En 1947, Albert Camus publiait La peste. Un roman puissant, qui raconte la vie quotidienne des habitants de la ville d’Oran, en Algérie, lorsque s’y déclare une épidémie de peste bubonique dans les années 1940. Et que la ville se retrouve mise sous quarantaine, agonisante, et totalement coupée de monde extérieur.
Actuellement, les images et récits autour de la propagation du «nouveau coronavirus» (2019-nCoV) semblent curieusement s’apparenter à certaines pages du célèbre roman. Avec la ville chinoise de Wuhan littéralement fermée, des patients qui affluent dans des hôpitaux débordés, des malades qui mourraient dans la rue sans que personne veuille les approcher, des passagers cloîtrés en mer sur un paquebot de croisière que le Japon refuse de laisser accoster. Des pays qui rapatrient d’urgence leurs ressortissants. D’autres qui refusent de laisser entrer les voyageurs venant d’Asie. Et le monde tout entier qui tremble…
Pourtant, à la base, le coronavirus 2019 peut ne pas sembler plus inquiétant que ça. Appartenant à la famille des coronavirus (ce qui signifie « comptant un grand nombre de virus ») il peut provoquer chez l’humain des maladies bénignes comme un rhume mais aussi des pathologies plus graves comme le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère). Depuis sa première apparition officiellement signalée sur le marché de Wuhan en Chine fin décembre, il est estimé que le coronavirus 2019 a touché une vingtaine de pays. Mais sa propagation réelle n’en reste pas moins, pour le moment, très concentrée : des 31 523 cas recensés, 31 210 sont en Chine. Sur les 638 décès enregistrés, 636 sont intervenus en Chine. Plus un à Hong Kong et un aux Philippines. Selon les chiffres recensés par l’université Johns Hopkins de Baltimore (Etats-Unis), qui suit de près l’évolution de l’épidémie, il est estimé à ce stade que le coronavirus 2019 est mortel à 2%. Alors que le SRAS-CoV, premier coronavirus qui a entraîné une maladie grave chez l’Homme, et qui a sévi sous forme épidémique entre novembre 2002 et juillet 2003, avait un taux de mortalité de près de 10%. Et que le MERS-CoV, en 2012, affichait une mortalité d’environ 30%).
Reste que s’il apparaît moins mortel que le virus Ebola (qui tue 63% des personnes contaminées), le coronavirus 2019 tue plus que la grippe H1N1. Et que la transmission humaine semble s’être accélérée beaucoup plus vite que pour les autres virus, sachant qu’il est transmis lors de contacts étroits après l’inhalation de gouttelettes infectieuses émises lors d’éternuements ou de toux, ou après un contact avec des surfaces fraîchement contaminées par ces secrétions. Et qu’un vaccin n’est pas attendu avant la deuxième moitié de 2021.
De fait, la Chine elle-même traite ce nouveau virus comme une maladie infectieuse de grade A, alors que seules la peste bubonique et le choléra y étaient jusqu’ici classées comme maladies infectieuses de grade A.
La peste, on y revient…
Dans le roman de Camus, l’épidémie de la peste a aussi été assimilée à l’expansion de la « peste brune » (ou nazisme) en 1937, et plus particulièrement à l’Occupation allemande en France durant la Seconde Guerre mondiale. Et les différentes actions des personnages pour essayer d’éradiquer et de contenir la maladie, considérées comme des actes de Résistance. Le 6 février dernier, le monde apprenait la mort du Dr Li Wenliang, ophtalmologiste de 34 ans, qui travaillait dans un hôpital de Wuhan. Le 30 décembre 2019, il fut le premier à donner publiquement l’alerte sur la dangerosité du virus. Ce qui lui valut, le 1er janvier, d’être arrêté et questionné par la police chinoise, puis contraint à signer une lettre reconnaissant qu’il s’était rendu coupable d’avoir «répandu des rumeurs» et «perturbé gravement l’ordre social». L’annonce de son décès a fait de lui un véritable héros-résistant auprès d’une population chinoise qui réclame plus de liberté dans son accès à l’information et à la communication. Et a alimenté la méfiance d’un monde qui s’est empressé, dès le déclenchement de cette épidémie, de laisser libre cours à l’expression d’un racisme mal contenu face à la puissance économique chinoise.
Employés en congé forcé, chaînes de production à l’arrêt, liaisons aériennes interrompues : de nombreuses entreprises chinoises se retrouvent déjà menacées de faillite. Et certains, adeptes de la théorie du complot, verraient presque dans ce virus une manœuvre américaine pour affaiblir la deuxième économie mondiale…
Reste qu’alors que la Chine éternue, d’un coup, c’est aussi toute l’économie et le commerce mondiaux qui se grippent et sont menacés d’asphyxie. La faute à une surdépendance mondiale sur les importations chinoises. Plusieurs secteurs ont ainsi commencé à être affectés, comme l’automobile, l’électronique ou les nouvelles technologies. Des entreprises comme Apple, Foxconn, Electrolux, Tesla ou Toyota ont annoncé de sévères perturbations dans leurs livraisons. Airbus a aussi fermé sa chaîne d’assemblage des A320 pour une durée indéterminée. Et si les usines restent fermées plus d’une semaine encore, c’est l’approvisionnement mondial qui sera impacté nous dit-on, la Chine étant le premier fournisseur de marchandises de 65 pays sur la planète…
Peste soit du triomphalisme financier. Il suffit parfois d’un petit virus…