Alors que l’humanité se dirige inexorablement vers la fin de la civilisation fossile, une question d’importance émerge doucement nous concernant, notre moteur économique puisant en effet en grande partie son énergie du tourisme international : celle de l’industrie aérienne. Fait que la Covid et les restrictions instaurées par l’État auront largement mis en évidence au cours des derniers mois, et ce, alors que le secteur touristique réclame toujours à cor et à cri la réouverture des frontières
. Certes, l’on peut comprendre l’impatience des opérateurs et, surtout, la détresse de ces milliers de personnes dont l’avenir immédiat s’est retrouvé hypothéqué au lendemain même de l’annonce du confinement national. Pour autant, il convient de voir aujourd’hui au-delà de la relance du secteur et de mettre un instant de côté, bon gré, mal gré, toute considération d’ordre socio-économique.
Cette question cruciale qu’il nous faut impérativement nous poser aujourd’hui est en réalité double : faut-il continuer à miser sur le développement touristique et, si oui, faut-il revoir notre stratégie en cette matière ? En vérité, la réponse est assez complexe, tant il est un fait que, dans le contexte d’un système économique mondial soutenu par l’échange de biens et de services, il apparaît quasiment impossible dans la conjoncture de faire un trait définitif sur le transport aérien. Aussi apparaît-il tout aussi évident qu’en la matière, nous nous devons de repenser dès aujourd’hui notre politique touristique et, d’une manière plus générale, aérienne. Car c’est un fait, nous n’avons plus le choix. Tout comme la croissance (telle que nous la connaissons, et même subissons) et la réduction de nos émissions carbones sont par nature incompatibles, nous ne pouvons pas davantage concilier le maintien de nos aspirations touristiques sur le moyen et le long termes et nos prétentions environnementales.
À ce propos, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Hormis l’épisode Covid, ou du moins le confinement mondial qui en aura résulté – somme toute très court –, l’industrie aérienne est une des plus prospères qui soit. Imaginez ! En 2017, celle-ci aura enregistré près de quatre milliards de passagers, soit un milliard de plus que l’année précédente, plaçant de facto ce secteur en total décalage avec l’urgence écologique. Et l’on peine à croire que cette ascendance croissante infléchira sa courbe une fois la crise passée et l’économie relancée. Pourtant, les chiffres, là encore, nous indiquent que dans le même temps, la production pétrolière – nécessaire au trafic aérien faut-il là aussi le rappeler – n’est pas des plus florissantes, des experts affirmant même que nous aurions déjà dépassé le pic fatidique (y compris pour le pétrole dit « non conventionnel »). Autant dire que le secteur aérien vole sans se soucier des vents contraires, pourtant annonciateurs d’un crash imminent.
Notre responsabilité première, à Maurice comme dans le reste du monde, devrait donc être avant tout de réduire drastiquement nos déplacements aériens, n’en déplaise à tous ceux vivant directement ou indirectement du secteur. Bien sûr, ce défi écologique apparaît rapidement aussi celui de l’impossible, mais certains avancent déjà des ébauches de solutions, bien que difficiles à mettre en place face au puissant lobby de l’industrie aéronautique. Comme la taxation, formule certes impopulaire mais qui, au final, permettrait de largement, et rapidement, ralentir le flux aérien. Mais d’autres solutions existent, à l’instar de moteurs moins énergivores, d’avions allégés et pénétrant mieux l’air, de l’utilisation de biocarburants ou encore de formations des pilotes à l’écoconduite. Voire un réveil citoyen, comme en Suède, où nombreux sont ceux aujourd’hui à boycotter l’avion.
Quoi qu’il en soit, malgré les incertitudes quant à la voie que nous déciderons d’emprunter, une vérité subsiste : lorsque l’or noir viendra à se raréfier et que son coût deviendra prohibitif – ce qui arrivera plus vite que l’on ne le croit –, il sera alors déjà bien trop tard pour se réinventer. Le changement, c’est donc maintenant qu’il faut l’opérer. Sous peine d’assister, impuissants, à l’avènement d’un chaos généralisé.
Michel Jourdan