Du haut de ses 1 mètre 91 Jeremy Benoit ne passe pas inaperçu. Et quand il enfile des talons de 15 cm sur un catwalk, son allure mi-homme/mi-femme éveille encore plus la curiosité. Peu importe qu’il soit jugé ou que sa différence soit acceptée, le jeune homme dit avoir « les couilles là où il le faut” pour imposer et assumer son style androgyne dans le milieu du mannequinat. De plus que cet univers l’a toujours passionné et lui permet aujourd’hui d’être bien dans sa peau.
Traits fin, sourcils épilés, crâne rasé. Taille haute et élancée, buste plat. Jeremy Benoit fait tourner les regards sur son passage. Sa différence intrigue, il en est conscient. “Je vois systématiquement sur les visages cette question de savoir si je suis un homme ou une femme ?” Une curiosité qu’il a appris à accepter sans en être offensé. Il a choisi d’exister simplement comme il le sentait. “Avec le temps j’ai compris qu’il n’y a parfois rien de mauvais à vouloir mettre des étiquettes et de vouloir mettre un nom sur quelque chose. Pour comprendre ou maîtriser, il faut nommer”. Ainsi pour tous ceux qui ne connaissent pas encore la réponse et qui n’arrivent pas à percer ce mystère, le mannequin veut bien en parler. « Je suis ni l’un ni l’autre. Je suis simplement Jeremy, un point c’est tout (rires !)” Et de préciser plus sérieusement : “Je suis bel et bien un homme. Disons un garçon avec quelques bonus : une part de féminité. Je suis fier d’être ainsi et je trouve ça plus fort. Jouer sur les deux tableaux m’amuse. Ces codes du masculin ou féminin qu’on nous a inculqués, on peut aussi bien les refuser”.
Déjouer les stéréotypes
Alors qu’il est souvent sollicité pour des défilés Jeremy Benoit demeure pourtant méconnu dans le fond. Loin d’avoir peur de se dévoiler, il explique : “Je préfère garder une certaine discrétion sans vraiment me cacher non plus. En fait, cela peut sembler bizarre venant de quelqu’un qui aime défiler ou poser devant la caméra. Mais je veille à ne pas trop attirer l’attention sur moi. Que je le veuille ou pas j’attire les regards puisque ma personnalité intrigue”. Il est en effet parmi les rares mannequins mauriciens, voir même le premier, à défiler actuellement autant pour des collections homme que femme. Il fait partie de cette nouvelle génération qui déjoue les stéréotypes et secoue les normes du mannequinat.
Sauf qu’au départ, le fait de ne pas “fit in the box” et de ne pas faire partie des mannequins types Jeremy Benoit a essuyé énormément de refus, de mépris et s’est retrouvé face à des portes fermées. “Le milieu de la mode est un monde très fermé. Dans ce genre de métier, on n’est jamais sûr de ce qu’on fait. C’est dur de se qualifier, car on a peur du jugement. Quand j’essayais de prendre contact et d’aborder quelqu’un, on me répondait à peine ou pas du tout. Il n’y avait personne pour me représenter ni personne à qui m’identifier”. Alors que d’autres auraient déjà abandonné, c’était mal connaitre le “Zeremi zanfan site dont le père a refusé de me déclarer à la naissance. Je suis quelqu’un qui, face à l’adversité, redouble d’effort et d’audace pour atteindre mes objectifs. Non pas pour prouver aux autres mais pour moi avant tout car ma mère m’a toujours appris à me faire confiance et à croire en moi”.
De Site Chebel à Paris
Sept ans de cela, alors qu’il était encore collégien et en vacances en Suisse, le jeune homme accepta une proposition alléchante. “Et c’est là-bas que tout a commencé par pur hasard. J’avais initialement fait quelques shootings et j’avais collaboré ici et là mais sans plus. J’ai été approché par un ami qui était à l’université de Fashion & Design pour défiler pour lui. C’est ainsi que j’ai été repéré par l’agence Models Klick”. Le novice se voit aussitôt proposé des formations sur comment marcher et poser. Il suiva même un model bootcamp, qui le mèna jusqu’en Italie qu’il ne rentre au bercail où il décrocha le trophée de Face of Mauritius 2017.
Ainsi alors qu’il avait entrepris un stage en communication, il décide de tout plaquer pour tenter la grande aventure. “J’en avais un peu marre du 9h-17h. Je me sentais mal à l’aise et définitivement pas à ma place. Certes j’y ai vécu une belle expérience, mais ce n’était pas mon monde. Donc j’ai démissionné pour me barrer. Ma mère a failli faire une attaque. J’ai pris mon billet et j’ai commencé à préparer ma valise pour partir pour Paris”. Il prend cependant le temps de contacter son agence en Suisse afin de décrocher des contrats. Il nous confie être très vite retomber de son petit nuage. “Je pensais que ca allait être facile mais j’étais très loin de ça car je partais du jour au lendemain, sans un sous, sans appart, sans ami. C’était la galère. Au fil du temps, j’ai eu la chance de faire de très belles rencontres et je me suis épanoui”.
De sa cité à Chebel, Jeremy Benoit posa d’abord sa valise en Allemagne. Puis, il bougea pour Prague où il se vit proposer son premier shooting en posant presque nu. “Dès que j’ai réussi à le faire, tout a fusé. Les contrats se sont enchainés les uns après les autres. Et finalement j’ai pu rejoindre Paris où j’ai réussi à décrocher énormément de boulots”.
Un mannequin en talons
Son portfolio parla pour lui à Maurice. “J’avais enfin de l’importance ici. On a commencé à me contacter et à vouloir de moi. Pendant mes allers-retours Maurice/Europe, j’ai commencé à faire des défilés et à travailler vraiment dans ce milieu. Je pouvais alors mettre mes prix car on me considérait comme un mannequin international. Je n’étais plus Jeremy le ti mannequin ki pe bat bate. Aujourd’hui, je suis à la fois chez Gold Models, chez HSN Model, et Top Models. Et bien entendu je suis toujours dans mon agence en Suisse. C’est devenu un métier à part entière que je fais avec beaucoup de sérieux”.
Sans compter que Jeremy Benoit adore les défis : défiler en talons ou en robe. Surtout qu’il part du principe qu’être mannequin, homme ou femme, c’est avant tout être un porte-manteau vivant. Il se souvient d’ailleurs de sa toute première expérience en talons : “On m’avait remis des chaussures 38 alors je chausse du 42. Je les ai portées et par la suite mes orteils étaient tout recroquevillés. Depuis, à chaque fois que je me rends à un défilé j’emmène toujours ma paire de talons car je sais qu’on finira par me demander de me mettre en talons”.
Par la suite, on lui demanda de se mettre en robe, jupe, ou autres mélanges de styles vestimentaires. De telles demandes que le mannequin androgyne considère tout à fait normal. “Ca me différencie des autres mannequins. I can do both and all. Il faut savoir qu’en Europe, cette caractéristique est quelque chose de reconnu, apprécié et demandé. C’est un plus. A Maurice, on est encore un peu timide. Mais je suis bien décidé à secouer les cocotiers. J’en ai fait ma marque de fabrique, mon identité. Si je détiens pour l’instant cette carte en main, j’espère qu’il y aura d’autres androgynes pour me rejoindre sur le catwalk”.
Ni rose, ni bleu
N’empêche, il tient à prévenir que tout n’est pas toujours rose. “J’avoue que c’est difficile à vivre et à s’assumer même en ayant de l’assurance et un caractère dur et fort. Surtout quand tu marches dans la rue et que tu croises des gens malveillant. J’ai eu mes moments où j’étais au plus bas mais à force d’avancer, de recevoir des encouragements et du soutien, je peux aujourd’hui faire abstraction de quelques rares remarques désobligeantes”.
Il veut cependant inspirer les générations futures en étant convaincu que les choses peuvent changer. “Je n’encouragerais les jeunes qu’à une condition : être très bien entouré. Cette question n’est pas évidente car ce milieu n’est pas facile et il faut savoir à qui faire confiance. D’un autre côté, si c’est un rêve, j’aurais plutôt tendance à les encourager car on n’a qu’une vie. Moi, si j’avais écouté les rumeurs, je ne serais pas là”.
Alors qu’il attend impatiemment de pouvoir reprendre ses activités avec son agence en Suisse, Jeremy Benoit ne chôme pas. Tout en prenant le soin de bien choisir ses collaborations et ses contrats à Maurice, le jeune homme de 24 ans se prépare d’ici décembre à lancer sa propre marque de vêtement : “C’est un projet qui me tient vraiment à cœur. Ca fait un moment que j’y réfléchis et les circonstances ont fait que j’ai un peu plus de temps libre pour le concrétiser. Mes créations seront bien entendu dans un style qui me représente. Des vêtements, certes pour une clientèle féminine, mais que je pourrai moi-même porter comme des pantalons, des tailleurs, des shorts et autres combi”.
En effet, le style Jeremy Benoit est surtout dans les petits détails. Dès qu’il était en âge de s’acheter ses vêtements, le mannequin nous raconte avoir développé un style pour mettre en avant sa personnalité. “En fait je ne retrouvais pas ce que je souhaitais porter chez les garçons. Mais cela ne veut pas dire que je voulais forcément porter une robe. Par exemple, comme aujourd’hui (mardi dernier) j’ai choisi un pantalon taille haute pour femmes. J’ai rajouté une chemise pyjama d’homme et des baskets. J’adore le mix and match, sans être trop féminin”.
Etre normal et différent à la fois
Mannequin, mais aussi conseillé beauté et coiffeur, Jeremy Benoit n’a nullement l’intention de se restreindre à des codes du genre. Il s’en fout. Enfant, il avait vite compris sa différence. Ses proches aussi. “Je n’étais pas pour autant efféminée mais 50/50. J’ai joué au foot et à la console avec mes cousins et je jouais aussi à la poupée avec ma cousine” se souvient-il.
“Je souhaite que mon existence soit utile, visionnaire, et qu’elle ne soit pas tournée que sur moi. La médiatisation me permet d’offrir quelques clés de compréhension, d’ouvrir des portes en douceur et avec honnêteté. Je veux qu’on me prenne au sérieux et je sais que ça ne se fera pas qu’avec des paillettes et des talons. Mon but ultime est d’avoir une approche classe et sobre, de renvoyer l’image d’une personne normale, équilibrée et simple mais capable de faire les choses différentes”.