Patrick, 47 ans est sans-abri depuis déjà 25 ans. Son histoire est celle d’une longue descente aux enfers. Dans son enfance, il fut exposé à la violence domestique. Dans l’adolescence, il emboita les pas de son père alcoolique. Au décès de sa mère, il termina à la rue. Bien que chaque jour soit un combat et qu’il a souvent dormi le ventre vide, il se refuse à tomber dans la mendicité.
Patrick est debout aux aurores. Il dort dans le recoin d’un immeuble, non loin du Registrar Building à Port-Louis. “Vivre dans la rue est un combat permanent”, explique ce dernier. Cet hiver, les températures ont baissé considérablement, surtout en soirée. “Je me retrouve souvent à grelotter sur place. Mais au bout de quelques heures, notre corps s’habitue.” Pour ne pas risquer de se faire déloger de force ou de se faire voler, aussitôt réveillé, il ramasse sa couchette et ses minces effets personnels qu’il dispose dans deux sacs de courses. Il prend ensuite la direction du marché de Port-Louis “pour faire ma toilette et pour travailler”. En effet, depuis 22 ans, il bosse avec un marchand qui tient un étal dans la section où sont vendus des produits touristiques, du lundi au samedi, de 5h à 18h. Une manière de se faire un peu de monnaie et d’échapper à la dure réalité de la rue. Sans un toit sur sa tête, il vit en marge de la société et se sent souvent invisible. “Je ne suis pas du genre à ne rester à ne rien faire et à mendier pour me nourrir. Avec la petite somme que j’obtiens, j’essaie d’acheter un minimum de choses. Ce n’est pas avec cela que je pourrais sortir de la rue et trouver un logement à louer.”
La rue, un refuge
Nous le rencontrons précisément au marché. Arborant un t-shirt bleu, un short marron et une paire de savates, il est assis sur un tabouret guettant les rares clients. Au-dessus de son masque bleu son regard est un regard fatigué. Depuis toutes ces années, il fait désormais partie du paysage. C’est un visage connu des habitués du marché, “Toutefois, très peu connaissent mon histoire.” Cadet d’une fratrie de dix enfants, Patrick vit dans la rue depuis la fin des années 90. Petit, il avait des rêves, se voyait travailler, fonder une famille. Pourtant, le destin en a décidé autrement. Mais la vie lui avait réservé autre chose. Pour cause : “J’ai grandit en voyant mon père frapper ma mère. Elle était souvent en larmes.” Alcoolique, tout son argent passait dans l’achat de boissons alcoolisées.
Quand ses parents se séparent, cette famille originaire de Mahébourg est disséminée. Sa mère garde le petit dernier, mais faute de moyens, les autres frères et sœurs partent vivre avec un oncle ou une tante. “Contrairement à eux, je n’ai jamais été scolarisé. D’ailleurs, ce n’est que depuis quatre ans que j’ai un acte de naissance”, souligne Patrick. “J’ai vécu à Triolet jusqu’au décès de ma mère. Entretemps, j’étais tombé dans l’alcool et je me suis retrouvé sans-abri en 1997.” Dans un premier temps, il rejoint l’Abri de Nuit dans la capitale, avant de trouver refuge dans la rue.
En proie à l’alcoolisme
La générosité des uns et des autres lui est précieuse. Sans ces quelques repas que des bénévoles lui offrent de temps en temps, ce serait encore plus compliqué. Dans cette vie chaque jour est un combat. Nombre de ses amis ont sombré dans les fléaux comme l’alcool et la drogue. “J’ai été alcoolique un temps, mais je me suis ressaisi plus tard. J’ai arrêté de boire depuis des années. C’est cette prise de conscience qui m’a permis de ne pas sombrer complètement.” Patrick est aussi papa d’un garçon de 17 ans qu’il n’a pas vu depuis des années. Sa mère était aussi sans-abri et elle a aujourd’hui refait sa vie. Patrick fréquente très peu sa famille. Pour quelle raison ? Il ne souhaite pas s’étendre sur le sujet. En évoquant sa situation, il dit simplement qu’il préfère que ce soit ainsi. “Ce n’est pas une condition qui fait la fierté de la famille.”
“Comme-ci être sans-abri était une maladie contagieuse.”
Vivre dans la rue c’est dur. Ce qui l’est deux fois plus c’est de tomber malade sans personne pour prendre soin de vous. “Quand vous vous rendez à l’hôpital, vous devez être préparé mentalement à ce qu’on vous regarde de haut, qu’on vous parle mal et de ne pas recevoir les soins appropriés.” Les commentaires du personnel de santé fusent et il est très rarement ausculté, “À croire qu’être sans-abri était une maladie contagieuse.” Depuis 25 ans qu’il est sans toit, Patrick sait aussi qu’il n’a pas d’autres choix que de s’adapter. Quand il est avec d’autres sans-abri, il arrive à faire abstraction de la solitude qui l’habite. Malgré tout, il espère tôt ou tard sortir de la rue, mener une vie normale, trouver une maison.