Il est derrière quelques-unes de vidéos populaires du paysage musical. Jordan Vigoureux, alias T-Jor, est un vidéaste prometteur spécialisé dans la conception de clips. Il est sollicité régulièrement en raison de la qualité de son travail et de sa créativité. Nous l’avons rencontré dans son village natal, Bramsthan, où il vit avec ses parents et ses frères. Il ouvre une fenêtre sur son indépendance et son besoin de liberté, moteurs de sa créativité.
Premie Tifi, d’Ag Laë, s’accompagne d’images en gros plan et en plans larges qui racontent à la fois le paysage et les visages des protagonistes de ce texte engagé. La vidéo réalisée par T-Jor s’imprègne de la poésie de Michel Ducasse pour restituer l’univers que le poète décrivait dans son recueil Souf Tapaz Lavi. Mis en musique par Steeve Laridan de Fusionnal Mind, le poème est chanté Ag Laë, repérée grâce au concours La voix du Sud-Ouest, organisé l’année dernière. La caméra de T-Jor en a fait un clip engagé pour une belle balade sur les notes et à travers de beaux paysages qui mettent aussi en lumière la condition féminine tout en dénonçant les préjugés qui accablent encore des femmes. Et la lumière, le vidéaste sait la maîtriser pour conférer l’ambiance recherchée à cette vidéo faite pour interpeller.
Pour arriver à cette vidéo mise en ligne il y a un mois, Jordan Vigoureux, dit T-Jor, s’est imprégné de la poésie du texte. Une même méthode utilisée pour les différents artistes avec qui il a collaboré : The Prophecy, Blakkayo, Dagger Killa, Lion klash, Racinetatane, entre autres. “Avant de commencer un tournage, je développe mes relations avec l’artiste afin de connaître son monde. J’aime comprendre son état d’esprit. Je me dois de cerner la personne. Ce qui me permet de trouver les visuels qui collent au morceau et qui lui donnera plus d’impact. Je considère aussi que c’est mon rôle de mettre la personne à l’aise devant la caméra. Les images doivent parler d’elles-mêmes. C’est la base même du story telling à travers l’image.” Des principes qu’il inculque à son frère Warren qui le suit parfois lors de ses tournages.
A 26 ans, cet habitant de Bramsthan est un perfectionniste toujours à la recherche de nouvelles idées et de créativité. Très à cheval sur la qualité de son travail, il met tout en œuvre pour avoir le meilleur résultat possible. Son nom circule désormais dans le giron, la qualité de son travail lui ayant permis de s’imposer.
Sûr de lui, Jordan Vigoureux, 26 ans, sait où il va et comment y arriver. Il faut savoir que T-Jor est le diminutif de Ti-Jordan, surnom donné par ses camarades qu’il côtoyait en bus quotidiennement pour se rendre au collège St Mary’s. “Il y avait déjà un Jordan parmi, du coup je suis devenu Ti-Jordan. C’était l’époque où nous aimions tous écrire nos noms en graffiti sur les cahiers de dessins. Très vite j’ai remplacé Ti-Jordan par T-Jor.”
Le vent en poupe.
Loquace il aborde son parcours et ses aspirations alors qu’il se met derrière son écran d’ordinateur. Sa caméra, son principal outil de travail, ne le quitte pas. “Je viens de terminer une vidéo qui avait été retardée en raison du confinement. Il s’agit du clip d’une chanson sur la fête des mères composée par le chanteur Oeson. Il devrait sortir à l’occasion de l’Assomption.”
Il y a quelques années, pour affûter ses armes, le vidéaste s’est fait engager sur un bateau de croisière comme photographe avec le souhait de passer à la vidéographie dès que possible. Opportunité qui lui permit de visiter de nombreux pays. Il en a profité pour photographier et faire des vidéos de plusieurs endroits pittoresques tels que l’Alaska ou encore le pont de San Francisco. “J’aime ce genre de vidéos. J’adorais les ramener pour les montrer aux Mauriciens. De la même manière, j’ai fait des vidéos de Maurice pour partager à mes amis là-bas.”
Initiative qui l’a amené, plus tard, à réaliser une belle vidéo sur Trou d’Eau Douce qui est à quelques minutes de chez lui. “Je n’avais pas imaginé que ce village était aussi beau. Un jour, j’ai décidé de ne pas travailler, de prendre un bus qui me coûte Rs 25 et d’y passer un moment avec mon appareil.” Résultat, plus de 7 000 vues pour une vidéo de moins de 3 minutes réalisée que pour le plaisir.
Mais très vite, il déchante. Ses aspirations de faire de la vidéographie ne se concrétisent pas. “Il fallait passer par la photographie avant de passer à la vidéographie. Je ne pouvais pas ‘step up’ pour des raisons indépendantes de ma volonté. C’était assez démotivant, du coup j’ai arrêté et j’ai souhaité devenir indépendant.”
Indépendance.
Depuis, T-Jor s’est mis à son compte. Un choix qu’il ne regrette pas. “Peut-être que si j’avais poursuivi mes études d’ingénierie, j’aurais été plus stable financièrement. Mais le travail que je fais m’offre une liberté à laquelle tous doivent sans doute aspirer.”
Mais l’indépendance a un prix. Le coût des équipements ne cesse d’augmenter. Mais la soif d’exploration du vidéaste de s’altère pas. Du coup, l’acquisition de nouveau matériel de travail est régulière. “J’ai pu réaliser de gros projets avec les moyens du bord. Il y a des choses que j’ai envie d’explorer, il me faut d’autres équipements. C’est simple comme équation, si j’ai besoin d’images aériennes, je dois prendre un drone, si j’ai envie d’être plus productif, il me faut un PC plus rapide.”
Remise en question.
Revenant en arrière, il confie que le déclic s’est fait pendant ses années au collège. “Un enseignant d’IT avait pris l’initiative d’inviter deux photographes pour un séminaire. Je n’avais pas de caméra, je n’étais pas intéressé au début mais je me suis laissé tenter. On se rencontrait chaque samedi pour des moments de partage. J’empruntais une caméra de 4 méga pixel d’un camarade de classe, ensuite j’ai arrêté quand il a fallu me consacrer aux études tertiaires.”
À peine un semestre engagé en ingénierie civile après le collège, il se pose vite la question sur ce choix. “Je me suis remis en question. Est-ce que je me vois faire ça dans dix ans ? Je me suis retrouvé face à un dilemme. Si je devenais parent un jour, je passerais beaucoup de temps au bureau et sur un chantier. J’ai alors choisi de me tourner vers le graphic design et ensuite à la vidéographie. Je venais d’acquérir une caméra, j’ai commencé à mettre en pratique mes notes de l’expérience photographique de l’époque du collège.”
Entre-temps, au fil des rencontres, il eut la chance de réaliser des photos et des vidéos dans des concerts en compagnie de Sk’as, un de ses amis vidéastes. “Nous travaillions à l’hôtel et nous allions dans les concerts pour faire des photos. Je fréquentais Solda Kaz Bad, du coup je faisais des photos pour le fun. Puis, j’ai commencé à faire des vidéos. J’ai ensuite touché un peu le montage. Petit à petit, j’ai commencé à y développer un intérêt.”
Liberté.
Il faut dire que, depuis ses années au collège, T-Jor a toujours prôné une certaine indépendance. C’est ainsi que, ses vacances scolaires étaient souvent consacrées à divers métiers allant de ‘manev mason’ à la plonge ou entre autres. “Nous étions quatre frères à la charge de mes parents et les trois plus jeunes étaient toujours à l’école. Je me suis dit, à cet âge, je dois pouvoir être indépendant. Si je pouvais, ne serait-ce que, payer mes dépenses scolaires, ça pourrait soulager ma famille.” Ces petits boulots lui permirent d’acquérir du matériel nécessaire pour s’épanouir. “J’ai travaillé deux mois comme plongeur dans un hôtel à Flic en Flac pour pouvoir m’acheter un objectif pour appareil photo.”
Il a d’ailleurs renoncé à quelques offres pour conserver son indépendance et sa liberté.