UMAR TIMOL
Le poète est condamné à la mélancolie de l’absence. Sa parole tend à saisir le réel mais le réel lui échappe. Le poème n’est jamais achevé, il demeure à l’état d’ébauche, comme
suspendu entre le désir et la finalité du désir. Certains privilégient des formes lyriques pour combler ce vide, d’autres des formes plus épurées, parmi le haïku. Le haïku est, comme on le sait, une forme japonaise de poésie, d’une extrême concision qui s’exerce à capturer l’éphémère. Entre les mains du poète Abhay K., cet éphémère se déploie hors du temps, devenu objet de contemplation et de méditation.
Abhay K. est diplomate et poète. Il est l’auteur de plusieurs recueils de poésie, parmi The Seduction of Delhi, The Eight-Eyed Lord of Kathmandu et The Prophecy of Brasilia. Il a aussi publié des anthologies poétiques : 100 Great Indian Poems, 100 More Great Indian Poems, New Brazilian Poems, The Bloomsbury Anthology of Great Indian Poems. Il est, par ailleurs, traducteur, il a traduit Meghaduta et Ritusamhara de Kalidasa du sanskrit en anglais. Et son Hymne pour la Terre a été traduit en plus de cent langues.
Dans son dernier recueil bilingue poétique (anglais, français, traduit en français par Madhuri Mukherjee et Katia Novet Saint-Lôt) La magie de Madagascar, il nous dit la pluralité, par l’entremise de haïkus, de cette extraordinaire île-continent. On sent dans les mots du poète, une sensibilité aiguë aux rythmes et à la beauté de la nature, une sensibilité mêlée de tendresse.
Le recueil est divisé en trois parties, Faune et flore, Paysages et Habitants.
Chaque haïku est semblable à une intermittence dans le temps. Relevons quelques-uns, parmi tant d’autres, qui nous ont touchés et émus.
dancing sifakas
rest at noon
unbearable heat
dusk now
radiated tortoise
still grazing
who could say
they’re not aliens
painted mantellas
thorns burnt
a delicacy
the prickly pear
cool sea breeze
blows at Anakao
night sky filled with stars
flowers offered to the ocean
come back to the beach
floating
early morning rain
fishermen ushering boats
into the ocean
a hut with a view
of a traveller’s palm
what else does one need!
incessant rains
on the new year’s night,
what omens do they bring?
swimming in the transparent sea
at Mamirano beach
the magic of Madagascar
On pourrait comparer un haïku à une photo. Une photo est réussie non parce qu’elle est fidèle au réel mais parce qu’elle le transfigure et qu’elle en fait un objet d’éternité. Abhay K. en photographiant le réel avec les mots, les rend à l’éternité, du moins à ses possibilités.
Lisons et savourons ces poèmes, ces photos de l’éternité qui sont un véritable hymne à la nature et à la beauté.
Nous en avons plus que jamais besoin en ces temps difficiles.