— « Je suis fatigué de me battre ! On dirait que pour l’Etat, nous n’existons pas…»
Plus de 110 jours se sont écoulés depuis que les 16 familles de squatteurs qui se trouvent à Pointe-aux-Sables dorment à la belle étoile, dans des “camping tents” de fortune, transformées en cases, à l’aide de quelques feuilles de tôle. Ce samedi 19 septembre, un collectif d’artistes organise un concert gratuit à Petite-Rivière-Noire en vue de lever des fonds et aider ces familles à bénéficier d’un toit.
Stéphano Ross, 44 ans, marié et père de deux fils, est également en quête d’un toit pour les siens. Il est devenu, graduellement, au fil des événements, surtout quand les cases ont été bulldozées en plein confinement, un peu « le papa » de ces familles de squatteurs… Il laisse parler son cœur.
Une lueur d’espoir a redonné un peu le sourire aux familles de squatteurs qui se trouvent sur le terrain de Pointe-aux-Sables. Il s’agit d’une lettre de convocation de la NHDC à l’intention de quelques-unes des familles recensées dans cette région, envoyée il y a quelques jours, les convoquant à des entrevues afin qu’elles soient bénéficiaires de maisons. Mais rien n’est certain, affirment les uns et les autres qui sont concernés. Est-ce la une tactique dilatoire ? Serait-ce une parade pour le gouvernement ? Ou est-ce que finalement ces familles, surtout celles qui sont dûment enregistrées auprès de la NHDC, depuis des années d’ailleurs, verront enfin le bout du tunnel ?
Stéphano Ross, un Mauricien de 44 ans, est, petit à petit, devenu « le papa » de toutes ces familles de squatteurs de Pointe-aux-Sables. Lui-même en situation de recherche de logement, ce père de deux fils, l’un de 18 ans, et l’autre de deux ans seulement, porte sur ses solides épaules un parcours rude et parsemé d’embûches. La foi, cependant, explique-t-il, et l’adversité l’ont forgé et fait de lui un homme fort…
Adolescent, Stéphano Ross perd, tour à tour, durant la même année fatidique de 1993, mère, père et frère unique… « Steve Ross, mon frère, travaillait au marché central. Enn zour, linn perdi lavi parti kot Cargo Express. » Ensuite, peu de temps après, son père meurt dans l’incendie de leur maison. Le cœur de sa mère finit par lâcher un beau jour, dans le sillage de ces tristes événements. « J’avais 17 ans quand je tenais la croix, à l’église », se souvient notre interlocuteur. « Et quand le prêtre me parlait… J’ai mis en terre ces trois êtres, avec qui je vivais tous les jours, avec qui je riais, parlais, mangeais et buvais. Peut-on connaître d’épreuve plus dure ? »
Stéphano Ross ne savait pas à ce moment-là que de plus gros soucis l’attendaient… Après Tranquebar et Pailles, où a vécu ce peintre en bâtiment et employé dans l’événementiel, il se retrouve, au début de cette année 2020, à Pointe-aux-Sables. « On ne sait jamais ce que le destin nous réserve… » Il confie : « Zame mo ti panse sa zaferla pou vinn grav koumsa… Ti panse nou pou res la de, trwa zour, apre trouv enn solision…» Il renchérit : « Plusieurs personnes qui vivent dans les environs, ici dans ce quartier, m’ont déjà raconté comment elles aussi ont été squatteurs à un certain moment. Toutes ont maintenant leur maison. Le maximum de temps qu’elles ont passé dehors, à squatter un terrain, c’était… 27 jours. Tandi ki nou, pe al lor trwa mwa nou deor mem ! Ki kalite sa ? Pena leker mem sa bann dimun la ! »
Ce qui le révolte surtout : « Kuma kapav less zanfan, baba dormi deor ? Ek dan sa freser kinn fer sa lane la sirtou ? » S’il admet que « ce qui ne me tue pas me rend certainement plus fort », Stéphano Ross relève cependant que toute cette affaire lui a brisé le cœur. « Jamais je n’aurais pensé que des Mauriciens, au sein d’un gouvernement, auraient abandonné d’autres compatriotes comme ils l’ont fait avec nous. Ce manque d’égards et de sentiments m’a profondément blessé. Rien ne pourra me guérir… À part qu’on légifère et que plus jamais d’autres Mauriciens ne souffrent comme nous souffrons ! Il n’y a que ça qui m’aidera à guérir : qu’aucun autre Mauricien n’ait à dormir comme nous dans des “camping tents”, avec des enfants, parmi nous…»
Marqué par un tel parcours qui n’a pas cessé de le forger, Stéphano Ross retient que « ce triste épisode m’a surtout fait aimer davantage mon pays ! » Et pour le prouver, sa modeste case rafistolée de toiles, tentes et feuilles de tôle, contient, un peu partout, des quadricolore : « Je ne suis pas de ceux qui baissent les bras au moindre souci. Face à l’adversité, je retrousse mes manches et je me bats. Pour mes droits et ceux de mes enfants. Nous sommes tous citoyens de ce pays : nous avons nos droits comme tout Mauricien. »
Père de deux fils, l’un âgé de 18 ans, et l’autre un bébé de 2 ans, Stéphano Ross explique que « mo lene anvi fer ponpye ou lapolis… » Et de poursuivre : « Il m’a confié que c’était son ambition de servir ce pays et ses habitants. Je l’ai soutenu et encouragé. Nous sommes comme ça : nous ne faisons pas de démagogie et nous ne sommes pas paresseux. J’aurais pu lui dire : “mais regarde comment ils nous traitent et tu veux travailler pour eux ?” » Mais, continue-t-il, triste, « ce qui me fend le cœur, c’est l’attitude de nos dirigeants qui font comme si on leur demandait une faveur ! » Or, rappelle-t-il, « nous avons plein de “genuine cases” parmi nous : des familles qui sont dûment enregistrées auprès des autorités concernées et qui ne manquent que quelques sous pour réunir les sommes réclamées par la NHDC, par exemple. » Lui-même a également son dossier adéquatement rempli. Cependant, « comme beaucoup d’autres familles, je n’ai pas un revenu régulier pour réunir la somme réclamée… » Stéphano Ross rappelle qu’avec le confinement tout a changé : « Travay nepli ena ! Lotel ferme : pena nanyen kote evenmansiel, konser, spektak, nanyen. »
Mais il ne baisse pas les bras : « Chaque jour, je fais de petits boulots, rien que pour gagner des sous, et je verse tout ça dans ce compte d’épargne pour avoir un logement… » Ces familles comme lui et les siens, fait remarquer Stéphano Ross, ne demandent pas de faveurs. « Nous voulons seulement que nos droits soient respectés comme tout citoyen mauricien. Nous ne pouvons avoir de grosses sommes d’argent : c’est un fait. Alors, pourquoi est-ce que le gouvernement fait la sourde oreille et nous traite comme si nous étions des voleurs ou autre ? » Et il note : « Avant, il y avait la CHA, et les personnes aux revenus modestes comme nous parvenions à joindre les deux bouts, en payant tout en habitant dans une maison qui finissait par devenir la vôtre… Mais quand ils ont aboli ce système, ils n’ont pas pris en compte les difficultés que cela implique. Voilà maintenant la situation et c’est nous qui payons les pots cassés ! »
Stéphane Ross prône la voie de la raison : « Les torts sont partagés dans cette affaire : ne nous voilons pas la face. Nous avons tous nos responsabilités. Agissons comme des adultes et prenons ensemble, squatteurs et autorités, des décisions qui iront dans le bon sens. Et non qui font souffrir ! » L’homme qui soufflera ses 45 bougies le 25 septembre conclut en faisant ressortir : « Je suis passé par beaucoup d’épreuves dans ma vie. La prière, la spiritualité, m’ont toujours accompagné et guidé. » Récitant le Notre Père, Stéphano Ross s’attarde sur les mots choisis : « Pardonne-nous nos offenses/comme nous pardonnons aussi/à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laisse pas/entrer en tentation/mais délivre-nous du Mal. » Ce sont là, dit-il « tout ce qui m’aide à garder la tête froide et bien vissée entre les épaules…» Et d’ajouter : « Ça, et mon amour inconditionnel pour mon pays. »
« Noun fet Pak, Id, Lavierz, Ganes isi lor terin…»
« Le jour où des funérailles du petit Matéo, le 23 août dernier, se souvient Stéphano Ross, je fêtais mes 22 ans de mariage. Matéo, c’est un gosse que nous aimions tous ici, et que nous protégions, chacun à son tour, chacun selon ses moyens. Personn pann anvi trouv nou zanfan soufer… Mais quand cet enfant est mort, ça a été le déclic. J’ai été encore plus blessé quand c’est arrivé. Parce que je suis convaincu que si les autorités n’avaient pas bulldozé la maison où il habitait, Matéo aurait été encore vivant, avec nous ! » La principale crainte de Stéphano, à ce stade : « Cette année, nous avons célébré les principales fêtes, ici, sur ce terrain, dans des “camping tents” : de la Pâques à l’Assomption, en passant par Ougadi, Eid, et dernièrement, Ganesh Chaturti.
J’ai réellement peur qu’on soit toujours là pour Noël 2020… Je suis fatigué de me battre : j’ai bientôt 45 ans, j’ai deux enfants. Je suis père de famille et je crois en la méritocratie. Mais est-ce que j’aurais ma chance ? Ce gouvernement ne semble pas avoir d’égards pour nous : on dirait que nous n’existons pas pour eux…» Ces craintes, continue-t-il, « c’est parce qu’il y a, malheureusement, quelques personnes qui profitent de la situation pour envenimer les choses. »
Stéphano Ross explique qu’entre squatteurs, ils se serrent les coudes. « Mais même si les “fraudeurs” sont partis, il demeure quelques éléments qui sèment la discorde…» Il évoque ainsi le cas d’une femme qui est squatteur dans une autre région et qui a posté une vidéo dans laquelle elle fait une sortie contre un ministre. « Or, c’est un truc qu’il y a entre elle et ce politicien. Pourquoi doit-elle utiliser la condition des squatteurs pour régler ses comptes ? Qu’elle le fasse à titre personnel, sans nous entraîner dedans ! Résultat des courses : ce politicien nous a pris en grippe et refuse de nous donner notre chance…»
« Kot Dorine Chuckowry inn pase ? »
Les squatteurs de Pointe-aux-Sables se demandent où est passée l’unique députée orange de la circonscription No. 1, Dorine Chuckowry… L’ancienne lord-maire est « invisible », selon eux. « Depi ki nou la ek nou dan sa sityasion la, boukou politisien finn vinn ed nou. Cependant, Mme Chuckowry ne s’est pas déplacée une seule fois, ni n’a essayé d’entrer en contact avec nous…», soutiennent ces squatteurs. Ils préviennent : « Tansion li krwar lot eleksion nou pou travay pou li…»