- L’intérêt pour l’école à la maison dépend de la priorité accordée à l’éducation
Depuis la fermeture des écoles, il y a deux semaines, les cours à distance n’ont pas le même succès dans tous les foyers. L’intérêt pour l’école à la maison dépend de la priorité accordée à l’éducation. Sans la volonté, la participation et le sens de la responsabilité des parents, les élèves privés d’école en présentiel connaissent une interruption totale et brutale dans leur scolarité.
À l’heure où ses camarades de classe sont connectés via l’application Zoom pour suivre les cours de français, Shania (nom modifié), 15 ans, vient tout juste de « fini fer louvraz. » Il n’est pas encore 11h. Tous les jours, c’est elle qui a la responsabilité d’entretenir la maison en tôle de deux pièces où elle vit depuis un an avec sa famille. Sa mère, employée de maison, est partie travailler très tôt le matin et ne rentrera pas avant la fin de la journée. Son père, policier, se repose. Depuis que les écoles ont fermé leurs portes il y a eux semaines et que les cours se font en ligne et à la télévision, Shania, qui est en E9+, n’a jamais participé aux cours en ligne. « Mo telefonn in’nn kase », dit l’adolescente pour expliquer son absence en ligne. Elle dit qu’elle révise pendant la journée.
« Mo mama
demann mwa si mo’nn revize.
Mo dir li wi »
Mais pas ses frères. L’un est en Grade 8 dans un collège privé et l’autre est en Grade 5. Le plus grand dispose pourtant d’un portable en état de marche. Le plus jeune, lui, ne peut suivre le programme dispensé à la télé. « Televizion in’nn al aranze », explique Shania. Toutefois, cela fait longtemps que la famille n’a plus de télé. Alors, pendant la journée, les deux garçons passent du temps avec leurs amis ou devant l’écran de leur portable. « Je ne peux pas emprunter leur téléphone pour me connecter avec mes enseignants », avoue Shania.
Dans le voisinage, d’autres enfants scolarisés n’ont plus de contact avec le monde de l’école. Stéphanie, en Grade 9 dans un établissement d’État, est une collégienne brillante. Elle s’était distinguée avec de bons résultats au Primary School Achievement Certificate ; elle était même la première de sa classe, un établissement de la Zone d’Éducation Prioritaire. Mais Stéphanie, non plus, ne participe pas aux cours en ligne. Elle n’a ni ordinateur ni tablette ou portable. L’école à la maison, c’est pour son jeune frère, lequel est en Grade 5. Il suit les programmes à la télévision. Pour beaucoup d’enfants du quartier de Shania et de Stéphanie, la fermeture de l’école est synonyme de vacances.
« Des enfants passent plus de temps à l’extérieur. Ils jouent, ils s’amusent… », remarque une habitante de la région. Quant aux parents, s’ils ne s’assurent pas de la continuité de l’éducation de leurs enfants, c’est parce que la plupart du temps ils travaillent, sont absents de la maison pendant toute la journée et rentrent tard. « Mo mama demann mwa si mo’nn revize. Mo dir li wi », explique Shania.
Ailleurs, Christelle, mère d’une élève en Grade 6 et qui se prépare au PSAC, explique qu’elle dispose d’une télévision, mais elle n’est pas abonnée aux chaînes locales. La jeune femme a également un portable, mais pas sa fille, encore trop jeune pour lui confier un téléphone. « J’élève seule mes enfants. Je dois travailler. Malheureusement, ce n’est qu’à mon retour à la maison, après 18h, que je peux présenter à ma fille les devoirs que lui ont envoyés son enseignante par WhatsApp sur mon portable. Tous les soirs, je l’aide à faire ses devoirs jusqu’à 22h. Nous ne pouvons faire autrement », confie la mère de famille.
De son côté, Neha (nom modifié), qui travaille de chez elle, confie que sa fille qui a accès à toutes les facilités pour suivre ses cours en ligne gère elle-même son emploi du temps. La jeune fille, qui est en Grade 11, fréquente un collège d’État.
Neha explique que si elle n’intervient pas dans les études de sa fille à la maison, c’est parce que cette dernière fait preuve de responsabilité et que l’établissement scolaire qu’elle fréquente est très rigoureux sur les cours en ligne. « Étant donné que je suis à la maison, je m’intéresse quand même à ses devoirs. Elle a cours de 8h30 à 14 h30, comme si elle était à l’école. Et je constate que tous ses enseignants animent les cours comme ils le feraient en temps normal », explique la mère de famille.
« Pas le médium
approprié
pour
l’enseignement »
L’école à la maison est peut-être une réalité, mais appliquée en urgence, elle a pris beaucoup de foyers de cours. Et ceux-ci ont été contraints de s’adapter au concept selon les moyens logistiques dont ils disposent. Toutefois, sans la volonté, la participation et le sens de la responsabilité des parents, les élèves privés d’école en présentiel connaissent une interruption totale et brutale dans leur scolarité. Ce qui ne sera pas sans impact sur leur performance à la rentrée de 2022.
« Certes, les cours en ligne ne remplacent pas le syllabus que nous avons dû interrompre en laissant nos matériels à l’école. Mais ces cours sont indispensables », note un enseignant de Grade 6 d’une école primaire dite “star”. S’il parle de cours en ligne, alors que c’est la télévision qui diffuse les programmes à l’intention des élèves du primaire, c’est parce que, dit-il, une application en ligne a l’avantage d’être interactive.
« La télévision n’est pas le médium approprié pour l’enseignement et l’apprentissage. Elle n’engage pas l’enfant. Pour lui, la télé a un autre fonctionnement, celui de le divertir. De plus, il n’y a aucun mécanisme de suivi qui peut être appliqué pour l’enseignement à la télé », note l’enseignant.
Ce dernier, qui avait participé à l’élaboration des programmes éducatifs pour être diffusés à la télévision lorsque la grippe H1N1 avait fait son apparition à Maurice en 2009, explique encore que les cours dispensés aux enfants du primaire actuellement sur les chaînes locales « auraient pu être de meilleure facture, préparés de manière plus professionnelle. » Il précise : « On a eu un temps de battement après le confinement et avant la fermeture des écoles ce mois-ci pour préparer et peaufiner les cours à la télé. » L’enseignant dispense ses cours avant 11h et après 13h30, soit avant et après la diffusion des programmes pédagogiques sur les chaînes locales.
Collégiens connectés mais absents
« La demande pour les cours en ligne pour les élèves du primaire vient principalement des parents. Lorsqu’au confinement de mars 2020 des enseignants ont pris l’initiative de créer des groupes WhatsApp pour envoyer des devoirs aux élèves, les parents ont souhaité que nous maintenions ce système. Toutefois, nous nous devons de nous assurer que tous les enfants ont accès à internet. C’est notre seule condition. Sinon, nous devons trouver des alternatives pour ne pas pénaliser les enfants qui pour une raison ou une autre ne peuvent se connecter », explique l’enseignant.
Autre condition pour des cours en ligne à l’intention des élèves en upper primary : l’enseignant doit maîtriser l’informatique. « Nous savons tous qu’en informatique, beaucoup d’enfants ont une avance sur des adultes. J’ai moi-même appris pas mal d’astuces et de techniques de mes élèves en me lançant sur Zoom », explique encore ce dernier.
Un assistant-maître d’école confie que des parents d’élèves de son établissement ont reproché à des enseignants de ne pas proposer de cours en ligne. « Mais ce qu’ils ne savaient pas, c’est que ces enseignants ne sont pas à l’aise avec l’informatique et avec les applications mobiles », dit-il.
De son côté, l’enseignant avance que « si le ministère de l’Éducation avait prôné les cours en ligne, il aurait été possible de compléter le syllabus. » Et de remarquer : « Les écoles privées payantes arrivent à le faire ! » L’enseignant explique aussi que malgré l’allègement des matières, ses élèves insistent pour avoir des explications sur certains sujets qui ne figurent plus au programme.
Enseignante de mathématiques en upper secondary, dans un collège privé, Neelam (nom modifié) confie que certains de ses élèves se connectent en ligne à l’heure des cours en activant l’option sans être vu. « Bien entendu, ils sont inactifs pendant les cours et l’on sait pourquoi. Beaucoup de collégiens se comportent comme si c’était déjà les vacances ! Ils se connectent peu après leur réveil », se désole-t-elle.
« Certains pour expliquer leur absence sur Zoom m’affirment qu’ils ont dû séjourner chez des proches — lesquels n’ont pas internet — après que des membres de leur famille ont été contaminés au Covid-19. Je ne peux dire s’ils disent vrai ou non ! » poursuit Neelam.
Cette dernière confie qu’elle vient de faire l’acquisition d’un téléphone neuf après que le précédent, surchargé de données dans le cadre des cours en ligne, n’a plus fonctionné. « On ne se rend pas compte que les enseignants doivent être équipés, avoir accès à internet pour travailler de la maison. Comme moi, mon mari travaille de la maison et ma fille utilise internet pour étudier. La connexion est saturée et ralentit mon travail », dit Neelam.