Je le répète depuis des mois dans cette rubrique : les conseils des communicants du Premier ministre, qui sont à l’affût du scoop porteur, se retournent souvent contre lui. Cette mauvaise stratégie a été encore une fois illustrée cette semaine dans la tentative de faire oublier l’absence de gestion gouvernementale — d’autres parlent carrément d’incompétence — face aux conséquences prévisibles du naufrage du Wakashio. En effet, il faut dire et redire que ce n’est que treize jours après le naufrage et en dépit des alertes des ONG, des pêcheurs et des habitants du Sud que le gouvernement a enfin réagi. Entre-temps, la nappe d’huile avait déjà commencé à se déverser dans le lagon. Conscient qu’il ne pouvait pas faire grand-chose au niveau de la presse et des réseaux sociaux, qui avaient relayé les alertes, sa cellule de communication s’est tournée vers l’international, vers une des meilleures télévisions au monde : la BBC. En oubliant un point fondamental : la BBC n’est pas la MBC, où la direction et les journalistes s’agenouillent dès que le Premier ministre montre le bout de son nez. Habitué au traitement quasiment royal que lui accorde la MBC, Pravind Jugnauth ne sait pas comment répondre à une vraie interview. Résultat : il a été surpris par la question de la journaliste lui demandant s’il ne devait pas présenter ses excuses aux Mauriciens pour les douze jours de non-décision après le naufrage. Au lieu de répondre directement, le Premier ministre s’est lancé dans une longue tirade sur l’action de son gouvernement pendant… le confinement. Il faut aussi dire que ce n’était pas seulement les réponses du Premier ministre qui étaient mauvaises, mais également les conditions techniques de l’interview réalisée, dit-on, sur un portable avec bruits des messages entrants, baisse de son et… interruption de la communication. Non content d’avoir fait une piètre performance, le Premier ministre s’est ensuite permis de faire des commentaires désobligeants sur la BBC et la journaliste qui l’avait interrogé.
Quelques heures après, la BBC, qui contrairement à la MBC n’interroge pas que les membres du gouvernement dans ses journaux, donnait une leçon au Premier ministre — et ministre de la MBC — sur la manière dont une chaîne de télévision professionnelle fonctionne. Après lui avoir donné la parole sans obtenir beaucoup d’informations, elle a fait appel à une autre source pour mieux comprendre la situation à Maurice après le naufrage. Elle s’est adressée au précédent Premier ministre, Navin Ramgoolam. Visiblement mieux préparé et ayant étudié son dossier, Navin Ramgoolam a répondu de manière directe et précise aux questions du journaliste de la BBC. Et, comme le soulignera Xavier-Luc Duval après, la qualité technique de cette interview était également supérieure à celle de Pravind Jugnauth. Beaucoup plus à l’aise que le Premier ministre, Navin Ramgoolam a même demandé l’autorisation au journaliste pour un commentaire final. Il a tenu à remercier tous les Mauriciens mobilisés pour tenter d’endiguer la marée noire déversée sur la côte sud-est du pays. Alors que dans son intervention Pravind Jugnauth ne parlait que de ce qu’il avait fait concernant la Covid-19, Navin Ramgoolam a eu une pensée pour tous ces volontaires qui mettaient leurs mains dans l’huile ou dans la paille pour empêcher la nappe de se répandre. Si c’était un match télévisuel, le score aurait été Navin 1-Pravind 0. Mais comme les communicants du Premier ministre sont mauvais joueurs, ils ont essayé de faire oublier la mauvaise prestation de leur « champion » en occultant la performance du vainqueur. Redoutant une rediffusion sur la BBC des deux interviews, qui aurait établi la supériorité de leur adversaire sur leur patron, ils ont tout simplement annulé le match. C’est ainsi que jeudi, pendant plusieurs heures, les émissions de la BBC, dont la diffusion est techniquement contrôlée à Maurice par la MBC, ont été interrompues. Mais les mauvais joueurs avaient oublié que ce n’est pas seulement MyT et la TNT qui diffusent les émissions de la BBC. Dès que la nouvelle de la censure a été connue, les téléspectateurs se sont branchés sur les réseaux sociaux pour suivre et surtout comparer les prestations de Pravind et de Navin. Cette tentative de censure a poussé les internautes à multiplier les copies des deux interventions et à les envoyer à un maximum de Mauriciens. Résultat de ce match audiovisuel : les deux vidéos ont été vues des centaines et des centaines de fois établissant, cela est reconnu même chez les adversaires de Navin, sa supériorité télévisuelle sur Pravind. Encore une fois, une opération de com destinée à mettre en valeur le Premier ministre s’est retournée contre lui, à cause de l’incompétence et de l’amateurisme de l’équipe chargée de sa communication.
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