Des rues désertes, des volets baissés, des restaurants et des magasins fermés, des bateaux à quai, des hommes et des femmes qui ne savent plus quoi faire pour survivre. Dans certains villages touristiques de Maurice le paysage est désolant. Les activités économiques ne reprennent pas et le désespoir devient profond. Là encore, notre constat a été fait sur le terrain avant la marée noire.
Trou d’Eau Douce, la station balnéaire incontournable de l’Est “se noie dans le désespoir”. Le village de Grande-Rivière-Sud-Est (GRSE), connu pour sa cascade et comme point d’embarcation pour l’île aux cerfs, est “figé” sur lui-même. Dans le sud-ouest, Chamarel est “en deuil.” A la mi-journée, les rues sont désertes. Plus de touristes sillonnant les rues. Aucun transport ou taxis conduisant des clients vers les restaurants et parcs d’attractions comme La Terre des 7 Couleurs, le Curious Corner entre autres sites. D’ailleurs, ces parcs d’attractions ne sont plus ouverts 7 sur 7. La Terre des 7 Couleurs n’ouvre que trois jours en semaine et les week-ends, alors que le Curious Corner que les vendredis, samedis et dimanches. Des 16 restaurants qu’abrite le village, une poignée restent encore ouverts. “C’est le Chamarel dans lequel nous vivons désormais. En semaine, c’est aussi triste et désolant qu’un dimanche après-midi où tout est fermé. Le village est en deuil”, relate Rico L’Intelligent, propriétaire du restaurant Le Barbizon.
Angoisse et désarroi
Sur les 85 couverts que propose ce restaurant très recommandé sur les revues touristiques étrangers, “à peine deux clients foulent notre porte par jour. Malgré tout, étant donné que c’est un business familial notre situation est moins critique que d’autres qui dépendent exclusivement du tourisme”, constate ce dernier. Quelques mètres plus loin, en attendant un retour à la normale, Umesh Rampersad, propriétaire du restaurant Chez M explique n’avoir eu d’autres choix que de fermer ses portes. “Nous travaillons beaucoup avec des tours opérateurs et des taxis attachés aux hôtels. Valeur du jour, nous sommes coincés financièrement. En tant que SME nous touchons le Wage Assistance Scheme. Mais sans entrée d’argent, nous devons toujours nous acquitter d’autres frais comme la location, l’électricité, les emprunts et autres crédits.”
Si les huit employés touchent encore leurs salaires, il avoue que “des licenciements ne sont pas à écarter. L’avenir dépend de l’ouverture des frontières”. Au restaurant Pierre Paul, Lauriane Paul et son époux ont le visage rongé par l’angoisse et le désarroi. Selon eux, “la situation est critique, nous ouvrons seulement les week-ends pour à peine quelques clients mauriciens. Parfwa se enn mine frir pou enn semenn”, avoue cette dernière. Rico L’Intelligent fait ressortir que pour gagner leur vie les employés de restaurants travaillent comme maçons, peintres, vendent des légumes ou s’adonnent à d’autres menus travaux.
Fermer boutique
Du côté de Trou d’Eau Douce, Fleurette, la propriétaire de Chez Tino restaurant ne sait plus à quoi s’attendre. Le visage hargard elle souligne que depuis 35 ans qu’elle est dans la restauration, c’est la première fois que sa vie et son commerce basculent à ce point. “Nous vivons un cauchemar, je ne dors plus mais je suis obligée de garder la tête froide puisque j’ai un business à gérer. Pendant la période estivale, jour et nuit le restaurant était au maximum de ses capacités”. Pourtant, à l’heure où nous y étions il y avait, à peine trois tables d’occupées. Dans l’ensemble du village, toutes les activités touristiques confondues sont d’ailleurs au point mort. On ne distingue plus le cachet touristique de Trou d’Eau Douce. Si ses vieilles ruines se démarquent encore dans le paysage, pas l’ombre d’un mouvement aux abords du four à chaux, un des principaux points d’embarquement pour les bateaux-taxis pour l’Ile-aux-Cerfs et les îles avoisinantes.
Aux alentours, roulottes vendant de la nourriture et autres commerces n’opèrent plus et plusieurs propriétaires ont fermé boutique faute de revenues. Parmi eux, Corinne Nadal Allock. Jadis, ses produits artisanaux et ses poupées se vendaient “comme des petits pains” dans sa vitrine située non loin du four à chaux. “Du jour au lendemain, je me suis retrouvée sans clients. Fermer mon magasin ‘Midinette’ a été une décision très dure et difficile à encaisser. J’ai été terriblement affectée et suis même tombée malade”. Depuis peu, elle s’est reconvertie dans les fleurs et loue un autre emplacement dans le centre. “Mais là aussi, les clients se font rares”, avoue cette dernière.
Dans le sud ouest, Nella Maglou, propriétaire du magasin Roots of Chamarel essaie aussi de survivre à cette période compliquée. Cette habitante de Chamarel a réaménagé son magasin touristique pour y proposer également des produits alimentaires qu’elle vend aux locaux. “Je ne vais pas dire que je sombre dans le désespoir, mais les temps sont durs et il faut rebondir. Si les frontières ne rouvrent pas bientôt, je ne suis pas optimiste pour l’avenir”.
Le sort s’acharne sur les plaisanciers
A Trou D’Eau Douce, comme à GRSE, la situation devient insoutenable pour certains habitants qui se disent inquiets pour la suite. Natacha Marie, propriétaire de plusieurs bateaux de plaisances à GRSE vit dans le stress. “J’ai quatre employés à ma charge et les Rs 5100 que nous verse le gouvernement n’est définitivement pas suffisant pour survivre. Les bateaux sont figés sur les rives de la rivière depuis quatre mois déjà”, indique-t-elle. Josué Dardenne, plaisancier de renom à Trou d’Eau Douce avance pour sa part que son village “se noie dans le désespoir”. Néanmoins, il garde “une once d’espoir que la situation retournerait à la normale après le confinement. Avec zéro fonds, je ne sais plus comment je vais faire pour rémunérer mes employés et payer les autres charges. D’autant plus que ce mois-ci sera le dernier où je toucherais le Wage Assistance Scheme”. D’ailleurs, le sort semble s’acharner sur les plaisanciers de Trou d’Eau Douce. “Les week-ends nous avons des réservations, mais nous sommes contraints d’annuler depuis quelques semaines pour cause de mauvais temps”. Une situation que vit directement les pêcheurs du coin. Ange Rosette passent presque toute la journée à nettoyer ses filets dans l’attente d’une amélioration du temps. Le retraité explique que “les poissons se font rares” même quand il a l’occasion de se rendre en mer.
Avenir sombre
Ce ne sont pas uniquement les plaisanciers et les entreprises travaillant directement avec les touristes qui sont en difficulté mais tous les acteurs liés de près ou de loin avec ce marché. “Il faut savoir que les plaisanciers s’approvisionnent en fruits de mers chez les pêcheurs pour le déjeuner à bord. La station d’essence dépend du va-et-vient quotidien. Et ainsi de suite”, explique Pascal Yencana que nous rencontrons non loin du Four à Chaux. Son entreprise Pasacleda Co. Ltd spécialisée dans les activités de sport nautiques sur l’Ile aux Cerfs est également affectée. Le constat de l’entrepreneur est désolant. “Sans touriste les activités nautiques n’ont plus de raison d’être. En attendant, depuis 5 mois, je puise dans mes économies pour payer mes employés. Mais faute d’argent, j’ai dû me séparer d’un certain nombre.” Karine Nadal, habitante du coin, souligne pour sa part que les propriétaires de maisons d’hôtes, campement et autres hébergements à visée touristique vivent aussi une période critique.
Retour dans le sud ouest. Robert de Spéville, responsable de La Vieille Cheminée (Ferme Tropicale et Eco-lodges) tient à faire ressortir qu’étant donné que “le village de Chamarel dépend entièrement du tourisme, dans pas longtemps il va être en extrême difficulté”. Si à La Vieille Cheminée la situation est sous contrôle jusqu’à présent, grâce à une clientèle composé de Mauriciens et expatriées, “d’autres maisons d’hôtes ont plus de difficulté car il n’y a aucun visiteurs”. Robert de Spéville voit un retour à la normale très compliqué. “Même si le gouvernement ouvre les frontières, le retour des touristes à Chamarel sera lent. Les prochains six mois seront difficiles”. Pascal Yencana abonde dans le même sens. “La continuité de nos entreprises ne tient qu’à un fil. Avec énormément de difficultés, nous pourrons redémarrer nos différentes activités. Pour l’heure, nous ne pouvons que garder espoir.”