C’est un immense choc que vit en ce moment Maurice.
Maurice, toujours si fière de son image de première de la classe.
Car oui, il y a une fierté des Mauriciens vis-à-vis de leur île, et de l’image qu’elle projette.
Reste qu’au-delà de l’événement ponctuel de la Covid-19, il est évident que nous sommes frappés de plein fouet par l’implosion d’un modèle de gouvernance dont les failles sont devenues intenables. Notre tourisme souffrait déjà d’un clair ralentissement sans qu’une stratégie de relance soit annoncée. Air Mauritius avait déjà amorcé la trajectoire du crash pour cause de mauvaise gestion politiquement aggravée. Le classement de notre centre financier sur la liste noire de l’Union européenne nous pendait au nez. Et les multiples scandales de corruption de ces derniers mois exposent dans une lumière crue une classe dirigeante tout occupée à remplir ses poches et celles de ses proches, alors que des citoyens démunis sont bulldozés vers des tentes d’infortune depuis plus de deux mois.
Et puis il y a l’échouage du Wakashio et sa marée noire subséquente.
Il y aura encore beaucoup à dire sur l’absence de protection de nos côtes ; sur comment un tel navire a pu faire route pendant deux jours dans nos eaux territoriales où il n’était pas censé se trouver, sans être, officiellement, contacté par les garde-côtes ; sur l’incroyable faille de sécurité que cela révèle alors que, comme le dit l’activiste Bruneau Laurette, ce bateau venu s’échouer à 5 mns de notre aéroport aurait pu être contrôlé par des terroristes ; sur l’inaction du gouvernement mauricien devant ce bateau qui, pendant 12 jours suite à son échouage, a raclé nos récifs sur plus d’un kilomètre, dans un endroit où la mer est connue pour être houleuse ; sur la non-réaction des autorités face aux conséquences écologiques, sociales, humaines de cet échouage.
Les conséquences politiques, elles, sont aujourd’hui bel et bien là.
Ces deux dernières semaines, la population mauricienne a pu voir un leadership tellement inefficace et inopérant qu’il est aujourd’hui ouvertement taxé d’illégitimité.
A l’initiative d’un petit parti politique, la population mauricienne a pu voir que la résistance peut constituer une alternative.
A travers la mobilisation d’entités comme Eco-Sud et la Mauritian Wildlife Fund, la population mauricienne a été témoin de la qualité d’organisation, de l’efficacité, de la légitimité de la parole et de l’action de nos ONG.
A travers son propre déploiement, spontané, solidaire, habité d’une extraordinaire énergie constructive, la population mauricienne a vu qu’en se regroupant pour façonner des bouées artisanales, elle était capable non seulement de canaliser sa colère et son sentiment d’impuissance, mais aussi de pallier l’absence de décision et d’action des autorités.
Lors une conférence de presse vendredi dernier, les activistes de Rezistans ek Alternativ et les Mahebourgeois qui sont à l’origine de la confection des bouées en paille de canne qui ont permis de contenir le début de la marée noire, réunis au sein de ce qu’ils ont baptisé « The People’s factory », ont eu des paroles édifiantes. Ainsi celles de David Sauvage : «A travers cette mobilisation populaire pour fabriquer et installer des bouées en paille de canne, nous avons montré que nous étions capables de contenir le pétrole, dans un moment où ni les autorités ni le grand capital n’étaient encore présents. Nous pouvons apprendre beaucoup de ce modèle collectif que nous avons créé. Nous avons vécu une décolonisation de nos esprits sur la capacité du peuple à se mettre en mouvement. Ça, c’est très fort. Et c’est pour cela que le pouvoir tremble.»
Le pouvoir montre en effet qu’il tremble quand il s’attaque à la presse. Qu’on ne s’y méprenne pas : LA presse n’est pas une entité monolithique et de facto vertueuse. Il y a DES entités de presse qui pratiquent des variantes du traitement de l’information, sur lesquelles il y a lieu d’être critique. Et dans une situation de catastrophe nationale encore plus que dans le cours usuel des choses, les entités de presse se doivent plus que jamais d’être hyper vigilantes et exigeantes vis-à-vis d’elles-mêmes dans leur façon de traiter l’information. Car les médias participent eux aussi des jeux de pouvoir (l’absence de réaction collective de la presse mauricienne cette semaine en témoigne aussi). Au Rwanda, en 1994, la tristement célèbre Radio des Mille Collines a joué un rôle actif dans l’extermination systématique des Tutsis par les Hutus. Mais nous ne sommes pas dans cette configuration. Chez nous cette semaine, le gouvernement a interdit à l’Express et à Top FM l’accès à sa conférence de presse, sans justification. Il n’empêchera personne de croire que c’est en raison de la couverture qu’il juge adverse que ces deux entités donnent à son action. Il n’empêchera pas le soupçon sur le fait que la BBC ait été subitement indisponible à Maurice vendredi après son intervention catastrophique sur la chaîne britannique et alors que l’ex-Premier ministre Navin Ramgoolam devait y prendre la parole (ce qui n’a fait que redonner du jeu à cet homme par ailleurs démonétisé). Il devra justifier de la décision prise d’interdire jeudi aux journalistes l’accès à la conférence de presse donnée par le leader de l’opposition à son bureau à l’Hôtel du gouvernement. Le poste de leader de l’opposition est un poste constitutionnel, et le gouvernement montre là une grave incapacité à faire la différence entre le gouvernement et l’Etat. Tout comme la liberté d’informer pour la presse et d’être informé pour le public, relève du fondement d’un pays se voulant démocratique.
Pressé de tous côtés, le Premier ministre est finalement venu annoncer hier la mise sur pied d’une Court of Investigation sur l’affaire Wakashio. Elle sera plus que nécessaire pour faire la lumière sur cette crise.
En attendant, il est étonnant qu’aucun des spin doctors grassement payés du gouvernement n’ait été capable de lui dire à quel point, autant intérieurement que face à l’extérieur, il aurait eu tout à gagner à valoriser l’extraordinaire mobilisation citoyenne qui s’est manifestée à cette occasion. Locaux et internationaux, les médias n’ont cessé, ces deux dernières semaines, de mettre en avant cette exceptionnelle mobilisation qui a permis de sauver nos côtes du pire. Quoi de mieux que l’ingéniosité et la solidarité d’une population pour l’image qu’un pays a de lui-même et qu’il donne au monde ? A côté, le désastreux nouveau slogan de « Sus Mauritius », c’est de la sucette…
Au lieu de cela, le gouvernement n’a cessé d’opposer à cette population l’avis « d’experts » invisibles et a déployé depuis hier les jeeps de la SSU pour interdire le Mahebourg Waterfront à la mobilisation citoyenne.
Cela ne traduit pas la « sérénité » dont on se vante au niveau officiel. Cela trahit plutôt le sentiment d’un pouvoir qui sent glisser le terrain. Quand une colère qui s’estime légitime est contrée par la répression, l’escalade peut être rapide. Ses répercussions graves. La prochaine vigilance consistera sans doute à veiller que le souffre de l’instrumentalisation communale ne soit pas utilisé pour court-circuiter le souffle collectif que l’on sent monter…
LA presse n’est pas une entité monolithique et vertueuse. Mais la répression exercée par le gouvernement cache mal sa panique face à la décolonisation des esprits vécue ces jours-ci par les Mauriciens face à notre démocratie…