Dr Deoraj Caussy (épidémiologiste) : « L’éradication de la Covid-19 n’est pas en vue »

« L’éradication du Covid-19 n’est pas en vue », déclare le Dr Deoraj Caussy, virologue et épidémiologiste. S’exprimant sur la situation difficile où se trouve le pays avec le nombre de cas positifs et de décès en hausse constante, le médecin indique que « l’épidémie frappera sans relâche jusqu’à ce qu’elle atteigne un point de saturation, puis elle s’essoufflera ». Quant aux solutions, elles sont entre nos mains, estime-t-il. « Nous devons disposer du bon arsenal de médicaments pour les administrer rapidement aux personnes dans des conditions critiques afin de réduire le nombre de décès quotidiens. Notre protocole de traitement doit être basé sur des preuves acquises localement. » L’ancien épidémiologiste environnemental pour l’OMS, qui vient de participer à la COP26, livre aussi son point de vue sur la lutte contre le changement climatique. Il regrette que cette lutte, à Maurice, se fasse de manière fragmentaire.

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Vous venez de participer à la COP26. Expliquez-nous le lien entre le médecin virologue que vous êtes et la question du changement climatique ?

Nous vivons dans un monde interconnecté où l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons et la nourriture que nous mangeons sont tous affectés par le changement climatique. C’est pourquoi le changement climatique nous intéresse tous.

Mais je porte aussi une double casquette de virologue et d’épidémiologiste. J’ai travaillé comme épidémiologiste environnemental pour l’OMS. J’ai donc eu l’occasion de travailler sur des problèmes environnementaux majeurs, y compris le changement climatique. En 2011, j’ai eu l’honneur de servir en tant que consultant pour le ministère de l’Environnement dans la conduite de l’évaluation de la vulnérabilité et de l’adaptation (V&A) pour Maurice. À certains égards, le changement climatique et la pandémie de Covid-19 ont des éléments et des défis communs !

Quels sont les principaux effets du changement climatique sur la santé humaine ?

Fondamentalement, il existe trois types d’effets sur la santé de la population humaine. D’abord, il y a les effets directs résultant de l’exposition à des conditions météorologiques extrêmes comme la chaleur, la sécheresse et les pluies entraînant respectivement une augmentation des coups de chaleur et des maladies cardiovasculaires, et des décès dus à la malnutrition à la suite de l’insécurité alimentaire causée par une mauvaise récolte.

Deuxièmement, les effets indirects incluent les changements écologiques affectant l’environnement, à l’exemple de l’augmentation des maladies à transmission vectorielle, des maladies d’origine alimentaire et hydrique dues aux inondations, et la mauvaise qualité de l’air provoquant des maladies pulmonaires et des décès prématurés.

Par ailleurs, le changement climatique peut indirectement provoquer des déplacements sociétaux, forçant les gens à migrer, entraînant un stress mental et diverses maladies infectieuses.

De quelle manière avez-vous contribué à l’avancement de l’agenda mondial par rapport aux impacts du changement climatique sur la santé ?

Les académies des sciences sont les principaux interlocuteurs pour faire entendre la voix de la science dans différentes sphères en synthétisant les connaissances et en fournissant des informations factuelles aux décideurs politiques mondiaux et locaux. En tant que membre actif de nos académies locales et internationales, je transmets la science de pointe aux décideurs politiques en Afrique et dans le monde.

Par rapport à la quantité de gaz à effet de serre que l’Afrique génère, le continent supporte de manière disproportionnée les effets néfastes sur la santé. Pour remédier à cette situation, j’ai présenté mon rapport sur le changement climatique et la santé pour le continent africain, soulignant la vulnérabilité de l’Afrique et les solutions possibles pour réduire la morbidité et la mortalité en optant pour une solution d’adaptation fondée sur la nature.

En reconnaissance de mon expertise mondiale dans le domaine, j’ai été invité à participer et à contribuer en tant que panéliste à l’Agenda mondial pour la recherche en santé organisé par l’OMS. Notre objectif est de travailler de concert avec d’autres régions du monde pour définir le programme de santé de la prochaine COP.

Où en est le monde dans la lutte contre les impacts sanitaires du changement climatique ?

Nous devons nous protéger des effets néfastes du changement climatique. Non seulement l’écosystème dans lequel nous vivons, mais aussi la santé des êtres humains, qui font partie intégrante de l’écosystème.

Malheureusement, dans les COP précédentes et dans cette COP, la santé a été marginalisée. À la suite de l’Accord de Paris, les pays ont été tenus de soumettre leur contribution déterminée au niveau national et d’inclure la santé en formulant un plan national d’adaptation de la santé. Mais cela n’a pas été réalisé en partie à cause du manque de collaboration intersectorielle entre les ministères de l’Environnement et de la Santé dans la plupart des pays. En conséquence, les pays en développement ne sont pas en mesure de surveiller, d’anticiper et de gérer les effets néfastes de la santé, mettant ainsi en péril la santé, le bien-être social et économique de millions de personnes vulnérables dans le monde.

Si nous ne nous attaquons pas aux effets du changement climatique sur la santé, nous risquons de saper nos efforts pour atteindre et maintenir les Objectifs de développement durable (ODD) car une nation en mauvaise santé est une nation non productive.

Par rapport au reste du monde, où en est Maurice dans ses progrès en matière de changement climatique et de santé ?

Nous luttons contre le changement climatique de manière fragmentaire. Le dernier V&A complet sur la santé a été réalisé par moi en 2011 et depuis lors, nous n’avons pas officiellement collaboré entre les ministères pour formuler un plan national d’adaptation de la santé ou même un plan multirisque, comme l’exigent la CCNUCC et l’OMS.

Nous ne vous avons pas entendu depuis longtemps sur la question du Covid-19 dans le pays. Le mois de novembre est chaotique en termes de cas positifs et de nombre de décès. Votre analyse… D’après votre expérience, quand sortirons-nous de ce pic ?

Nous traversons actuellement une phase très critique de l’épidémie où le taux d’infection est très répandu, entraînant des maladies, des décès, des perturbations sociales et économiques provoquant un stress mental incalculable. Il n’y a rien de plus manifeste, d’après le quotidien des infections que nous entendons de nos amis, collègues et familles. Il n’y a pas lieu de faire une enquête pour l’établir.

L’épidémie frappera sans relâche jusqu’à ce qu’elle atteigne un point de saturation, puis elle s’essoufflera. Actuellement, l’épidémie est alimentée par les propriétés de réplication rapide du variant Delta, par l’existence d’un pool d’environ 30% de personnes non vaccinées et le port inapproprié du masque. Le monde entier connaît des vagues d’infection au Covid dont les extrémités n’apparaissent pas encore.

Quelles seraient les solutions pour une amélioration à Maurice ?

La solution est entre nos mains : nous devons respecter strictement le protocole de santé publique consistant à porter correctement le masque tout en observant la distanciation sociale et en optant pour la vaccination, y compris les doses de rappel. Chaque citoyen doit jouer un rôle réactif en adhérant au protocole et nous devons également nous abstenir de répandre des rumeurs ou des analyses scientifiques à moitié cuites qui aggravent le problème au lieu de le résoudre. Sinon, nous courrons le risque de voir notre système de santé s’effondrer et de devoir recourir à des mesures drastiques pour atténuer l’épidémie.

À maintes reprises, j’ai réitéré la nécessité de protéger les groupes les plus vulnérables, notamment nos employés de première ligne, les personnes dont le système immunitaire est affaibli, les personnes âgées et celles qui souffrent de comorbidités. Si ces groupes de personnes sont infectés quotidiennement et que certains y succombent, cela signifie que le message de promotion de la santé ne parvient pas aux groupes cibles.

Nous devons améliorer ou changer notre stratégie de communication. Nous devons également disposer du bon arsenal de médicaments pour les administrer rapidement aux personnes dans des conditions critiques afin de réduire le nombre de décès quotidiens. Notre protocole de traitement doit être basé sur des preuves acquises localement.

Combien de temps cette crise sanitaire mondiale est-elle susceptible de durer ?

Je crains qu’il n’y ait pas de formule magique pour éradiquer ce virus du globe. Il s’est implanté dans tous les pays et il continue de nous réserver de mauvaises surprises par son taux élevé de multiplication et d’évolution. Au bout d’encore deux à trois ans, nous pourrons peut-être mieux le contrôler et ajuster nos modes de vie pour y faire face. L’éradication n’est pas en vue. Voyez combien de temps et d’efforts il a fallu pour éradiquer le poliovirus !

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