Les régions rurales » sont-elles les éternelles ignorées du « développement » ?
La question se pose à nouveau aujourd’hui alors que Maurice s’apprête, en ce dimanche 22 novembre, à vivre un événement démocratique important, mais manifestement encore sous-estimé. Aujourd’hui, 57% de notre électorat va, potentiellement, se rendre aux urnes pour élire les conseils de village. Plus de la moitié des électeurs mauriciens va donc avoir l’occasion, un an après les élections législatives de novembre 2019, d’aller voter à nouveau. C’est conséquent. Et les habitants de nos villages semblent bien décidés, cette fois, à faire sortir ces élections de l’indifférence qui semble les avoir entourées jusqu’ici.
Les élections villageoises ont, pendant longtemps, été réduites à une sorte de « folklore » n’intéressant que les groupements locaux directement concernés. Pourtant. Les élections villageoises constituent véritablement une étape non-négligeable de notre démocratie régionale, ouvrant potentiellement sur la représentation politique au niveau national. On peut ainsi citer le cas de l’actuel ministre de la Fonction publique, Vikram Hurdoyal, qui s’était d’abord fait connaître comme conseiller du village de Trou d’Eau Douce en 2014, ce qui l’a mené à deux reprises au poste de président du Conseil de district de Pamplemousses-Rivière du Rempart, avant d’atteindre finalement l’Assemblée nationale.
Le problème, c’est qu’au lieu de fonctionner dans ce sens, des 130 villages vers les 9 conseils de district, et ultimement vers les 20 circonscriptions constituant l’Assemblée nationale, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit depuis un certain temps. Avec un pouvoir gouvernemental qui surinvestit, pour ne pas dire manipule, les élections de conseil de district et même les villageoises. Plaçant et privilégiant ses hommes (et accessoirement ses femmes), pour pouvoir tout contrôler.
De fait, certains pourraient y voir une sorte de « référendum » sur la popularité ou l’impopularité du gouvernement. Ceux qui vont voter demain appartiennent après tout à 14 des 20 circonscriptions de l’île. De celles dont on dit souvent qu’elles « font » le résultat des élections législatives. Il est ainsi significatif de noter que certains ministres, à l’instar d’Alan Ganoo, ne se sont pas gênés pour aller annoncer des projets gouvernementaux dans certaines localités, faisant ainsi le jeu de certains candidats.
Mais ce sur-contrôle gouvernemental pourrait être en passe de changer…
Huit ans après les dernières élections villageoises de 2012, celles qui vont se jouer demain montrent en effet une implication accrue des habitants de nos villages. Effet de la Covid-19 et de ses prises de conscience concernant un nécessaire changement en profondeur? Pendant du ras-le-bol vis-à-vis du pouvoir central exprimé lors des grandes manifestations populaires de juillet-août ? Effet post-Wakashio qui a permis à la population de se rendre compte concrètement qu’elle peut accomplir de grandes choses lorsqu’elle prend les choses en main ?
Un peu de tout cela probablement…
Toujours est-il qu’à la clôture de l’exercice d’enregistrement des groupes, la Commission électorale s’est retrouvée avec une liste de 5 347 candidats constituant 610 groupes, soit quelque 200 groupes de plus que pour le scrutin de décembre 2012. A elles seules, les régions de Mahébourg et de Flacq affichent plus de 100 groupements en lice. Et si l’on voit là, comme à Albion, quelques fils et filles de politiciens établis, on remarque aussi la présence affichée, sur ces listes, de personnalités officiant dans divers autres domaines de la vie publique mauricienne, aux côtés de villageois-es pour l’instant méconnu-es.
Au niveau de leurs appellations également, ces groupements signalent clairement qu’ils mean business. Outre des appellations traditionnelles style
Socialiste, Progressiste, Démocrate, on retrouve beaucoup de Bien-être, de Bonheur, de Progrès. Egalement Bénévole, Civique, Citoyen, Unité, Volontaire, Visionnaire, Solidaire, Voix des jeunes, Avenir, Réveil. Aux côtés de Continuité, on trouve Réveil. Et Changement. Un Wakashio Group à Beau Vallon. Une Equipe Sagesse à Bénarès. La colonie citoyenne de Camp de Masque. Un Mouvement Révolution à Camp Diable. La Résistance de Cluny. Un Common Man Party à d’Epinay, mais aussi un Parti Laptop à l’Escalier et Nou parti 2.0 à Trou d’Eau Douce. L’équipe Réaliste à Trou d’Eau Douce mais aussi Ensam Tous Reves Villageois Réalisés à Camp Ithier…
Entre la volonté de concret et l’aspiration à quelque chose de différent, c’est dire que ces élections semblent cristalliser quelque chose d’important. Et qu’il sera intéressant de voir si le taux de participation des électeurs-trices sera supérieur à celui de 50,54% enregistré en 2012. Du village de Bananes dans le Sud qui compte le plus petit nombre d’électeurs-trices, soit 562, à Triolet dans le Nord qui en compte le plus grand nombre, soit 18 681, il y aura sans doute une course pour arriver à faire élire neuf conseillers pour chacun des 130 villages.
Et cette course sera aussi dans le camp des autorités. Car, autre fait qui rend ces élections spéciales, c’est qu’elles marqueront la toute première fois à Maurice où le dépouillement s’effectuera non le lendemain du scrutin mais le même jour. Les équipes de la Commission électorale auront donc fort à faire à l’issue de la fermeture des bureaux de vote à 16h, pour décompter immédiatement les bulletins et proclamer les résultats le même soir. Et l’enjeu est ici grand pour une institution dont le fonctionnement a été sérieusement remis en question lors des élections législatives de novembre 2019, avec un certain nombre de contestations toujours en suspens en Cour suprême…
L’actualité a également voulu que le décès du petit Ayaan, 2 ans, soit révélé à la veille de la Journée internationale des droits de l’enfant, le 20 novembre dernier. Battu à mort par son beau-père de 25 ans, cet enfant a connu une fin qui a ému mais aussi ulcéré notre population. Du fait que sa mère, manifestement présente au moment des faits, ne l’a non seulement pas protégé, mais aussi qu’elle ait contribué à tenter de maquiller le décès violent de son enfant en mort naturelle. La condamnation est virulente. Jusqu’à ce que l’on apprenne que la jeune femme de 22 ans a elle-même connu une enfance extrêmement dure et violente, brûlée à la cigarette par sa mère avant que celle-ci ne l’abandonne à un triste sort…
Vendredi, lors d’une cérémonie à l’United Nations Association of Mauritius, le vice-président de la République, Eddy Boissézon, a eu des mots très clairs pour dire que nous devons, à tous les niveaux, mieux traiter nos enfants, et notamment qu’on ne peut permettre aujourd’hui que nos enfants dorment à la belle étoile pour des raisons politiques. Certains y verront une critique directe de la politique gouvernementale qui a consisté à détruire, en mai dernier, en plein confinement, les logements de fortune d’un certain nombre de squatters. Qui vivent toujours à la belle étoile sept mois plus tard… On peut aussi y voir un rappel que la violence à l’égard de nos enfants est une chose structurelle. Qu’il est aisé de condamner l’un ou l’autre parent violent mais que nous n’aurons rien changé tant que nous n’accepterons pas de reconnaître qu’en tant que société, nous infligeons aussi à nos enfants, et à leurs parents, des exploitations et des discriminations (raciales, économiques, éducatives), qui tuent aussi sûrement qu’un coup. Et que nous manquons encore cruellement de structures capables d’accompagner, psychologiquement déjà, ceux qui n’auraient pas, pour diverses raisons, pu suivre le train d’un développement intégré et sain…