux, il y avait des failles inacceptables.
Au lieu d’avoir l’humilité et la sagesse de dire publiquement que la pandémie avait pris tout le monde de court et sollicité le concours de tous pour une mobilisation nationale contre le virus, on a eu droit à la posture suffisante de celui qui sait tout et mieux que les plus grands spécialistes mondiaux, tandis que le nombre de morts se multipliait et que certaines familles étaient littéralement décimées. Ce ministre, qui est encore en poste, a pourtant un bien triste bilan. Il a changé plus d’une fois de version, s’est rétracté, a dit une chose et son contraire avec le même allant. Il a continué à sévir en toute impunité. Comment a-t-il traversé la tempête des achats scandaleux de 2020 à hauteur de Rs 1,2 milliard des fonds publics est un mystère inexpliqué.
Les bijouteries, hôtels et quincailleries qui se sont improvisés fournisseurs médicaux et qui ont empoché des millions sur le drame du Covid, c’est comme si ce n’était rien du tout. Le fameux Pack and Blister, avec qui le conseiller bénévole échangeait directement par mail, et qui a fourni des appareils défectueux, félicité par Pravind Jugnauth, là aussi, rien de grave ou de particulier au plan de la transparence ? À la limite de l’anecdotique. Les enquêtes, dont celle, judiciaire, sur la mort de Soopramanien Kistnen, qui a mis à jour les drôles de procédés utilisés au niveau de l’attribution de marchés publics à la Santé et au ministère du Commerce n’ont apparemment rien changé des méthodes employées pour subtiliser l’argent des contribuables.
Les bourdes de la Santé ont ainsi continué de plus belle depuis l’année dernière sans qu’il n’y ait le moindre changement dans de la manière de gérer la pandémie. Et que les drames se multiplient, rien à cirer, tout était « sous contrôle » et « selon le protocole ». Les familles dévastées accablées par la disparition subite de leurs proches, rien à cirer, circulez… Même attitude désinvolte et provocante lorsque, au début de 2021, les décès se multiplient parmi les dialysés, trimballés de centres de soins en lieux de quarantaine improvisés sans encadrement et, surtout, sans accompagnement adéquat et humain.
Lorsque le scandale des dizaines de dialysés tombés subitement et mystérieusement du Covid est porté devant l’Assemblée nationale et qu’il se trouve jusque dans les rangs de la majorité gouvernementale pour s’indigner de cette hécatombe, le ministre Jagutpal, le psychiatre de profession, reste non seulement de marbre, mais il dit même ne rien trouver dans les faits qui justifie une enquête. Or, sous la pression de l’opinion et des familles endeuillées, donc en colère, le gouvernement finit par désavouer son ministre de la Santé et décide d’instituer un Fact Finding Committee. Dont les conclusions sont toujours attendues.
Dans un autre pays, le ministre qui aurait collectionné autant de bourdes aurait immédiatement pris congé, mais pas à Maurice, où le responsable de la santé qui avait justifié, avec force et détermination, qu’aucune enquête n’était nécessaire est celui-là même qui est venu ensuite défendre la décision de mener une investigation. Only in Mauritius ! Et pour couronner le tout, il y a eu les faits révélés par le leader de l’opposition sur l’appel au secours à l’île de La Réunion pour l’oxygène et le scandale du Molnupiravir. Enquête il y a, pour probablement mieux blanchir les vrais responsables. Et finalement, c’est à se demander ce que Kailesh Jagutpal fait à la tête de la santé publique s’il ne sait rien, décide de rien et ne répond de rien !
C’est cher payé pour le contribuable, un ministre aussi inefficace qu’ignorant. Pour beaucoup, « the guy must go ». Mais pas pour le Premier ministre, qui préside le comité national sur le Covid, pour qui tout est parfaitement normal. Et lorsqu’on sait que ce comité, aussi crucial soit-il, a délibérément choisi de ne pas tenir de procès-verbaux, il y a de légitimes questions qui s’imposent. Et qui expliquent les postures des uns et des autres.
Josie Lebrasse