- Celui qui avait accusé Leela Devi Dookun-Luchoomun de « inn tom lor so latet » a peut-être été servi de ce plat froid qui s’appelle vengeance
Pour ses admirateurs, l’intérim au fauteuil suprême devait être la consécration d’une carrière. Or, celui de Steve Obeegadoo, le remplaçant de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre, n’aura pas été de tout repos. L’intérim fut, certes, long de 12 jours, du 30 octobre au 11 novembre, mais il aura été tourmenté.
Déjà privé de la présidence d’un conseil des ministres le 5 novembre, pour cause de congés à répétition, le Premier ministre par intérim se sera, pour couronner le tout, exposé à la risée de ses pairs à l’Assemblée nationale et de la population dans la soirée de mardi lorsque lui qui, en tant que chef du gouvernement, décrétait qu’il n’y aurait pas de fermeture d’écoles quelques minutes seulement après que Leela Devi Dookun-Luchoomun a été à la MBC annoncer qu’il n’y aurait pas classes le lendemain. Soit exactement le contraire.
Il peut y avoir plusieurs lectures à ce gros couac qui a achevé de ridiculiser Steve Obeegadoo et d’entacher son intérim. D’abord que c’est une illustration de la manière dont la cuisine du MSM fonctionne, avec des décisions qui ne sont prises que par une petite coterie habituée aux fourneaux et qui n’à que faire des conventions liées à la gestion gouvernementale et encore moins du respect de sa hiérarchie, surtout lorsque c’est un figurant qui se retrouve accidentellement à sa tête.
On aurait pu penser que Steve Obeegadoo connaissait un peu les méthodes du Sun Trust. Son frère Kevin n’a-t-il pas adhéré au MSM en mai 2019 sur l’insistance de son frère de loge Ken Arian et n’a-t-il pas été nommé ensuite sur le conseil d’administration de l’Economic Development Board tout en enfreignant allègrement la loi régissant cet organisme qui stipule que ses membres ne doivent pas afficher une quelconque couleur politique. Il a été vu à une réunion du MSM au N°20 à la fin du mois dernier. C’est dire qu’il a complètement intégré la mentalité du parti des Jugnauth.
Ce qui s’est passé mardi a peut-être été fait exprès pour ramener le « pédant » ministre — selon les apparatchiks du MSM — à sa juste proportion. Il ne faut pas oublier que Steve Obeegadoo a, en sa qualité d’ex-ministre de l’Éducation, été pendant longtemps le porte-parole de ce dossier pour le MMM et que, même au sein de sa Plate-Forme Militante, une autre excroissance des mauves, il s’est aussi attelé à commenter la politique éducative du pays.
Et c’est quelques mois avant les élections de novembre 2019 qu’il s’était montré particulièrement critique des décisions de la ministre Leela Devi Dookun-Luchoomun. Une vidéo explicite peut en témoigner. Flanquée de sa collaboratrice Françoise Labelle, il avait carrément accusé la ministre de l’Éducation de « inn tom lor so latet » avec la création des académies. Rejetant le concept des académies, Steve Obeegadoo avait dit que cela équivaut à créer, après la Form III, un « stade supérieur et un stade inférieur », et il était allé plus loin pour dire que « Mme Dookun limem pe vinn fossoyeur, pe anter partnaria public-privé ». Rien que ça.
Mais ça, c’était avant de tout ravaler et de rejoindre le camp de Mme Dookun à la veille des élections de novembre 2019. La ministre, elle, un pur produit MSM et colistière de Pravind Jugnauth, n’a sans doute rien oublié. D’où sa décision d’ignorer royalement le Premier ministre par intérim et d’aller annoncer la décision de fermer les écoles à la MBC. Le plat froid de la vengeance dans toute sa réalité et sa cruauté !
Circonstance et équilibre ethnique
Le style Obeegadoo, loin d’être conforme à celui qui se pratique au MSM, plutôt de bas étage, a agacé dès le début. Sa promotion au poste de Premier ministre adjoint pour des raisons de profil, de circonstance et d’équilibre ethnique en remplacement du titulaire Ivan Collendavelloo en juin 2020 n’était pas au goût de plusieurs cadres du MSM qui auraient préféré un Alan Ganoo, à défaut d’un pur produit du MSM.
Sa décision d’écraser les abris de fortune des squatters à Pointe-aux-Sables et ailleurs en plein confinement en mai de l’année dernière n’a pas conforté les plus populistes et démagogiques de ses collègues du MSM qui ont dû lui rappeler les propos qu’il avait tenus alors qu’il était dans l’opposition selon lesquels « kapav fer bann squatter ale, me bizin enn fason pli imin ». Même sa manière de s’exprimer agace les cancres du langage du MSM. Comme il avait parlé de manière bien plus intelligible que Pravind Jugnauth et autre Lesjongard sur les chaînes internationales, cela a créé une certaine frustration, sa médiatisation étant redoutée comme pouvant faire de l’ombre à Pravind Jugnauth qui, lui, s’était planté face au micro de la BBC.
Et comme Steve Obeegadoo essaie de se démarquer, à l’Assemble nationale comme ailleurs, on l’a à l’œil, l’unique programme du MSM étant de glorifier le chef et de faire même passer ses insuffisances pour des exploits.
Au Parlement, le Premier ministre adjoint et ministre du Logement et du Tourisme est rarement dans l’argumentaire de la caisse de savon et réussit à répondre à trois questions là où Pravind Jugnauth s’arrange pour ne répondre qu’à une seule. Il est aussi généralement assez poli dans ses répliques.
Ailleurs, il dit des choses qui contredisent les versions de Lakwizinn. Au grand dam des chefs et des cuistots. À la veille du départ de Pravind Jugnauth, Steve Obeegadoo n’hésitait pas à dire publiquement « qu’il y a trop de décès du Covid ». C’était le 29 octobre à l’inauguration officielle de l’unité des soins palliatifs de la Clinique Ferrière Bon Secours, une clinique qui se trouve dans sa circonscription de Curepipe-Midlands.
Steve Obeegadoo a pourtant fait plus que « bon garçon » depuis qu’il a rejoint la coalition du Sun Trust. Du moins vis-à-vis du Premier ministre. Lorsqu’il est à une sortie avec Pravind Jugnauth, il se montre presque obséquieux, rapportent des témoins étonnés de voir à quel point celui qui, par sa grande taille a déjà une morphologie propice à la cambrure, s’abaisse littéralement devant son patron de Premier ministre.
Pour se faire bien voir, il va même jusqu’à poser fièrement aux côtés d’un Somduth Dulthumun après une réunion de la Task Force sur l’organisation de la fête Maha Shivaratree. Mais il semble que tout cela n’ait pas compté, le croc en jambe de mardi soir étant particulièrement éloquent du respect qu’il inspire au gouvernement…