La rentrée des classes a eu lieu ce mercredi 1er juillet. Après une coupure importante de plus de trois mois, ils ont donc été des milliers, écoliers et collégiens, à reprendre le chemin des classes. Si, dans une lettre adressée aux parents et remise le jour de la rentrée, le ministère de l’Éducation a souhaité rassurer ces derniers quant à une remise à niveau et des cours de rattrapage, en revanche, sur le plan psychologique, pour ces jeunes concernés, force est de constater que peu ou pas grand-chose n’a été élaboré. Ce qui amène le sociologue Ibrahim Koodoruth et le pédagogue Faizal Jeeroburkhan à remarquer que « ces lacunes auront certainement des répercussions sur tant le comportement que la performance de nombre de ces jeunes ». Pour sa part, le syndicaliste Vinod Seegum, président de la Government Teachers’ Union (GTU), plaide pour « plus de compréhension, de collaboration et d’indulgence, de la part des maîtres d’école et enseignants ».
Si, sur le plan de la reprise académique, avec ses nouveaux repères de précautions sanitaires et le “new normal”, tout s’est plutôt bien passé pour les milliers d’écoliers et collégiens, en revanche, « pour ce qui est de la santé mentale de nos enfants, le développement psychologique dans le sillage de l’épisode traumatisant que bon nombre ont vécu, on découvre, hélas !, que le ministère n’a pas prévu grand-chose », déplore le sociologue Ibrahim Koodoruth. Il explique : « Il n’y a eu aucun échange entre le ministère et les parents : c’est regrettable ! Nous sommes passés par cette expérience traumatisante, tant pour les adultes que pour les enfants, et le ministère a “informé”, par le biais de communications qu’il dépêche aux établissements scolaires. Mais il n’y a pas de “communication” : c’est-à-dire des rencontres et des partages, des discussions avec les officiels et techniciens du ministère, les parents et les associations de parents-enseignants. »
Ibrahim Koodoruth renchérit : « Élèves et étudiants se sont retrouvés privés d’école et de sorties des mois durant. Certains ont des parents qui les ont bien encadrés et qui ont répondu à leurs interrogations quant à cette situation. Mais tous les enfants n’ont pas été égaux devant le confinement et le couvre-feu sanitaire causé par la pandémie internationale de la Covid-19 ! Qui va répondre aux questions de ces enfants pour qui Covid signifie la mort, par exemple, parce que c’est ce qu’ils ont retenu ? Il y a une foule d’incertitudes et d’interrogations dans les têtes de nos jeunes. Malheureusement, en contrepartie, cela ne semble nullement concerner les autorités ! »
Faizal Jeeroburkhan, pédagogue, abonde dans le même sens. « Il y a énormément d’élèves et d’étudiants qui ont repris les cours, mais qui sont totalement désorientés, déboussolés ! Personne n’a vécu une telle expérience, et comme tout jeune qui se respecte, ils ont des questions plein la tête… Mais il y a peu de personnes, ou pas du tout, pour y apporter des réponses », dit-il. Ce serait, à son avis, « le moment idéal » de préparer nos jeunes, tant ceux du primaire que du secondaire, pour d’éventuelles expériences similaires. « On ne sait jamais. Rien ne nous garantit qu’une telle situation ne va jamais se reproduire… Et si on devait se retrouver une nouvelle fois dans une situation d’enfermement, avec une deuxième vague, ou une résurgence du virus ? “Now is the time” ! Il est temps d’expliquer, de laisser s’exprimer nos jeunes, les aider à comprendre ce qui se passe autour d’eux et ce que cela implique… Surtout pour tout ce qui touche aux précautions sanitaires », explique-t-il. L’importance, relève-t-il, est de « libérer la parole, par le biais de rédactions, par exemple, ou de mini-projets sur la Covid-19, des classes de discussions et d’échanges de vues, des études de cas, voire même des jeux de rôles, qui contribueront à cela ».
Ibrahim Koodoruth est de plus remonté. « Où sont les grands défenseurs des enfants ? Ces soi-disant Ong qui militent pour la valorisation et le respect des enfants ? Où est l’Ombudsperson for Children ? Les droits des enfants sont bafoués : on ne leur donne pas de voix au chapitre ! Soit les autorités ont oublié cet épisode que tout le pays, voire le monde entier traverse en ce moment, relève d’un traumatisme; soit ils veulent sciemment l’oublier ! Car, à ce jour, les cours dans les écoles et collèges ont repris. L’accent, comme toujours, est placé sur l’enseignement académique et la performance; donc, la santé physique de nos jeunes. En revanche, pour ce qui est de la santé mentale, le soutien et le développement psychologique de ces jeunes, c’est zéro », déplore-t-il.
Le syndicaliste Vinod Seegum est du même avis. « Nous avons donné notre accord au ministère de l’Éducation pour que ce trimestre de la reprise soit aussi long et afin que, justement, les enfants et les collégiens puissent chacun, selon ses aptitudes, rythme et capacités, suivre le flot et ne pas être pénalisé. En revanche, il est vrai que le gouvernement n’a pas beaucoup de ressources en matière de psychologues, par exemple, pour offrir comme soutien dans les établissements », précise-t-il. Il est d’avis, de ce fait, que les maîtres d’école et enseignants « doivent faire preuve de coopération et de compréhension ». Il ajoute : « Nous savons que les maîtres d’école et leurs staffs ont eu des rencontres, au préalable, avant la reprise des classes. Nous espérons qu’ils ont discuté, entre autres, de la nécessité d’être présents et à l’écoute des enfants qui, ils le verront, éprouvent des difficultés à s’adapter, après cet épisode de confinement. »
Abordant le fait que les trimestres aient été chamboulés et les programmes de travail revus, le pédagogue Faizal Jeeroburkhan est d’avis que « ce serait idéal dans cette présente conjoncture, pour ce qui est de l’aspect académique de cette reprise, de revoir le programme d’études ». Il poursuit : « Pourquoi ne pas envisager une réforme de l’actuel système d’évaluations qui se tient uniquement en phase terminale des cursus, et prôner des “continuous modular assessments”, par exemple ? Cela permettrait aux étudiants une meilleure adhérence au programme… » De même, continue notre interlocuteur, « c’est triste, mais notre système d’évaluation, actuellement, teste la connaissance, tandis que le développement et l’épanouissement humains sont exclus… Pourquoi ne pas trouver des avenues d’intégration et de remise à niveau sur ce plan ? »
Rappelant que, « même avant la crise de la Covid-19, il y a toujours eu un manque d’équité dans notre système éducatif », le pédagogue plaide pour que « nos décideurs et partenaires profitent de la présente conjoncture pour travailler dessus et parvenir à une situation où nos enfants seront tous “better off” ».
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Droits bafoués
Chargé de cours de l’Université de Maurice (UoM), Ibrahim Koodoruth explique qu’il y a « un gros souci » en ce qui concerne la tenue des examens. « Il y a certains enfants qui, effectivement, ne sont pas en mesure de prendre part aux examens cette année, parce qu’ils n’ont pu compléter leur cursus scolaire. En revanche, il y a un nombre d’étudiants, surtout de SC et de HSC qui, eux, ont déjà bûché et complété leur programme, que ce soit pour les matières scientifiques et littéraires et leurs révisions. Ils se sentent d’attaque et souhaiteraient prendre part aux examens cette année. Or, la ministre de l’Éducation ne l’entend pas de cette oreille : elle met tout le monde au même niveau. Est-ce bien raisonnable ? Doit-on pénaliser tout le monde ? À mon avis, c’est porter atteinte aux droits humains de ces jeunes », estime-t-il.
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« Formation plus poussée pour les enseignants »
Vinod Seegum et Faizal Jeeroburkhan sont d’accord que cette proposition « ne fera probablement pas l’unanimité », mais, vu le contexte actuel, il serait « souhaitable que nos enseignants bénéficient d’une formation poussée et axée sur le développement humain des enfants ». Ils ajoutent : « Il n’y a pas que le contenu pédagogique. Il faut aussi ramener l’élément de l’épanouissement de l’humain dans l’équation. » Pour le pédagogue, « il est temps d’en finir avec cette mentalité que l’éducation est un commerce, car cela ne cause que du tort à nous tous. » Vinod Seegum poursuit sur cette lancée : « Nous faisons un appel à tout le monde. Dans cette situation précise, il est attendu de chacun de nous de faire un peu plus d’effort : maîtres d’école et enseignants sont là pour guider et encadrer les enfants. Ils sont les repères et les remparts pour les enfants. C’est une relation de confiance qui doit être bien cultivée. »