Cette année encore, le rapport de l’Audit rendu public cette semaine identifie, révèle et épingle des centaines de cas de maladministration des fonds publics, quand il ne s’agit pas carrément de malversations. Cette année encore, des milliards de roupies, fruit du travail et des taxes payées par les Mauricien-nes, ont été mal gérées, gaspillées, voire se sont volatilisées…
Chaque année, le bureau de l’Audit scrute la façon dont l’argent public est dépensé par nos divers ministères et organismes étatiques. Chaque année, il relève des pratiques lacunaires, douteuses, voire criminelles. Et pourtant, chaque année, ce rapport n’a aucune suite. Aucun ajustement. Aucune poursuite. Aucune sanction. Rien. Personne ne paye.
Cette année, la chose se révèle encore plus inacceptable. Parce que le rapport révèle de graves appropriations de fonds à la faveur de la gestion de la pandémie. Parce que cette année, la pandémie plonge tant de personnes travailleuses dans un dénuement et une détresse économique, manquements et magouilles suscitent une révolte profonde.
Combien de temps encore va-t-il être possible pour des gens, fonctionnaires ou/et personnel politique, rémunérés des fonds publics, de dilapider des fonds publics sans être jamais inquiétés en aucune manière ?
À quoi nous sert-il de payer des gens qui, au final, ne portent la responsabilité de rien ?
Le sentiment délétère de ne pas pouvoir faire confiance et de ne pas avoir de recours s’intensifie autour de la gestion de la crise Covid. Notamment ces derniers jours, sur la question des tests et des vaccins.
La semaine dernière encore, le ministre de la Santé affirmait que nous n’avions pas, à Maurice, les moyens de séquençage nécessaires pour identifier la présence d’éventuels variants dans la résurgence de la Covid sur notre territoire. Or, dans une interview publiée samedi dernier par notre confrère l’express, Vincent Lagarde, CEO d’Abiolab, affirmait que son labo basé à Ébène avait non seulement les moyens techniques et matériels d’effectuer le séquençage, mais qu’ils en avaient fait début mars pour le compte du ministère de la Santé. Et que les résultats obtenus le 15 mars indiquaient la présence de variants à Maurice.
Ne réagissant pas du tout à ces informations, le ministère vient finalement déclarer, lors de son point de communication du 24 mars, que des échantillons envoyés pour être analysés en Afrique du Sud permettent d’affirmer qu’il n’y a pas de variants en circulation à Maurice. Alors que juste à côté de nous, à La Réunion, le bilan hebdomadaire montre que du 13 au 19 mars, 803 cas de variants (726 sud-africains ou brésiliens et 77 britanniques) ont été relevés, soit une proportion de 61,2%. Et qu’Abiolab maintient ses résultats.
Qui dit vrai ? Qui ment ? Pourquoi ?
Mêmes questions au sujet du vaccin.
Au Parlement mardi dernier, le ministre de la Santé a déclaré que le gouvernement a acheté la dose du Covaxin à $15 à l’Inde, soit environ Rs 600. Réaction du député Shakeel Mohamed, qui souligne que ce vaccin, en Inde, coûte Rs 150. Comment se fait-il donc que nous le payons quatre fois plus cher ? Comment se fait-il que l’AstraZeneca coûte $4 en moyenne, alors que le Covaxin, qui n’a pas encore reçu l’homologation de l’OMS, nous coûte
$15 ? Faudra-t-il encore attendre un rapport du bureau de l’Audit en mars 2022 pour nous dire que nous avons été dépouillés ? Et que rien de toute façon ne se passera ?
Inconfiance, démission et impunité aussi autour de ce qui s’est révélé cette semaine comme « l’affaire Telegram ».
Fondée en 2013 par les frères Pavel et Nikolaï Dourov, la messagerie cryptée Telegram a connu cette année un essor marqué avec notamment la décision annoncée par le réseau WhatsApp d’effectuer un plus grand partage de données avec sa maison mère Facebook. Du coup, mi-janvier, Telegram annonçait avoir gagné 25 millions d’utilisateurs en quelques jours, dépassant les 500 millions au total. Mardi dernier, Telegram a émis plus d’un milliard de dollars d’obligations pour financer sa croissance.
Clairement, un certain nombre d’utilisateurs mauriciens ont fait partie de ce mouvement de migration vers Telegram. Notamment pour abriter les activités de groupes s’adonnant à la cyberpornographie, échange de photos et vidéos de jeunes femmes dénudées.
Il semblerait ainsi qu’un groupe mauricien ait été créé sur Telegram, où l’on peut entrer sans y être forcément invité. Le résultat, c’est qu’un certain nombre de jeunes Mauriciennes ont commencé à être informées, il y a un peu moins de deux semaines, que des photos dénudées d’elles circulaient sur Telegram. Certaines sont alors venues de l’avant pour le dénoncer. Et l’affaire s’est immédiatement corsée.
Le premier mécanisme enclenché a été celui, habituel, de dévaloriser la parole de ces femmes. Mais il y a manifestement une jeune génération qui est bien déterminée à ne plus se taire, et à utiliser à fond les réseaux sociaux pour se faire entendre. Mais cela ne résout pas tout. Car ce que montre cette affaire, c’est aussi le refus institutionnel de légitimer et valider la parole des femmes.
L’an dernier, un groupe de jeunes Mauriciennes s’était signalé en lançant courageusement, sur les réseaux sociaux, un équivalent local du mouvement Metoo. En quelques jours, les dénonciations avaient plu, parfois extrêmement précises et étayées. Il n’y a eu aucune suite. Ni enquêtes ni interrogatoires. Aucune intervention de la police et des autorités. Rien.
Aujourd’hui, face à l’affaire Telegram, qui a vu des révélations avec photos d’utilisateurs et commentaires à l’appui, certains tentent de balayer le tout en disant qu’il y a des jeunes filles qui, pour se faire de l’argent pendant le confinement, ont choisi de vendre photos et vidéos d’elles à des hommes. Mais il y a plus que ça. Et cette catégorie est en fait utilisée pour masquer une autre réalité de l’affaire Telegram : celle de jeunes filles et femmes qui, ayant partagé des photos d’elles à un moment donné avec leur copain, voient soudain leurs photos intimes être partagées publiquement suite à une rupture ou un refus.
Cette pratique se répand tellement depuis quelque temps qu’elle a dorénavant un nom : le revenge porn. Une pratique quasi-exclusivement masculine. Car dans nos sociétés patriarcales et machistes, exposer une femme dans sa nudité est considéré comme la pire humiliation qui puisse lui être faite face à elle-même et à la société.
Il y aurait sans doute tout un travail à faire pour que les jeunes (et moins jeunes) se rendent pleinement compte à quel point l’utilisation des réseaux sociaux, aujourd’hui, les expose de facto au danger de voir utiliser et partager leurs photos à leur insu.
Mais il y a aussi tout un travail à faire pour que les autorités finissent par prendre et assumer pleinement leurs responsabilités face à ce qui constitue un délit, délit qui se développe et se répand aussi vite que les réseaux sociaux. Et nous sommes clairement très loin du compte.
Depuis que l’affaire Telegram a explosé, seule la jeune parlementaire d’opposition Joanna Bérenger a pris la parole à ce sujet pour réclamer enquête et sanctions. Nos parlementaires hommes sont muets. Et la ministre de l’Égalité des Genres et du Bien-Etre de l’Enfant se terre dans un silence de tombe, alors même que cette affaire implique également la circulation de photos de mineures. Si on peut « plaider » le consentement chez les majeures, faire circuler une photo de mineure dénudée est de toute façon un délit, car d’après la loi, il ne peut y avoir de consentement d’une personne mineure. Alors, comment est-il possible qu’il y ait autant d’immobilisme ?
Pour le justifier, les autorités se réfugient derrière l’argument de l’opacité des réseaux sociaux. Cela revient à consacrer comme zone de non-droit un espace où des atteintes inqualifiables sont portées au droit fondamental des femmes d’être respectées dans leur intégrité physique et morale. Et ce frein semble peu s’appliquer dès lors qu’il est question pour certains de débusquer leurs opposants politiques…
Dans l’affaire Telegram, Il n’y a pas qu’un rapport malsain et toxique à l’autre et à la sexualité. Il n’y a pas que des individus qui abusent et humilient des jeunes femmes. Il y a aussi un État qui leur refuse la protection à laquelle elles devraient avoir légitimement et légalement droit. Qui paiera pour ce crime ?
SHENAZ PATEL