Alors qu’une sortie précaire de la crise sanitaire de la Covid-19 semblait à peine se profiler, alors que l’on se demande, dans certains pays, si une reprise de la pandémie ne serait pas déjà à l’œuvre, d’autres réalités, elles, n’ont pas connu de trêve. Les multiples scandales impliquant le(s) pouvoir(s), ici et ailleurs, le montrent crûment.
Gare au « Conaravirus », assène le rappeur français Akhenaton dans une récente interview au magazine L’Obs. Une espèce qui profite de la pandémie, de la peur et de l’épuisement qu’elle a provoqués pour asseoir des profits frauduleux et des mesures et actions que l’on n’aurait même plus la force d’identifier, de relever. Encore moins de contester. Aux Etats-Unis, Donald Trump a tenté cette semaine d’interdire que l’on comptabilise les cas de coronavirus
Dans un texte puissant, intitulé “J’étouffe”, publié cette semaine dans l’hebdomadaire Le 1, le réalisateur Raoul Peck, qui fut aussi ministre de la Culture à Haïti, met en lumière à quel point nous devons non seulement prendre conscience, mais aussi agir face aux multiples menaces qui nous dépècent, parlant ici particulièrement de racisme, mais aussi plus largement de corruption, d’exploitation économique, de démission politique. Beaucoup d’échos, ici et partout.
Avec la menace d’une remise en question des rapports de force existants, on fait porter les conséquences sur la majorité sans pouvoir. « On décide de faire des « réformes » vers le bas, de détricoter les acquis « trop coûteux ». On dépouille les protections sociales, on privatise à tout-va et on vend les bijoux de la reine, on bloque les salaires, on pille les pensions, on désocialise les plus faibles et délocalise les moins « performants ».
« Comme il ne fallait pas toucher aux profits, les seuls paramètres restants étaient les salaires, les pensions, les services. Il fallait se « serrer la ceinture » pendant que d’autres (des boursicoteurs, des traders, des parlementaires, des ministres, des présidents, des hommes d’affaires, etc) se goinfraient à l’étage et planquaient leurs revenus dans des fonds illicites. Mais les gens ne sont pas sots. Ils voient bien que quand la crise devient dangereuse pour le capital, tout devient soudain possible : l’abandon des principes, la suppression des protections fiscales, environnementales, médicales, la déréglementation à gogo, la modification accélérée des barèmes, l’élimination ou l’amendement des normes de sécurité, les votes express au Parlement ». Tout est connecté, souligne Raoul Peck. La recherche de superprofits qui écrase forcément un autre ailleurs, la destruction de la planète, l’exploitation des plus faibles, la haine de l’autre, la consommation à outrance.
Face à cela, grande est la tentation de ne pas voir. De se protéger. De se dire « jusqu’ici tout va bien », nous sommes saufs malgré tout.
Mais le monde, alentour, dévale étage après étage vers le fond, dit le réalisateur.
A la tête de nos pays, nous sommes censés avoir des « responsables ». Dans ce mot, nous semblons n’avoir gardé que la notion de pouvoir et d’autorité. Pas celle de sûrs, sérieux, compétents, garants. Encore moins celles de comptables, condamnables, coupables, voire punissables. Chaque jour amène son lot de scandales, de démissions devant l’intérêt commun.
Face à un Etat défaillant, des partis qui n’incarnent plus grand-chose, des élus aussi démonétisés que pas désargentés, des syndicats laminés, que faire ? Que faire face au cynisme ambiant ? Comment trouver l’énergie de se confronter à la réalité de situations encore plus difficiles, et de se battre, alors que les populations sont déjà épuisées par la lutte contre la pandémie et ce qu’elle a impliqué depuis quelques mois ?
Et pourtant, il est temps d’arrêter insiste Raoul Peck. « Pas demain. Aujourd’hui. Que chaque citoyen prenne sa part du fardeau et arrête d’observer à distance », cesse d’ignorer ou de faire semblant d’ignorer le prix de son bien-être. « C’est facile d’être du bon côté. Quel privilège de pouvoir juger les autres ! De pouvoir dire combien « les réfugiés exagèrent », comment les sans-abri « pourraient faire un effort ». Comme si on reprochait aux pauvres d’abuser d’un système où 1 % des plus riches du monde possède plus du double de ce que possède 92% de la population du globe, soit 6,9 milliards de personnes. Une concentration qui « dépasse l’entendement », selon le rapport 2020 de l’OXFAM, alors que près de la moitié de la population mondiale, soit près de 3,8 milliards de personnes, vit toujours avec moins de 5 dollars par jour.
C’est le problème de chaque citoyen, de chaque institution, la presse comprise, de chaque conseil d’administration, de chaque syndicat, de chaque organisation politique, partout il faut ouvrir le chantier, insiste Raoul Peck.
Une entreprise pas toujours évidente. Chez nous, l’actualité récente renseigne sur une tendance marquée du pouvoir à vouloir « décourager » la critique. Après la suspension de la licence de Top FM en plein confinement; après l’arrestation et la détention de Rachna Seenauth pour avoir partagé une caricature du Premier ministre ; après le rejet sans explication de la PNQ du Leader de l’opposition au Parlement ; il y a cette fois la convocation devant un comité disciplinaire du senior lecturer Rajen Narsinghen. Taxé par l’Université de Maurice de s’être montré critique face aux nouvelles lois du travail adoptées par le gouvernement sous le Covid-19 act.
Mais l’intimidation ne marche pas toujours. En témoigne l’affaire de la plage de Pomponette. Face au bail accordé dans des circonstances douteuses à un promoteur hôtelier sur une parcelle de plage publique, le collectif Aret Kokin nou Laplaz, diverses forces vives et citoyens engagés, ont maintenu une pression de tous les instants. Malgré les interventions policières, malgré les convocations en cour, ils ont tenu bon. Aujourd’hui, le bail du promoteur serait en voie de résiliation. Pour conclure en beauté, il resterait au ministère des Terres à restituer à cette plage son statut public.
Jeudi, en France, un rapport de la Commission Nationale Consultative des Droits Humains a affirmé que « alors que la minorité noire est avec la minorité juive, celle qui a la meilleure image, elle est en butte au quotidien à des préjugés offensants et des discriminations nombreuses, voire un racisme anti-Noirs extrêmement cru, animalisant et violent, construit par opposition à une norme blanche. Un racisme anti-Noirs qui se nourrit de biais issus de la période coloniale et du fantasme du corps noir, et qui a des conséquences concrètes. Ainsi, une personne noire a 32% de chance en moins de trouver un logement ».
Vendredi, sur une proposition du député de La Réunion Younous Omarjee, la Commission Européenne a reconnu l’esclavage comme crime contre l’humanité. C’est une étape très importante pour que l’Europe reconnaisse une part de son histoire qui lui a permis de s’enrichir sur le commerce des esclaves.
Oui, il y a possibilité d’œuvrer pour donner le sentiment d’une justice raciale, sociale, économique et politique allant dans le sens de la collectivité. Qu’il n’y ait pas que coronavirus et conaravirus qui se propagent