Nouvellement créé le Kolektif Lavwa Akter Kitirel (KLAK) veut faire entendre la voix des artistes face aux dysfonctionnements qui les affectent. La non application des nouveaux tarifs pour les droits d’auteur, la non-reconnaissance du statut des artistes sont parmi les points évoqués. Ils parlent aussi de l’urgence face à l’effondrement du secteur du disque et la non-application de la loi qui enlève toutes les possibilités de rémunération face à la musique circulant gratuitement.
C’est en mai 2019 que le board de la MASA a approuvé les nouveaux taris pour les auteurs/compositeurs. Le document fut alors envoyé au ministre dans l’espoir qu’il soit gazetted à partir du 1er juillet 2019. Mais ce n’est finalement qu’en octobre 2020 que le gouvernement a publié les tarifs, cependant très différents de la version initiale en ignorant des points essentiels du document de la MASA, notamment concernant la section 16 du Copyright Act. Or, alors que ces tarifs devaient entrer en vigueur le 1er juillet 2021, ils ont été annulés sans explication valable.
De quoi provoquer le ras de bol chez plusieurs artistes et opérateurs du secteur culturel. Pour le KLAK c’est la goutte d’eau de trop : “Le ministre est revenu sur sa décision et a décidé de remettre en vigueur les tarifs publiés en octobre 2020 avec des amendements”. Les portes-paroles du collectif dénoncent aussi le fait que, par rapport au document d’octobre 2020, les nouveaux tarifs publiés le 24 juillet ont été proposés sans consultation avec la MASA. Avec les amendements, le gouvernement enfonce davantage le clou car de nombreux utilisateurs de musique, qui avaient l’habitude de contribuer aux droits d’auteurs, ont été enlevés de la grille. Plus étonnant encore le collectif explique que “les radios ne paient plus par rapport à leurs gross revenue mais de leur net revenu. Cela n’a pas de sens qu’une radio ne paye pas de droits d’auteur si elle n’arrive pas à faire de profits”.
Les artistes souhaitent que le gouvernement revienne à la version précédente, avec des tarifs basés sur le chiffre d’affaire et non le profit. Selon KLAK, “payer la MASA ne doit pas être facultatif pour les radios”. Sans oublier la rémunération des ayants droits dans les publicités puisque pour l’année financière 2019/2020 le chiffre d’affaire de la MASA sur la publicité a été de Rs 6 000 “Cela signifie que des centaines de publicités que l’on entend à la radio au quotidien ne seraient pas en règle avec la MASA ? D’où la raison pour laquelle, nous demandons aux autorités de s’assurer que les opérateurs du secteur publicitaire se conforment à la loi”.
Alors que le collectif ne cesse de s’agrandir KLAK est bien décidé à prendre les choses en main après avoir dressé une liste d’actions concrètes et immédiates à l’attention des autorités. Outre le dysfonctionnement de la MASA, la nécessité de mettre des quotas de productions locales sur les radios, le collectif cible d’autres points. D’une part, la possibilité de reverser une partie des revenues de la Loterie à la culture “comme stipulé dans la section 85A du Gambling Regulatory Autority Act 2007” ou encore de voir parmi les priorités du gouvernement le Status of Artist Bill “à l’étude au niveau du SLO depuis 2018” et dont le document devrait d’abord être accessible aux stakeholders avant qu’il ne soit présenté au Parlement. Sans oublier, l’opacité sur l’utilisation des fonds du ministère des Arts et du Patrimoine Culturel ainsi que la National Arts Fund (NAF). Pour montrer que leur démarche n’est pas vaine, KLAK avance: “Nos revendications ne demandent pas de budget supplémentaire de la part de l’Etat. Au contraire cela permettra au ministère de ne plus devoir contribuer auprès de la MASA pour payer le salaire des employés de la société avec l’argent des contribuables”. Pour soutenir ce point, il s’appuie sur le fait que “la moyenne collectée par la MASA est de Rs 30M par an tandis que la SACEM à la Réunion collecte Rs 150,000M par an pour une population de la moitié de celle de Maurice”.
D’où l’important, selon le collectif, que la proposition de la MASA (2013 et 2019) concernant la mise en oeuvre de la section 16 du copyright Act soit appliquée. “Le rôle du ministre selon la section 57 copyright Act est: provide for the levying of fees” car cette rémunération est prévue dans la loi depuis 1997. À ce jour, par le refus du gouvernement d’implémenter cette section, les acteurs du secteur musicale et autres ayants droits sont pénalisés. “Le ministre avait promis l’application de cette loi dès le 1er juillet 2021. On ne peut plus attendre”.
Les revendications de KLAK portent aussi sur un point du document indiquant que certains secteurs liés au tourisme seront exemptés de paiement de droits d’auteurs jusqu’au 1er juillet 2022. À ce propos, le collectif se demande : “Qu’est ce que le gouvernement a prévu comme compensation pour les auteurs/compositeurs ?”. Parmi les autres éléments, KLAK demande à ce que le mécanisme pour collecter les redevances à partir des ISP (Internet Service Providers) soit mis en place le plus rapidement possible : “Il est question d’un gros manque à gagner pour les ayants droits. Depuis des années, ce secteur en naufrage et est ignoré par les autorités”.
Désiré François :
“Dois-je me reconvertir?”
À 58 ans et 30 ans de carrière, son avenir est incertain : “Est-ce que c’est normal que je dois me reconvertir et trouver un autre métier pour continuer à subvenir au besoin ma famille?” L’auteur-compositeur et interprète n’a pas connu une vie facile. Né à Cassis, il a mené un combat sans fin pour trouver une ouverture et s’en sortir : “Et tout cela grâce à la musique. Elle est ma force, mon exutoire”. Or, aujourd’hui, le digne porte-parole du séga mauricien, au niveau locale, régionale et à l’internationale, est “à bout de souffle”.
Richard Hein
Une période très triste
En 25 ans de carrière, le propriétaire du Studio Kapricorn peut témoigner que le secteur a beaucoup changé à Maurice. “Le métier de producteur (maisons de disque) a disparu car il est quasi impossible de rentabiliser les projets d’enregistrement”. Même s’il concède que ce phénomène est mondial Richard Hein est avis qu’à Maurice “Ca se fait davantage ressentir puisque la non-application de la loi empêche les acteurs du domaine musical d’être rémunérés convenablement. Le système est cassé. Nous vivons une période très triste, et notre avenir reste flou”.
Laura Beg
L’extinction musicale arrive
Elle craint que “l’extinction musicale ne soit à l’horizon. Mo pe prier pa ariv ziska la”. Depuis 2002, elle a fait le choix de faire de sa passion pour le chant sa profession “monn viv et fer viv boukou dimoun autour mwa. Mo retrouv mwa dan enn linpas zordi”. Voilà deux ans et demi que l’artiste est dans l’incapacité de trouver un moyen pour recouvrir ses frais car les CD ne se vendent plus. Ceci est le résultat du fait que “le partage de la musique par bluetooth, à travers des plate-formes de téléchargement illégales ont des effets très néfastes sur nous”. Sans compter que les producteurs eux-mêmes sont dans l’impasse et ne veulent plus soutenir les projets “Je me demande ce qu’adviendra de ces jeunes qui rêvent de faire de la musique leur métier.”
Joelle Coret
Notre voix n’est pas entendue
Elle fait partie des artistes qui montent souvent au créneau. “Nous sommes souvent catégorisés comme artistes d’hôtels. Je me considère comme une artiste avant tout. Je suis auteur-compositeur-interprète”. Après avoir travaillé et chanté à Dubaï, au Bahreïn, aux Seychelles et en Tunisie, elle pensait mettre à profit ses différentes expériences et inspirer d’autres talents. Mais la déception a été grande. “A mon retour la situation des artistes s’était détériorée. Ce métier n’offre aucune sécurité. Comme d’autres artistes je ne cesse de réclamer un statut, la reconnaissance officielle. L’artiste est un travailleur comme les autres. D’autres avant nous ont mené le même combat. Malheureusement, notre voix n’a pas été entendue jusqu’ici”
Ras Natty Baby
Aucun ministre n’a à coeur l’intérêt des artistes
Il n’est pas à sa première bataille. Ras Natty Baby était au front pour la création d’une société de droits d’auteurs, la MASA. Il fut aussi là en 1983 à manifester dans les rues de Port-Louis pour que le gouvernement accepte de nommer un ministre de la Culture et que le ministère ne soit plus rattaché au ministère de l’Éducation. En 38 ans de carrière, il ne mâche pas ses mots : « ski mo inn konstate pandan tou sa letan, zame oken minist inn ena aker lintere bann arts, pu ki zot drwa respecte ek zot reminere kuma bizin. Tou letan in vinn avek solisyon panadol riss pou bouss lizie,sa mem kinn amen boubou dekourazman dan kominote arts”.