En matière de réchauffement climatique, l’un des enjeux majeurs à venir est manifestement la manière dont le monde réagira face à la montée inéluctable des eaux, et qui met dans une situation de menace imminente déjà une partie de l’humanité, en l’occurrence les populations les plus exposées à la mer. Car c’est un fait : en l’espace d’un peu plus de 100 ans, les eaux du globe se sont déjà élevées de 11 cm, et devraient en gagner 15 de plus d’ici la fin du siècle. En cause, la dilatation thermique de l’eau et la fonte des glaces du Groenland et de l’Antarctique, bien sûr, mais plus encore, la fonte des glaciers.
Et ces projections sont encore les plus optimistes. Une récente étude vient en effet de révéler que, ces 20 dernières années, les glaciers auront fondu plus vite que prévu sous l’effet du réchauffement climatique, soit près de… 300 milliards de tonnes de glace par an. Soit encore plus que la calotte du Groenland ou celle de l’Antarctique. Ou encore assez que pour déverser 50 centimètres d’eau sur l’ensemble d’un pays comme la France. Sans compter que, tout comme le permafrost, certains glaciers renferment dans leurs couches les plus solides (qui ne fondent jamais, quelle que soit la saison) des virus et des bactéries, dont certains probablement extrêmement virulents, et dont nous nous passerons bien.
Peu de chance cependant que cette nouvelle, bien que scientifiquement avérée grâce à l’analyse de données satellitaires de plus de 220 000 glaciers, nous pousse davantage à prendre les mesures qui s’imposent. En bref, cela ne nous fait ni chaud ni… froid. Pas plus d’ailleurs que les autres calamités que l’on nous annonce pourtant dans le moyen terme, à commencer par les hausses létales de températures. Certes, notre planète va mal, très mal. Et nous le savons tous, ou presque. Autant d’ailleurs que nous savons que les désastres, actuels et futurs, ont des origines anthropiques. D’où la question : pourquoi, si nous avons pleinement conscience de tout cela, ne faisons-nous rien ?
La raison est liée à l’espace et au temps : l’espace, car nous ne prenons le plus souvent la mesure des dangers que lorsqu’ils sont à notre portée visuelle, et donc géographique, et le temps parce que nous avons tendance à agir dans l’instantané face à des situations instantanées. En d’autres termes, il nous est difficile, voire impossible, de nous projeter dans un futur plus ou moins lointain, préférant reléguer la résolution des conséquences de nos actions présentes aux générations de demain. Aussi, s’il arrive malgré tout que nous prenions conscience des dangers, dans de nombreux cas, c’est grâce à ce que nous avons vécu, directement ou non. Autrement dit, grâce aux « histoires » que l’on aura personnellement vécues, ou que l’on aura entendu raconter.
C’est en tout cas ce qu’ont encore récemment suggéré des chercheurs américains de l’université Johns Hopkins. Pour réaliser leur étude, ces derniers ont suivi 600 personnes à qui l’on a demandé de regarder une vidéo racontant l’histoire vraie d’un homme de leur région décédé après avoir mangé des crustacés contaminés et 600 autres à qui l’on a présenté des faits scientifiques ayant trait au même problème. Avec pour résultat de voir le premier groupe davantage prêt à limiter leurs émissions polluantes que le second. Bien sûr, il ne s’agit que d’une étude, mais elle démontre bien que les événements rapprochés et palpables nous influencent plus que ceux nous apparaissant lointains et/ou tout aussi immatériels que peuvent l’être les chiffres. Aussi, rien d’étonnant à ce qu’une majorité de personnes ne s’émeuvent pas particulièrement de savoir la mer monter, d’autant si ce n’est que de quelques minuscules millimètres par an.
Le problème, c’est que cet état d’esprit, peut-être d’ailleurs inscrit depuis toujours dans notre ADN, risque de précipiter l’humanité vers une énième extinction de masse, bien que la première d’ordre anthropologique. Pourtant, l’étude susmentionnée, tout comme les nombreuses autres entamées depuis des décennies sur la cause climatique, mais aussi les conférences, colloques, forums, et même les présentes lignes, prouvent que nous avons conscience des failles de notre système et de notre manière de voir. En espérant que ce faisant, nous inversions enfin la vapeur. Ce qui reste malheureusement une utopie dans la conjoncture.
Michel Jourdan