« Are you a Tamil, what language did your grandmother speak?”…“What is your name? A Ramsamy or Kistnaswamy cannot be Hindi, a Ramparsad cannot be Tamil, a Krisnasamy cannot be a Telegu ». Ce commentaire est extrait d’une intervention faite à l’Assemblée législative de Maurice le 16 août 1966 par le député Sunasee. Le député Sunasee voulait mettre en lumière la difficulté de la tâche des officiers commis au recensement de 1962. Et cette difficulté s’appliquerait, multipliée par dix ou cent, si nous devions faire aujourd’hui un recensement de la population mauricienne.
Pourtant, suivant la « logique » adoptée par l’Etat mauricien pour les élections législatives du 7 novembre prochain, nous devrions faire un recensement. Car le dernier date de 1972. Et qu’il ne devrait pas être possible, en 2019, pour le calcul très technique et pointilleux présidant à la désignation des best losers, de s’appuyer sur les chiffres d’un recensement remontant à 47 ans. Lorsque la population mauricienne se montait à 852 053 personnes, alors qu’elle compte aujourd’hui 1 265 637 habitants. Soit 413 584 personnes de plus.
Pour bien saisir pourquoi nous en sommes là, il serait intéressant de se pencher sur une étude publiée en 2007 par la chercheuse britannique Deborah Sutton dans The Journal of Imperial and Commonwealth History. Dans son article, « The Political Consecration of Community in Mauritius, 1948–68 » Deborah Sutton examine comment l’administration coloniale à Maurice a utilisé des innovations constitutionnelles de plus en plus élaborées pour contrebalancer l’apparente (ou supposée) incapacité des Mauriciens à faire la distinction entre préférence politique et affiliation communale.
La chercheuse montre ainsi comment, entre 1948 et 1968, la question de la majorité hindoue est devenue un référent déterminant dans le débat politique et constitutionnel mauricien, et comment la rivalité entre les factions dominantes de Ramgoolam et de Bissoondoyal a joué un rôle capital à la fois pour définir cette majorité et pour accroître la politisation de la communauté dans l’île.
Politicien avisé et pragmatique, Ramgoolam assure sa nomination au Legistlative Council en 1940, grâce au soutien du gouverneur Sir Bede Clifford. Devenu le leader du Parti travailliste en 1957, il va asseoir sa position comme héritier présomptif du régime colonial.
Basdeo Bissoondoyal, lui, va jouer un rôle redoutable dans le façonnement du discours politique dans l’île. Professant la « Hindu Renaissance », le réveil de la langue hindi et de la conscientisation culturelle hindoue à travers son mouvement baptisé Jan Andolan.
Comme dans d’autres colonies, l’identification d’une majorité hindoue repose sur le recensement. Il était alors estimé qu’à compter de 1871, la population originaire d’Asie du Sud se montait dans l’île à 68-70%, dont 52% sont classés comme Hindous, et le reste Musulmans.
Après la 2ème guerre mondiale, le recensement divise la population de Maurice en catégories. Ceux qui procèdent au recensement sont alors contraints de prendre en compte une gamme de caractéristiques, incluant le nom, la langue, l’origine, la religion, le lieu de naissance, avant d’arriver à un « median census designation ».
La réaction de l’administration coloniale britannique aux victoires électorales du Parti travailliste en 1948 et 1953 confirme la crainte d’une domination ethnique de la politique électorale et du législatif. Le «péril hindou » est agité. Les gouverneurs Donald Mackenzie-Kennedy et Hilary Blood utilisent alors leur pouvoir nominatif pour réintroduire au Conseil Législatif une majorité des Franco-Mauriciens ayant dominé le gouvernement non-officiel durant la période pré-guerre.
Ramgoolam s’allie Razack Mohamed et sa représentation affirmée des Musulmans. De leur côté, Basdeo et Sookdeo Bissoondoyal tentent de rallier la communauté hindoue autour d’un préjugé anti-Hindou. Ils sont peut-être une majorité numérique, disent-ils, mais la communauté est aussi un lieu de dénuement, exclue de l’éducation et de l’emploi. Leur cible principale : les travaillistes, et Ramgoolam en particulier, qui, selon eux, laissent faire la persécution.
Réagissant, le groupe travailliste élabore un autre récit où est mise en cause la complicité ou la négligence d’institutions étatiques.
Par la suite, le leader du Parti Mauricien, le jeune Gaëtan Duval, utilisera à fond les conclusions de la commission chargée de déterminer l’attribution de subsides aux divers groupes religieux du pays. Vers le milieu des années 60, il soutient des protestations de Tamouls qui estiment qu’ils ont été sous-comptés dans le recensement. La « fragilisation » de la « communauté hindoue » est enclenchée.
Désireux de leur côté de régler le « problème » de majorité hindoue avant l’indépendance, le pouvoir colonial évoque alors la possibilité d’une représentation proportionnelle. Duval, de son côté, utilise les appels du PTr en faveur d’une identité hindoue pour ratisser le support des Créoles, Tamouls, Télégous et nouer des liens avec le Comité d’Action Musalman.
Une commission est instituée sous la présidence de Sir Malcolm Trustram Eve « to facilitate the development of voting on grounds of political principle and party rather than on race or religion ». La commission remplace les circonscriptions électorales à cinq élus par quarante circonscriptions à un élu, utilisant le recensement de 1952 pour redessiner les circonscriptions en fonction de la proportion des communautés les habitant. 12 membres supplémentaires peuvent être nommés par le gouverneur.
En 1966, une commission présidée par Harold Banwell réorganise à nouveau les circonscriptions en les réduisant à 20, avec trois élus à la majorité simple. Assorti du best loser system, pour rétablir la balance communale en nommant des candidats non-élus sur la base de leur communauté déclarée.
Mardi prochain, 22 novembre, les Mauriciens désireux d’être candidats aux élections législatives devront à nouveau déclarer leur « communauté » pour être acceptés. Et si nous interrogions notre histoire, pour comprendre réellement ce que l’on nous engage, en 2019, à perpétuer…