Il ne fallait pas grimper sur un cocotier pour voir qu’il y avait de grosses maldonnes dans les contrats attribués d’urgence pour la fourniture des médicaments et des produits médicaux pendant la pandémie. Dès l’attribution de ces contrats d’urgence, l’opposition a mené le combat au Parlement pour essayer d’obtenir l’identité des très heureux bénéficiaires. Dans un premier temps, le ministre de la Santé, qui avait déclaré que Maurice ne pourrait être touché par la Covid-19! avait, avec le soutien du Premier ministre et du Speaker, refusé de répondre aux questions. Puis, quand les détails des contrats avec noms des récipiendaires et montants ont été révélés, le ministre a été obligé de faire marche arrière. C’est alors que l’île Maurice médusée a appris que le ministère de la Santé avait attribué, sans appel d’offres, des contrats pour des médicaments et des produits médicaux à des marchands de poisson, des bijoutiers, des quincailliers, des beaux-frères et des proches de nominés du MSM. Des contrats de centaines de millions de roupies ont été donnés en seulement quelques heures à des gens bien connectés politiquement. Ces heureux bénéficiaires se sont partagé plus d’un milliard de roupies avec la bénédiction du gouvernement! Ces faits étaient connus du pays tout entier, sauf de l’institution sensément créée pour lutter contre la fraude et la corruption: l’ICAC.
L’institution, dont le contrat du directeur sera sans doute renouvelé sans problème dans les prochains jours, a fait ce qu’elle fait le mieux: mener une enquête à l’allure d’une tortue. Pour essayer de jeter de la poudre aux yeux, elle interpella un des petits bénéficiaires du pactole, sans toucher aux gros paletots. Elle prit dans ses filets un petit million en laissant passer les gros requins. N’en déplaise au nouveau président du Bar Council, il est évident que sans l’action, parfois bruyante, mais efficace des Avengers, il est probable que la situation n’aurait guère avancée, encore moins l’enquête de l’ICAC. C’est à partir de l’affaire d’emploi fictif, qui est une accusation de corruption que l’ICAC semble ne pas avoir eu le temps d’étudier attentivement, que les événements se sont accélérés. Les révélations quotidiennes, les unes plus choquantes que les autres, démontrant à quel point les proches du pouvoir ont tiré profit de la pandémie, ont obligé l’ICAC et la CCID à sortir de la léthargie dans laquelle ils semblaient profondément et confortablement plonger. C’est quand tous leurs efforts pour ralentir les choses — et surtout empêcher l’audition du ministre du Commerce — ont échoué, que l’ICAC a fait ce qu’il aurait dû avoir fait depuis des mois: interpeller les gros requins qui ont profité de la pandémie. Car tout le monde savait depuis des mois que parmi les bénéficiaires de la loterie de la pandémie, il y avait le directeur général de la STC et ses proches. Les contrats sur lesquels l’ICAC s’est basé pour l’arrêter n’ont pas été signés avant-hier, mais depuis l’année dernière. Le nombre de semaines que l’ICAC a pris pour les découvrir et les utiliser suscite des interrogations. Tout comme la décision du nouveau ministre du Commerce de confier l’enquête sur les «possibles» maldonnes de la STC au bureau de l’Audit et non à la CCID ou à l’ICAC.
Ces affaires révèlent qu’il existe chez les proches du MSM et de ses alliés un énorme appétit — d’autres ont parlé de voracité — pour les contrats payés des fonds publics. Non seulement ils se battent entre eux pour les obtenir, mais sont capables d’inventer des situations pour les faire exister. C’est dans cette démarche qu’il faut sans doute ranger cette décision prise au Conseil des ministres, vendredi dernier. Selon le communiqué diffusé par la MBC, le gouvernement a pris la décision de remplacer la carte d’identité par une nouvelle. Mais cette carte, qui a suscité tant de polémiques et pour laquelle Pravind Jugnauth était pour avant d’être contre — ou le contraire — a été mis en service en 2014. Cette carte biométrique qui a coûté à l’Etat plus de Rs 4 milliards avait une durée de vie de dix ans, avait-on annoncé à l’époque de sa mise en service. Pourquoi donc faut-il la remplacer, alors qu’elle n’a que six ans d’existence? Vous ne croyez pas qu’il y ait quelque part un beau-frère, une belle-soeur, un cousin, un soldat ou une hôtesse de l’air qui a un contact et pour qui le contrat serait en train d’être fait sur mesure? Dans un pays normal, on aurait demandé à l’ICAC et à la police d’ouvrir une enquête, mais puisque nous sommes à Maurice, en 2021, il faudra peut-être référer l’affaire aux Avengers…