On se serait cru dans un film se déroulant à Damas ou à Kaboul. Pour les besoins du tournage, on avait fait fermer une partie des rues de la capitale, installé des blindés, érigé des barricades, posté des policiers dans la rue, des soldats dans les croisées, fait grimper des snipers sur les toits et fait venir des chiens renifleurs. C’est ce qui est généralement montré dans les films sur la mafia quand un tribunal d’exception doit auditionner des parrains repentis désireux de confesser leurs crimes. Jeudi dernier, à Port-Louis, deux cents policiers et les équipements décrits plus hauts ont été déployés autour du tribunal où comparaissait le ministre du Commerce, accusé d’avoir déclaré un emploi fictif. Un délit qui a coûté sa place d’éventuel président de la République française à l’ancien Premier ministre François Fillon. A cette différence que si François Fillon avait payé son épouse pour un emploi fictif, dans le cas mauricien, celle qui était officiellement censé être rétribuée comme Constituency Clerk du ministre, dit n’avoir jamais reçu de paiement, d’où sa plainte contre le ministre. La première comparution de ce dernier avait été, elle aussi, une séquence de mauvais cinéma. Sur le conseil de ses avocats, le ministre avait refusé d’entrer dans le box des accusés en prétextant son innocence. La magistrate ne s’était pas laissée impressionner et avait statué que membre du gouvernement ou pas, le ministre devait dans une cour de justice se comporter comme n’importe quel prévenu et prendre place dans le box des accusés. La nouvelle de la déconvenue du ministre avait fait la foule rassemblée devant le tribunal le huer aux cris de «bour li dehors», une séquence diffusée et likée des milliers de fois sur les réseaux sociaux.
Est-ce pour éviter au ministre ces huées pour sa deuxième comparution en cour que le gouvernement a décidé de déployer les grands moyens avec ce qu’on lui a vanté comme une démonstration de force à Port-Louis, jeudi dernier? Si c’était le cas, cette stratégie s’est révélée absolument contre-productive et a, comme les précédentes, desservi le gouvernement. En sus de son côté ridicule, la supposée démonstration de force du gouvernement a surtout été interprété comme un aveu de faiblesse. Elle a été interprétée comme l’incapacité de la police à faire empêcher la foule de crier «bour li dehors» — du gouvernement et «bour li endan», en prison — à l’endroit du ministre. Ces mesures dignes d’un couvre-feu en zone de guerre ont été critiquées par des policiers pour leur inefficacité et l’ex-patron des renseignements de la police a même écrit sur les réseaux sociaux que si la finalité de l’opération était de protéger le ministre de la foule, il aurait suffi de le faire transporter au tribunal dans une voiture blindée. Cela aurait été plus efficace et surtout moins onéreux, car déplacer ces policiers, ces militaires, ces snipers, ces chars blindés et ces chiens renifleurs pendant une journée, pour une simple comparution en cour aura coûté quelques centaines de milliers de roupies à l’état. C’est-à-dire aux contribuables mauriciens. Les images de la tentative de démonstration de force ont été amplement circulées dans la presse locale et sur les réseaux sociaux avec les commentaires appropriés.
A cause de ce dernier épisode de la stratégie gouvernementale foireuse, les étrangers qui suivent l’actualité locale doivent se dire que Maurice est un drôle de pays qui occupe régulièrement la une de l’actualité négative. Celle qui est dévalorisante. En effet, pour sa première année, le gouvernement a réussi à collectionner une série de casseroles, depuis l’inclusion sur la liste grise de l’Union européenne à la poursuite d’un ministre pour emploi fictif, en passant par la révocation de l’ex-vice Premier ministre pour une affaire de commission, la calamiteuse gestion du naufrage du Wakashio, l’allocation des contrats de médicaments et d’équipements médicaux à des proches du pouvoir, l’affaire Angus Road, les expulsions tonitruantes des membres de l’opposition du Parlement par le Speaker, les fréquentes censures de Top FM et les arrestations musclées d’internautes ayant osé se moquer du Premier ministre ou des membres ou proches du gouvernement.
Revenons à l’affaire qui a fait la police bloquer une partie de Port-Louis, jeudi dernier. Que va faire le gouvernement si la semaine prochaine la cour rejette les arguments de la défense et décide que le procès pour emploi fictif doit continuer? Va-t-il demander à la France d’envoyer des frégates dans le port et aux Etats-Unis de faire bouger une partie de sa flotte stationnée à Diego Garcia pour protéger son ministre du Commerce des huées de la foule?