Ils étaient douze, ils ne sont plus que trois mais le Real Madrid, le FC Barcelone et la Juventus Turin n’ont pas renoncé à batailler pour leur projet du Super Ligue, un championnat quasi fermé.
Après le temps de l’indignation, celui des anathèmes et les promesses de sanctions, vient celui de la justice: le dossier a été transmis à la Cour de justice européenne (CJUE) par un juge espagnol.
– Le dimanche des longs couteaux –
Ce dimanche soir 18 avril, douze clubs prennent de vitesse l’UEFA qui doit annoncer le lendemain une réforme de la Ligue des champions que l’on murmure pourtant favorable aux grands clubs. Ils annoncent la création d’une compétition européenne privée, quasiment fermée, concurrente de la Ligue des champions. C’était un serpent de mer, beaucoup y voyaient du bluff, ils sont démentis.
Six clubs anglais (Manchester City, Arsenal, Manchester United, Chelsea, Tottenham et Liverpool), trois espagnols (Real Madrid, le FC Barcelone et l’Atletico Madrid) et autant d’italiens (AC Milan, Inter Milan et Juventus Turin), entrent en dissidence. Manquent à l’appel de ces mastodontes notamment le Bayern Munich et le PSG. Mais les « sécessionistes » pèsent lourd: ils ont remporté 17 des 21 Ligues des Champions du XXIème siècle.
– La marche triomphale des mutins –
Dès la matinée du lundi 19 avril, les dissidents affichent leur détermination dans une lettre transmise aux médias. Une heure plus tard, le président de l’UEFA Aleksander Ceferin, costume sombre et visage fermé, fustige « une proposition honteuse » de quelques « serpents » seulement « guidés par l’avidité », « un crachat au visage de tous les amoureux du football ».
Les marchés financiers semblent avoir choisi leur camp: face aux revenus mirifiques promis par les promoteurs de la Super Ligue, l’action de la Juventus Turin s’envole, celle de Manchester United progresse nettement à New York aux Etats-Unis, le pays de ses propriétaires, la famille Glazer.
Une exclusion? Elle est « impossible », tranche en soirée le patron du Real Madrid et nouveau président de la Super Ligue Florentino Perez.
– La riposte, la révolte et la débâcle –
Le mardi 20 sera le jour du retournement. Gianni Infantino, le président de la Fifa dont le rôle suscitait des interrogations, apporte son soutien à l’UEFA, prévient que les rebelles « devront subir les conséquences » de leur rupture. Dans la foulée, les 55 fédérations membres condamnent la Super Ligue, y compris les fédérations anglaise, espagnole et italienne. Ceferin entrouvre une porte de sortie: il est « encore temps de changer d’avis » dit-il aux rebelles.
Des grandes voix du football, des joueurs (y compris des clubs mutins), dénoncent la cupidité des rebelles. Fait inhabituel, le politique s’en mêle puisqu’en France et en Grande-Bretagne le pouvoir fustige le projet. Surtout, les supporters s’indignent, notamment en Angleterre, avec des manifestations.
C’est de ce pays que vient le vent du changement. Manchester City cède le premier et se retire « du groupe chargé de développer le projet de Super Ligue européenne ». Les cinq autres suivent, se résolvent à des excuses publiques. Puis viennent l’Atletico et les clubs milanais. La banque américaine JPMorgan, qui devait financer le projet, reconnaît l’avoir « clairement mal évalué ».
Le Real, le Barça et la Juve refusent d’abdiquer. Le projet n’est qu' »en stand by », affirme Florentino Perez.
– Le temps des sanctions –
Les neuf mutins rentrés dans le rang négocient avec l’UEFA et acceptent le 7 mai de payer solidairement 15 millions d’euros d’amende et 5% de leur manne européenne sur une saison. Pas de quoi impressionner le Real, le Barça et la Juve qui dénoncent des « menaces » et préviennent qu’ils comptent « persévérer ».
Le 12 mai, l’UEFA annonce des poursuites disciplinaires contre les trois géants. Parmi l’éventail de sanctions prévues par le même texte, les plus lourdes pour les clubs sont « l’exclusion de compétitions en cours et/ou de compétitions futures » et, pour les dirigeants, « l’interdiction de toute activité relative au football ».
– Le temps du droit –
Au paroxysme de la crise, la justice espagnole avait interdit le 20 avril à l’UEFA et à la Fifa de prendre une décision tant que le fond du dossier n’avait pas été tranché. Trois semaines plus tard, elle transmet le dossier à la Cour de justice de l’UE qui devra répondre à une question cruciale sur l’avenir du football européen: l’UEFA contrevient-elle aux règles d’interdiction des monopoles et de libre concurrence en s’opposant à cette compétition privée? Ou le foot rentre-t-il dans le champ des exceptions?