Faut-il mettre en place des barrières aux intersections du métro en tenant en compte le fait que nous avons une population d’usagers de la route qui ne respectent pas le code de la route, ou faut-il refuser d’en mettre parce que les usagers de la route sont censés respecter le code de la route ?
Voilà la question qui nous agite depuis l’accident de tram qui a fait son premier mort à Maurice dimanche dernier.
Tous ceux qui circulent sur nos routes peuvent attester de la propension de nombre de conducteurs mauriciens à brûler les feux rouges. Une étude plus approfondie serait d’ailleurs nécessaire pour tenter de cerner les causes profondes de l’agressivité des Mauriciens dès qu’ils se retrouvent derrière un volant, cette façon de forcer le passage, ce « ôte toi de là que je m’y mette », sans aucun respect non seulement pour les règles mais aussi pour la vie des autres. De fait, ces comportements routiers sont de plus en plus meurtriers : 145 morts l’an dernier.
On meurt deux fois plus sur la route à Maurice qu’en Australie ou en France, quatre fois plus qu’à Singapour, six fois plus qu’au Royaume Uni…
Il est un fait que les Mauriciens devraient être contraints à respecter davantage le code de la route. Il est un fait que si le jeune motocycliste de 28 ans qui est mort tragiquement dimanche dernier sous les roues du tram a, selon les témoignages concordants, brûlé le feu rouge auquel d’autres automobilistes étaient arrêtés, on ne peut en soi blâmer le tram et son malheureux conducteur.
Reste que les autorités mauriciennes ont-elles-mêmes, au préalable, fait un passage en force avec le projet de Metro Express. En ne l’exposant pas aux Mauriciens et aux riverains concernés par son tracé que l’on a découvert au fur et à mesure. En s’exonérant de l’obligation de faire des études d’impact environnemental, social et de sécurité. En réalisant les travaux à vitesse Grand V, chantier travaillant 24h sur 24 pour être inaugurable juste avant les élections, avançant sans la planification nécessaire, pétant au passage les canalisations du tout à l’égout en inondant de merde habitants et magasins, créant des embouteillages monstres, n’anticipant pas certains problèmes qui se révèlent aujourd’hui.
Le métro léger est un projet valable, pour contrer la congestion routière, pour permettre à des milliers de Mauriciens de perdre moins de temps sur nos routes. Dans cette optique, il est dommage que le gouvernement ait décidé de le faire passer en force, pour honorer son propre calendrier électoral. On ne fait pas un projet pour le peuple, en montrant au peuple à quel point on s’en fout de lui, de ce qu’il pense, de ce qu’il vit, des aléas auxquels il est confronté.
Car il faut aussi reconnaître que le métro léger constitue une nouveauté par rapport aux habitudes des Mauriciens. Et pas uniquement par rapport aux « mauvaises habitudes » type brûler les feux rouges. Hier matin, ceux qui se trouvaient à l’arrêt de Vandermeersch ont pu, à l’arrivée du tram vers l’arrêt, voir une mère et ses trois enfants se lancer, le long de la plateforme, dans une course qui aurait pu être dangereuse pour atteindre l’avant du tram qui ne s’était pas encore arrêté : ils étaient manifestement convaincus que, comme pour le bus, c’est par l’avant uniquement que l’on y entre…
Vu son envergure, sa nouveauté et les changements qu’il implique, on peut penser que le projet Metro Express aurait dû faire l’objet d’un accompagnement, d’une sensibilisation, de mesures d’explication sur les nouvelles normes. Sur ses avantages. Sur ses risques. Sur son fonctionnement pratique et ce que cela implique par rapport aux habitudes qui existaient (et étaient plus ou moins tolérées jusqu’ici). En faisant lui-même si ouvertement fi des règlements établis pour le réaliser, est-ce un signal de respect des lois et d’autrui que le gouvernement a donné ? L’exemple, ça ne compte pas ?
Il ne peut évidemment pas être question de mettre des barrières de protection à chaque feu rouge. Mais dire cela ne prend pas en compte le caractère spécifique du métro : un Mauricio, c’est 307 passagers, dont 229 debout. Ce n’est pas une moto contre une voiture où sont assises cinq personnes. D’où, sans doute, la nécessité de considérer la possibilité de mieux sécuriser son trajet, sans que cela ne donne lieu à d’interminables polémiques et à des raidissements partisans sans débouché.
Parce que, pendant ce temps-là, dans le monde, d’autres signaux, d’une plus grande envergure, sont en train de se mettre au rouge. Et nous n’en serons manifestement pas protégés longtemps. Le Covid-19 a maintenant officiellement tué plus de 3 000 personnes dans 57 pays, interrompu les connexions entre un certain nombre de pays, fait chuter les bourses, fait fermer toutes les écoles pour une durée indéterminée au Japon et en Iran, amené cette semaine la fermeture de la Mecque aux millions de pèlerins étrangers qui s’apprêtaient à s’y rendre. Et de récentes études indiquent que 70% de la population mondiale, à travers tous les pays, pourraient être touchés par le Covid-19. Avec un taux de létalité de 2 à 3%, cela ferait quand même quelque 100 millions de morts…
Alors sans être alarmistes, reconnaître qu’il y a peu de barrières contre cela. Et que nous avons peut-être intérêt à sortir, vite, de nos logiques tristement binaires…