Fiers d’être Mauriciens, vraiment ?

Pour la première fois sans doute de notre histoire, nous n’avons pas célébré publiquement le 12 mars cette année. 53e anniversaire de l’Indépendance, 29e anniversaire de la République, aucune cérémonie, Covid-19 oblige.

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C’est clair, avec la résurgence de la pandémie, il n’y a pas de quoi être à la fête.

Mais qu’aurions-nous fêté, en vrai ?

Avant l’annonce, le 10 mars dernier, du décret de lockdown qui ferme notre pays et ses activités jusqu’au 25 mars, quelqu’un avait-il entendu parler d’un programme officiel pour ce 12 mars ? Rien sur le site du ministère, alors même que nous nous proclamions Covid-safe depuis mai 2020, et que de multiples célébrations publiques ont été organisées ces derniers temps.

Si l’on apprend seulement que le thème choisi pour la fête nationale cette année était « Nou linite, Nou Lafors », quelle unité et quelle force avons-nous réellement à fêter cette année?

Nous sommes le fruit d’une histoire dont nous refusons encore très largement de parler, et encore moins de régler.

Cette histoire a vu la majorité de nos ancêtres arriver dans des situations de violence. Esclavage, engagisme, même certains « colons » étaient des repris de justice condamnés à l’exil ou envoyés dans les îles pour y être exploités. Or nous en sommes toujours à fermer l’accès à certaines archives pour éviter que l’on documente cette histoire, qui n’est pourtant pas sans nourrir ressentiments et répercussions jusqu’aujourd’hui.

Cette histoire se prolonge dans une gestion coloniale qui instaure de profonds déséquilibres et injustices au niveau de la production et répartition des richesses, au niveau de l’accès à la terre et au logement, au niveau de la représentation et de l’exercice politique.

Cette histoire aboutit à une indépendance qui se joue sur le déracinement des Chagossiens, qui institutionnalise la représentation communale, favorise le népotisme

Nous sommes le fruit d’une histoire dont les séquelles attendent toujours d’être reconnues et traitées. Car on parle là de déséquilibres profonds et de situations d’injustice qui, loin de s’évaporer en cours de route, se sont érigées en véritable système qui régit notre vie commune aujourd’hui.

Nous avons pourtant su, aussi, bâtir de belles réussites.

De l’écrivain V. S. Naipaul au Prix Nobel d’Economie James Meade, personne ne donnait cher de la peau de ce petit pays qui, peut-être, rêvait « un peu trop grand pour lui ». Et pourtant, au fil des années, Maurice a su déjouer autant de prédictions pessimistes pour accéder à une forme de réussite.

Alors, pourquoi en sommes-nous là aujourd’hui ? Dans ce délitement intense qui a conduit l’ex-président de la République Cassam Uteem, à déclarer, il y a trois semaines, que « nous avons affaire à un État voyou dans lequel quelques rares institutions seulement fonctionnent. Nous avons un gouvernement qui encourage la corruption, tolère la fraude et s’ingère dans tout. Nos institutions ne sont pas en dysfonctionnement : elles ont arrêté de fonctionner. Nous avons au pouvoir des gens qui n’ont aucun sens de l’État, de la responsabilité, de l’intégrité, et qui ont été placés à des postes de décision ».

La nouvelle crise du Covid-19 que nous vivons depuis le 5 mars dernier cristallise tous ces éléments.

Il est évident qu’il allait être difficile d’assurer que le virus ne se remette pas à circuler sur notre territoire. Certes, nous avions une quatorzaine stricte à l’arrivée, mais il apparaît que le virus et ses variants semblent, parfois, montrer des périodes d’incubation supérieures. D’où, d’ailleurs, la décision de Hong Kong de faire passer la quarantaine à l’entrée de son territoire de 14 à 21 jours depuis fin décembre 2020.

Il est donc possible qu’une personne testée positive à l’issue de sa quatorzaine à l’entrée de Maurice ait par la suite développé le virus. A défaut de penser que son test ait été défectueux. Autant nous ne pouvons envisager de garder des personnes en quatorzaine pour des périodes de plus en plus longues, autant cette résurgence chez nous pose la question de savoir comment le gouvernement a géré la période qui nous amène à cette nouvelle crise.

Dans son édition du 7 février dernier, le Wall Street Journal faisait ressortir que si les vaccins anti-Covid suscitent l’espoir, la froide réalité indique que la maladie est vraisemblablement là pour des années, voire des décennies. Cela en raison des nouveaux variants, de leur contagiosité accrue, et des limites du programme de vaccination. Entre mars 2020 et mars 2021, qu’a donc fait le gouvernement pour nous préparer pas forcément à vivre avec, mais au moins à faire face à cette éventuelle (inévitable ?) résurgence ?

Ce gouvernement a nourri la magouille et l’enrichissement personnel démesuré et indécent. Pendant que nous étions enfermés, et que nous peinions pour nous en sortir, individuellement et collectivement, alors que nous n’avions pas le droit de sortir de chez nous plus de 2 jours par semaine, certains, proches du pouvoir, ont trouvé le moyen de créer des compagnies, de les faire enregistrer, d’obtenir des contrats faramineux dans des secteurs où ils n’avaient jusque-là aucune compétence ni expérience. Genre quincaillerie et hôtesse de l’air chargés de fournir masques, tests et équipements de pointe nécessaires à la lutte contre le Covid.

Ce gouvernement nous a mis en danger : les enquêtes initiées entre-temps ont révélé que les 50 respirateurs achetés à coups de millions pendant le confinement ne fonctionnent pas. On parle de les renvoyer, d’intenter un procès. Mais aujourd’hui, un an après, on fait quoi si les cas de cette nouvelle vague nécessitent d’être placés sous respiration artificielle ?

Ce gouvernement a permis les passe-droits. S’il se chuchotait que certaines personnes entraient au pays sans passer par la quatorzaine payante supposée être obligatoire pour tous, ce que le gouvernement avait toujours démenti, hors deux délégations ministérielles étrangères, une personnalité de notre gouvernement a déclaré, dans une déposition cette semaine, que rentré à Maurice en janvier 2021, il a été autorisé à observer sa quatorzaine à son domicile, avec, insiste-t-il, un vigile de la police devant sa porte pour s’assurer qu’il respectait son isolement. Pourquoi cette faveur pour lui ? Pourquoi certains Mauriciens non fortunés sont-ils obligés de payer des quarantaines onéreuses alors que d’autres, pourtant argentés, peuvent en être exemptés ?

Autant de questions qui, plus que de la méfiance, nourrissent une forte inconfiance vis-à-vis de ce gouvernement. Une inconfiance qui fait se ruer dans les supermarchés pour se ravitailler, alors que le gouvernement reproduit un an plus tard la même erreur qu’il avait faite dans l’urgence l’année dernière : affirmer qu’il n’y a pas lieu de faire du panic buying, pour ensuite annoncer à 21 h 30 la fermeture des commerces pour 6h le lendemain…

Avons-nous de quoi être fiers d’être un pays qui érige à ce point le dysfonctionnement en normalité ?

Avons-nous de quoi être fiers d’être une population qui soutient et maintient au pouvoir une « élite » politique qui porte ces temps-ci à des sommets le népotisme, les magouilles, la gabegie ?

Avons-nous de quoi être fiers d’un secteur privé qui finance ce système politique en pratiquant à ce sujet une opacité qui ne change toujours pas ?

Avons-nous de quoi être fiers d’être une population solidaire uniquement à l’occasion des Jeux des Iles et en cas de cyclone, privilégiant largement les intérêts sectaires le reste du temps ? Le fait même que nous en ayons été à nous extasier devant le fait que nous étions tous réunis pour faire face à la marée noire du Wakashio en août 2020, indépendamment de notre « appartenance ethnique », n’en dit-il pas long, justement, sur ce que nous ne sommes pas le reste du temps ?

On fête quoi, en ce 12 mars 2021 ?

En 1992, la République fut proclamée pour satisfaire un banal accommodement politique afin de faciliter l’alliance, et la répartition des postes, entre deux partis. Aujourd’hui, alors que nous sommes confrontés au défi incroyablement exigeant du Covid-19, ne serait-il pas temps d’œuvrer à se donner les moyens d’être plus exigeants aussi vis-à-vis de ce que nous célébrerons le 12 mars 2022 ? Au-delà des formules creuses et du self-congratulation de la nation-arc-en-ciel-tigre-de-plus-rien-du-tout ?

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