Ici la police arrête pour un joke sur Facebook. Là-bas, la Chine travaille déjà sur le nouvel internet. Qui assurera un contrôle étatique accru sur les citoyens. C’est aussi cela qui se joue autour du Covid-19…
La pandémie de Covid-19 va-t-elle fournir aux gouvernements du monde entier une occasion en béton d’asseoir un contrôle absolu sur leurs citoyens, et en particulier sur internet? La question pourrait sembler accessoire dans le cadre de l’urgence sanitaire dans laquelle nous nous trouvons. Et pourtant, elle est centrale non seulement à une de nos libertés fondamentales, la liberté d’expression, mais aussi à notre survie même. Wuhan en est l’édifiante illustration.
Mercredi dernier, Rachna Seenauth a été arrêtée par la police mauricienne pour avoir relayé, sur Facebook, un photomontage humoristique annonçant que divers leaders mondiaux s’apprêtaient à entrer en communication avec le Premier ministre mauricien pour savoir comment il avait réussi à contrôler le Covid-19. Celle qui est la secrétaire de l’ex-présidente de la République a été arrêtée pour… diffusion de fausses nouvelles. Elle a passé la nuit en cellule. Le lendemain, les deux avocats qui se sont rendus aux Casernes centrales pour l’assister dans sa déposition ont été verbalisés par la police… pour violation du couvre-feu sanitaire. La jeune femme a donc été interrogée en l’absence de ses représentants légaux, avant d’être libérée sous caution, dans l’attente de son procès.
Il appartiendra aux juges de déterminer en quoi cette saillie humoristique peut constituer un acte de « désinformation », ou si cela relève de la réaction d’un orgueil bafoué. Ce qui est grave, c’est justement que cette dernière hypothèse est admissible en droit depuis les récentes lois votées par le gouvernement Jugnauth, selon lesquelles toute personne qui se sentirait vexée ou humiliée par un post internet peut aspirer à faire sanctionner la personne jugée responsable. La fenêtre ouverte à toutes les interprétations, la porte ouverte à tous les abus.
Cette affaire vient s’ajouter à d’autres occurrences extrêmement préoccupantes depuis l’arrivée du Covid-19 chez nous il y a un mois. Il y a deux semaines, il y a eu la fermeture des ondes de Top FM pendant trois jours pour un délit qui aurait été commis en… août 2019. Interdiction qui, par pur hasard, intervenait au lendemain de la diffusion par cette radio de l’intervention d’un médecin par rapport aux conditions de soins inquiétantes qui prévaudraient à l’hôpital de Souillac. Jeudi dernier, la Cour suprême a tranché en faveur de Top FM dans sa demande d’injonction contre l’organisme régulateur de radiodiffusion.
Les autorités ayant décidé de fermer le Parlement, aucune question ne peut être posée par rapport à notre gestion de la crise du Covid-19. Et les « conférences de presse » quotidiennes se sont transformées en « points de communication » où les représentants du gouvernement sélectionnent quelques unes des questions que les rédactions doivent leur envoyer au préalable.
L’information, clairement, est de plus en plus verrouillée.
Partout, l’option de la surveillance massive des citoyens dans le sillage du confinementcommence à s’imposer. Face à la menace du virus, on accepte de plus en plus de parler de la nécessité de restreindre la liberté d’expression, de contrôler tous les déplacements des citoyens comme en Chine ou en Corée du Sud en utilisant les téléphones portables. « On se tait et on obéit » semble être le mot d’ordre général. Et l’on agite volontiers l’accusation d’anti-patriotisme à l’égard de ceux qui voudraient garder la liberté de l’ouvrir.
Non, nous ne sommes pas les seuls, et ce n’est que le début.
Dans un article intitulé « Quand Internet sera Chinois », le magazine Courrier International fait état cette semaine d’une enquête du Financial Times de Londres, qui raconte comment le géant chinois Huawei est déjà en train d’inventer l’internet de demain. Avec un réseau sous contrôle étroit de l’Etat.
Des ingénieurs chinois ont ainsi, au siège des Nations unies à Genève, présenté à huis clos aux délégués d’une quarantaine de pays leur projet baptisé « New IP ». Soit un nouvel Internet visant à remplacer l’architecture technologique du Web tel qu’il existe depuis un demi-siècle. Outre de répondre aux exigences techniques d’un monde numérique évoluant à vitesse Grand V, la différence fondamentale de cette nouvelle infrastructure, c’est qu’elle est capable de redonner le pouvoir aux Etats au lieu de le laisser aux individus. En intégrant un système de contrôle centralisé dans l’architecture même du réseau.
Certains pays pratiquent déjà un certain contrôle étatique. Lors de récents épisodes de troubles civils, l’Iran et l’Arabie Saoudite ont ainsi bloqué l’accès à Internet pendant de longues périodes, n’autorisant qu’un accès restreint aux banques et services de santé. En Russie, depuis novembre dernier, une nouvelle loi consacre le droit du gouvernement de surveiller de près le trafic Web, montrant la capacité de ce pays à se couper entièrement du réseau mondial.
La Chine, elle, dispose déjà de son Great Firewall of China, un dispositif de contrôle du Net qui interdit l’accès à certains sites, empêche les citoyens d’organiser en ligne des manifestations de masse et bloque les contenus politiques jugés « sensibles ».
Qualifier le président Xi de « pao » dans un groupe de discussion privé est passible de deux ans de prison. Toute ressemblance avec une situation locale, etc…
Malgré cela, l’internet chinois n’arrive pas à bloquer tous les contenus jugés sensibles ou subversifs par les autorités. Le « New IP » lui permettrait de complètement resserrer les mailles du filet.
La lutte contre le terrorisme a permis à certains Etats de faciliter l’accès des services de renseignements aux données personnelles des utilisateurs. Le Covid-19 risque de permettre d’aller plus loin. D’exercer une véritable souveraineté numérique.
Certains demanderont peut-être en quoi une version autoritaire d’internet fondée sur la surveillance serait moins acceptable qu’une version capitaliste axée sur le marché, qui exploite aussi les données, et qui est majoritairement régulée par des entreprises privées, américaines en majorité (les fameux GAFA, Google, Apple, Facebook et Amazon). Après tout, s’il s’agit d’assurer notre sécurité et notre santé qu’un simple virus peut si gravement menacer, pourquoi pas ?
La différence toutefois réside dans le fait que les gouvernements n’ont pas forcément à cœur notre seul bien-être et sécurité. Aujourd’hui, le Covid-19 le montre aussi. Le 30 décembre 2019, le médecin chinois Li Wenliang, 34 ans, était arrivé à poster sur internet un cri d’alarme face à la progression du Covid-19 en Chine. Quelques jours plus tard, arrêté par la police chinoise, il dut signer une lettre d’excuses pour diffusion de rumeurs sur internet, promettant de ne plus commettre « d’actes contraires à la loi ». Il est mort du coronavirus peu de temps après. A cette époque, la Chine et l’OMS disaient encore qu’il n’y avait pas de transmission d’humain à humain…
Si la liberté d’expression et internet n’avaient pas été aussi contrôlés en Chine, peut-être les autorités sanitaires internationales auraient-elles eu le temps d’œuvrer pour que l’épidémie ne se transforme pas en pandémie. Aujourd’hui, nous souffrons tous du résultat.
L’ironie serait de nous réveiller, au lendemain de cette pandémie, pour réaliser que nous avons, par notre peur et notre passivité, laissé faire le lit de la plus totale restriction de notre liberté de vivre. Qui ne s’exprime pas que par une bonne santé…