Fenêtres : (R)évolution dans nos collèges ?

Alors que notre Parlement semble se transformer en cour d’école pour gamins en mal d’épanchement de testostérone, cette semaine a aussi été marquée par une agitation particulière autour de la cour de nos établissements scolaires. Où la mixité a été introduite dans douze établissements « d’élite » qui accueillaient ici uniquement des filles ou des garçons.

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Il est symptomatique de constater les réactions qui, sur les réseaux sociaux, ont accompagné ce changement, que beaucoup considèrent comme une révolution. C’est toutefois occulter le fait que si, jusqu’ici, le système scolaire mauricien a largement été caractérisé par la séparation entre garçons et filles au niveau du secondaire, la mixité n’en est pas moins pratiquée depuis plus d’un demi-siècle pas seulement dans les établissements privés à programme français mais aussi, depuis 80 ans au précurseur St Andrews, puis au MGI, aux collèges Adventist ou Rabindranath Tagore, dans plusieurs petits collèges, en Form 6 au Islamic Cultural College et plus récemment dans les quatre derniers établissements du BEC dans les régions rurales, à savoir le Lorette de Bambous Virieux, le Saint-Esprit de Case Noyale, le St Mary’s Ouest et le BPS Fatima.

So what’s all the fuss about?

La nouveauté, ici, c’est que soudain, la mixité entre dans les collèges d’Etat d’élite.

Sur les réseaux sociaux, l’émotivité est palpable. Elle traduit d’une part un attachement un peu nostalgique à une « famille » qui était source d’accomplissement et de fierté. Mais elle traduit aussi des préjugés sexistes remarquablement tenaces. Ainsi, si voir des filles accéder aux « bastions masculins » des Collèges Royal de Curepipe et de Port-Louis semble accompagné de commentaires plutôt positifs, c’est la raillerie qui entoure l’entrée des garçons au « temple de l’excellence féminine » que représente le Queen Elizabeth College. Et c’est bien sûr autour de l’uniforme, symbole s’il en est de l’esprit de corps, que se focalise la moquerie, les garçons étant caricaturés en jupes…

Nul doute qu’il y aura là des paramètres nouveaux à gérer. Mais partout, les études montrent que le fait de se côtoyer à l’école ne génère pas plus de « dépravation », n’empêche pas garçons et filles de travailler et d’obtenir de bons résultats, et est même plutôt susceptible de générer des relations plus saines pour la suite.

Reste que le fait, dans « académies mixtes », de voir seulement « mixtes » et non « académies », risque de nous faire passer sur la question plus fondamentale que pose cette rentrée. C’est-à-dire, justement, la création des académies.

Leur mise en fonctionnement cette année vient en effet couronner un système qui créait beaucoup d’exclus. Sur les près de 19 000 élèves entrés en primaire en 2009, ils étaient 15 978 à accéder à la Form 1 en 2015 et 6 848  à atteindre la Lower 6 en janvier 2020. Un tiers seulement…

Mais le nouveau système pose, de son côté, quatre goulots d’élimination : l’examen du PSAC à la fin du cycle primaire, l’examen de NCE à la fin du Grade 9 (ex Form 3), l’examen de fin de Grade 11 (ex Form 5). Des résultats de ce dernier examen va dépendre l’entrée de ceux ayant obtenu les meilleurs résultats dans les académies, et la participation finale aux examens de HSC. En quoi donc ce nouveau système couronné va-t-il venir améliorer la situation éducative à Maurice ?

Il est de plus en plus clair, à travers le monde, que nous sommes déjà arrivés à la fin du modèle qui voulait jusqu’ici que l’on se spécialise dans un domaine et que l’on fasse carrière dans ce domaine jusqu’à la retraite. Aujourd’hui, au lieu de donner des connaissances et compétences particulières dans des domaines spécifiques, l’éducation exigerait, plus largement, que nous formions des esprits, capables de s’adapter à des situations et des métiers différents.

Voit-on une réforme en ce sens ?

Le 9 juin dernier est mort Edward de Bono, psychologue et spécialiste en sciences cognitives. Convaincu que le cerveau pouvait être entraîné à fonctionner de façon plus créative et innovante, il est à l’origine du concept de « pensée latérale », qu’il oppose à la « pensée verticale » privilégiée jusqu’ici dans le sillage de Socrate, Platon et Aristote, qui procède sur la base de la logique pure. « Vertical thinking was characterised by conflict, argument, arrogance and rejection of unusual ideas. In schools, it wasted two-thirds of society’s natural talent”, résume The Economist dans l’obituaire consacré à Edward de Bono. Un homme qui semble avoir été insuffisamment entendu.

« Si on éduque des individus semblables à ceux qu’on a formés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en privilégiant les apprentissages où la mémorisation prime sur la compréhension et l’analyse, on reproduit un système qui va droit dans le mur». Ces propos de Daniel Curnier dans le journal suisse Le Temps en février 2019 font fortement écho chez nous. Pour ce Docteur en sciences de l’environnement, la société moderne doit se réinventer, car le modèle qu’elle adopte la rapproche des limites écologiques. Pourtant, la façon dont elle dessine son futur ne la mènera qu’à reproduire les mêmes erreurs. «Au niveau de l’éducation, il y a eu des changements cosmétiques mais le fond n’a pas changé. L’école est née au début du XIXe pour répondre aux besoins de l’industrie. Aujourd’hui,  au lieu de former des gens qui pourraient trouver des solutions, on en forme dans le but de les insérer dans une économie qui produit les problèmes que l’on connaît. C’est absurde. Alors que l’Unesco a, depuis longtemps, proposé un projet d’éducation en vue d’un développement durable. La clé serait de modifier l’enseignement de l’écriture, de la lecture et des mathématiques. Si on arrive à orienter ces catégories d’apprentissage vers des enjeux socio-écologiques et à les faire dialoguer avec les autres disciplines, un pas important vers l’interdisciplinarité sera déjà exécuté. Il faudrait également ouvrir l’enseignement sur la société plutôt que l’enfermer dans des fiches et dans des classes ».

Ouverture et interdisciplinarité, c’est également ce que préconise Joe Arun, directeur du Loyola Institute of Business Administration de Chennai, dans une tribune intitulée «Think beyond textbooks » publiée le 9 juin dernier dans The Hindu. « The object of any learning must aim to build three specific capabilities — rational, emotional, and moral — that make one think critically and creatively, mature in her/his interactions, and take appropriate decisions in life. To that end, Teaching-Learning-Assessment (TLA) must change. Can students examine themselves and their lives critically? Do they have the ability to see themselves not as citizens of a local group/caste/nation but as human beings bound to others by ties of concern? Can they empathise with those who suffer, and create solutions for their problems? This kind of learning is difficult to achieve with our current curriculum”.

Où en sommes-nous par rapport à cela?

Que propose-t-on dans notre système couronné par des académies ?

Quelles nouveautés dans la façon d’enseigner, dans le syllabus et dans l’évaluation ?

Quel programme d’éducation sexuelle offrons-nous au lieu de nourrir des craintes de « promiscuité » liée à la nouvelle mixité dans ces nouveaux établissements ?

Quel enseignement par rapport à la gestion des émotions ?  Quelle éducation à l’image alors que les images tiennent une place de plus en plus énorme dans le quotidien de nos jeunes ?

En Chine, où la rat race a toujours été le système dominant et généralement loué, deux mots se sont développés récemment pour dire la frustration grandissante des jeunes chinois-es et leur rejet grandissant de ce système : neijuan ou « involution », qui indique un mouvement de repli vers l’intérieur de soi en réaction à un sentiment de burn-out. Et tang ping ou le « lying flat ». Soit le fait de ne pas se tuer au travail, de se fixer des objectifs atteignables et de se donner le temps de se poser.

Une tendance qui, à la faveur de la pandémie de Covid-19, semble avoir pris de l’ampleur à travers le monde. Avec des jeunes voyant leurs parents, qui se sont escrimés toute leur vie au travail, soudain tout perdre, boulot et retraite. Des jeunes qui veulent abandonner la compétition pour donner du sens à ce qu’ils font.

Reste posée la question de savoir si notre système éducatif, enfin plus largement mixte, nous donne le sentiment d’aller dans le sens de cette évolution…

SHENAZ PATEL

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