— Ah ben matante, quelle bonne surprise !
— Mon enfant, je vois que tu ne sais toujours pas parler comme il faut !
— Tu vois comme tu es, au lieu de me demander de mes nouvelles, tu commences par crier avec moi.
— Je ne suis pas en train de crier avec toi. Je te dis que tu parles mal.
— Pourquoi tu me dis ça ?
— Combien de fois je t’ai dit que les gens comme il faut disent tante, pas matante comme les… gens ordinaires.
— Ayo. Qu’est-ce que ça peut faire que je dise tante ou matante, c’est la même chose, non ?
— Ce n’est pas la même chose. C’est pas comme ça que les gens bien, comme nous, parlent !
— Ok, tante. On ne va pas se bagarrer pour ça.
— Je ne cherche pas la guerre avec toi. Je te demande simplement de parler correctement, c’est tout.
— Très bien… tante. Comment se passe le confinement chez vous à Melbourne ?
— Ayo, ne m’en parle pas. Pour parler vulgairement, ce qui n’est pas mon habitude, je suis plein avec les confinements, je te dis. Ici, je crois que nous sommes arrivés au septième confinement depuis le commencement. Et c’est pas fini.
— Ah bon ?! Mais j’ai entendu aux informations qu’on avait fini le confinement à Sydney.
— Mais mon enfant, Sydney est à neuf heures de voiture de Melbourne. Ici, c’est pas comme à Maurice où les endroits sont kosté-kosté. C’est un très grand pays, l’Australie.
— Comme ça à Melbourne vous êtes en plein confinement ? Comment ça se passe pour toi ?
— On est enfermés chacun chez soi, je te dis. Je suis fatiguée de voir la télévision. Depuis des mois, je n’ai vu que mes voisins quand ils sortent de leur cour et le facteur.
— Comment tu fais pour les commissions tout ça ?
— Je téléphone à un shop qui est pas loin de chez moi, je donne ma liste et il fait quelqu’un venir livrer les commissions. Ah, le livreur est une des rares personnes que j’ai vues pendant le confinement.
— Comment il est le livreur, sympa ?
— Il est Pakistanais.
— Comment tu sais, il te l’a dit ?
— Tu ne penses tout de même pas que je vais faire la conversation avec un livreur ! Il dépose les commissions devant la porte et je les ramasse, c’est tout.
— Comment tu sais que c’est un Pakistanais alors ?
— Mais parce que ça se voit, toi. S’il n’est pas Pakistanais, il est sûrement Indien ou Bangladais. En tout cas, il vient d’un pays de par là-bas même. Tu sais, ces immigrés qui quand un arrive à avoir son PR, il fait venir toute la famille derrière…
— Pareil comme beaucoup de Mauriciens ont fait alors.
— Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
— Tu n’as même pas vu tes enfants pendant les confinements ?
— On ne pouvait pas toi. Ils habitent trop loin. Il fallait avoir un permis tout ça. C’était très compliqué. On se parle au téléphone.
— Tu n’as pas vu X, ton préféré depuis combien de temps ?
— Ça fait des mois et des semaines toi. Il aurait pu avoir un permis, mais comme il voulait venir avec sa… femme, je lui ai dit de laisser tomber.
— Mais pourquoi… tante ?
— Tout le monde sait que j’étais contre son mariage. Je ne vais jouer à la gentille belle-mère maintenant alors que je ne peux pas voir ma… sa… femme en peinture.
— Mais maintenant qu’ils ont fini de se marier, tu pourrais te montrer un peu plus… un peu moins rigide, tout de même.
— Qu’est-ce que j’entends, c’est la nièce qui donne des leçons à sa tante ?! Décidément, tes parents t’ont vraiment mal élevée ! Je n’ai aucune leçon à recevoir de toi, tu entends.
— Ok. Dis-moi, tes amies du club doivent bien te manquer…
— Oui toi, on avait l’habitude de voir une fois par semaine pour prendre un repas, jouer aux cartes ou cause-causer un peu.
— Tu veux dire causer sur les autres…
— Jamais de la vie, moi je ne suis pas une palabreuse qui passe sa vie à veiller les affaires des gens.
— Mais comment tu fais maintenant que les clubs sont fermés ?
— On a internet toi. On a des groupes d’amies avec qui on fait souvent des chats. Mais c’est pas pareil que de se parler directement. Tu sais, avec les computers, tu peux parfois peser un bouton sans faire exprès et envoyer un message qu’il ne faut pas.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Je vais te raconter, mais il faut que tu gardes ça pour toi. Tu promets ?
— Mais bien sûr. Alors, raconte !
— Tu connais ma cousine X. Celle qui est un peu la gazette chiffon bleu…
— Un peu ! Dans sa propre famille on l’appelle BBC-CNN tellement elle cause sur les gens. Je ne savais pas que tu la fréquentais, moi !
— Écoute elle reste quand même ma cousine et nos deux familles sont à Melbourne, alors j’ai gardé le contact. On a un petit groupe chat.
— Comment elle est ?
— Elle est toujours pareille. L’autre jour elle a envoyé un message pour dire que son neveu avait un commérage avec sa voisine, qui se trouve être un parent éloigné de son père.
— Pourquoi X a fait ça ? Ce ne sont pas ses affaires !
— Tu sais, certaines personnes ont besoin de raconter les affaires des autres. Ça lui apprendra d’ailleurs !
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Au lieu d’envoyer le message au petit groupe, elle a pesé sur un mauvais bouton et le message a été envoyé à toute sa liste de contacts, dont son neveu, sa voisine, son mari et son papa.
— Ayo papa ! Quelles ont été les réactions ?
— S’il n’y avait pas le confinement, je crois que son neveu, sa nièce et toute la famille seraient allés lui donner une correction. Tu sais comment ils sont…
— Oui, ils donnent des calottes bonavini eux. Qu’est ce que X fait depuis ça, elle a jeté son computer ?
— Non, depuis ça elle envoie seulement des prières par internet !