Peut-on asseoir la « réussite » d’un pays sur ses seules données économiques ?
L’actualité de cette semaine montre à quel point cela serait aléatoire. D’une part avec le rapport de la Banque mondiale qui, pour la première fois, classe Maurice comme un pays à revenus élevés. Alors que le terrain montre de plus en plus à quel point l’écart entre l’enrichissement de certains et l’appauvrissement d’autres ne peut, dans la vie quotidienne, être traduit dans une moyenne.
Il y a, d’autre part, le communiqué publié cette semaine par l’Economic Development Board, qui affirme que le prestigieux magazine The Economist a fait la couverture de son édition du 20 juin 2020 avec le Premier ministre mauricien, Pravind Kumar Jugnauth, sous le titre « Reinventing Mauritius : A country on its way up ». Sauf que sur le cover mis en avant, il est écrit « Advertisement » avec les compliments de la République de Maurice. Et qu’il est stipulé que « This promotional cover wrap has been placed on a limited number of copies of The Economist. No endorsement is implied ».
Une entreprise de com donc, payée des deniers publics, pour « glacer » l’image du pays et de son gouvernement en marge de la pandémie de Covid-19.
L’an dernier, une autre île avait été mise en avant par The Economist (le vrai, pas la pub payée) : il s’agit de la Dominique, classée par le magazine comme le pays à plus forte croissance du PIB par rapport à l’année précédente, soit 8,8%.
Le cas de la Dominique est très intéressant à découvrir.
Dans un article en date de novembre 2019, le magazine National Geographic faisait ressortir que cette île des Caraïbes est partie pour être le tout premier « hurricane proof country » au monde. À l’épreuve des cyclones
Historiquement, la Dominique a certains traits communs avec Maurice. Au 17e siècle, les Français s’y implantent en y introduisant la culture du café et en important des esclaves africains comme main-d’œuvre. L’île est aussi un territoire que se disputent Français et Anglais, la France cédant d’abord l’île aux Britanniques en vertu du Traité de Paris, puis la reprenant, avant que l’île ne redevienne britannique en 1814. L’esclavage y est aboli en 1833. L’île devient État associé au Commonwealth en 1967 et proclame définitivement son indépendance en 1978. La Dominique est une république démocratique qui combine modèle républicain et système de Westminster.
Située à 500 km de la côte nord-est du Venezuela, faisant le pont entre la mer des Caraïbes et l’océan Atlantique, la Dominique est elle aussi habituée aux cyclones. Elle se méfie donc peu quand, en septembre 2017, le cyclone Maria est annoncé dans ses parages.
Sauf que Maria, rapidement devenu un cyclone de catégorie 5, va, en une nuit, dévaster le pays, détruisant 90% de ses structures, mettant littéralement son économie à terre. Au point où son Premier ministre, Roosevelt Skerrit, déclare : « [les habitants de la Dominique] ont perdu tout ce qui pouvait être perdu ». De l’avis des experts internationaux, il faudrait trois ans à la Dominique pour s’en relever.
Mais la Dominique n’a pas perdu résilience et ambition. Sur ses ruines, ce pays s’est en effet forgé un nouveau but : cinq jours après le passage du cyclone, s’adressant à l’Assemblée générale des Nations Unies, Roosevelt Skerrit déclare : « I come to you straight from the front line of the war on climate change ». Les études montrent en effet qu’alors que nous continuons à augmenter les gaz à effet de serre dans l’atmosphère, réchauffant les mers et la planète, des super-cyclones comme Maria vont augmenter en nombre et en intensité.
Le Premier ministre de la Dominique veut donc obtenir des fonds pour faire de la Dominique la première « fully climate-resilient nation » au monde, capable de prospérer malgré une nouvelle ère de perturbations intensifiées par le changement climatique.
De fait, la Dominique décide non seulement de construire des infrastructures capables de résister aux cyclones, mais aussi une économie qui résiste aux cyclones.
Cela implique une diversification de son économie, jusque-là centrée sur l’exportation agricole, le tourisme, les services financiers et l’offshore.
Pour l’agriculture, l’île a décidé, au lieu de continuer à produire pour l’exportation de bananes, de se recentrer sur la culture de fruits et légumes consommés localement.
Au niveau touristique, le pays a développé un programme d’écotourisme, qui lui a valu la certification Green Globe 21. Présentée comme « Nature Island », la Dominique met en avant une nature magnifique, avec pas moins de 365 rivières et cascades, des volcans, des forêts tropicales, de superbes récifs coralliens, et des plages de sable noir. Un sentier de randonnée de 185 km offre de traverser l’île du sud au nord sur les traces des anciens habitants.
L’objectif ultime est d’en faire une « île biologique », conjuguant l’écotourisme, l’agrotourisme, le tourisme de santé et la pratique d’un commerce éthique et équitable, qui n’exige pas une consommation excessive des ressources naturelles du pays.
Cette fois, pour aller plus loin et devenir résistante aux cyclones, le pays a voté, en 2018, la Climate Resilience Act et mis en place, en 2018, la Climate Resilience Execution Agency of Dominica (CREAD). Chargée de participer à la prise de conscience individuelle et collective, établir de nouvelles politiques et règlements en matière notamment de construction. Et travailler sur des centrales énergétiques basées sur la géothermie, des services de santé améliorés et des infrastructures de transport fiables sur terre ou en mer.
Alors que le gouvernement mauricien vient d’annoncer cette semaine sa décision de bannir, à partir de ce mois de juillet, le plastique à usage unique (mais pas les bouteilles en plastique ), on apprend que la Dominique a été le premier pays au monde à le faire en 2018. Pour ne pas avoir à se soucier du risque que les installations nécessaires pour le recyclage puissent ne pas tenir face à un prochain cyclone. Les habitants sont parallèlement encouragés à recycler eux-mêmes une bonne part de leurs déchets en les compostant.
Il y a une différence de « taille » toutefois entre la Dominique et Maurice : 754 km2 et 75 000 habitants pour elle, 1865 km2 et 1,3 million d’habitants pour nous. Mais s’il est peut-être plus facile de mettre en place certaines politiques sur un territoire limité, il serait grand temps de se rendre compte qu’à notre échelle, nous avons besoin de beaucoup plus que de « faire joli » sur une couverture publicitaire. Parce que nous avons beau être « coronavirus zone free », nous étions déjà en perte de vitesse sur le marché touristique international avant la Covid-19. Parce que d’autres secteurs de notre économie sont menacés par les révélations que nous ne sommes pas « financial and corruption scandal free ». Parce que la pandémie a peut-être fait reculer l’économie, mais pas le réchauffement climatique, qui attend toujours le monde à la porte.
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