Il paraît que les Réunionnais nous envient notre tout dernier développement : le dit « métro léger ». En vérité un tram, qui vient relever le projet de tram-train un temps entretenu à l’île sœur par Paul Vergès. Mais alternance politique oblige, le projet fut écarté en 2010, et les fonds transférés vers le projet de Nouvelle Route du Littoral (NRL). Lancé en 2014, ce projet, de plus de deux milliards d’euros (Rs 80 milliards) vise à relier Saint-Denis et Le Port par une route de 12 kms qui surplombe la mer. Si une moitié, construite en viaduc, est presque achevée, l’autre moitié est à l’arrêt. Le 29 avril, le tribunal administratif a en effet interdit l’exploitation des carrières, dont devaient être extraites des roches pour construire les 2,7 kilomètres de route restant.
La semaine dernière, un entrepreneur réunionnais a annoncé que la solution pourrait venir de Maurice. En utilisant les roches provenant de l’épierrage des champs de cannes de petits planteurs sur notre sol. Maurice y gagnerait aussi, l’argent recueilli permettant de poursuivre l’épierrage pour rendre nos champs « mécanisables ».
Des analyses sont en cours. On attend la suite.
Mais s’il y a une chose qui n’a pas attendu pour s’exporter sur La Réunion, c’est une part de notre savoir-faire culturel et artistique.
Le week-end dernier, la ville de Saint-Paul a vécu à l’heure de « Réunion Métis ». Initié par l’IRT (Ile de La Réunion Tourisme), ce festival étalé sur trois jours proposait « une façon inédite de vivre la culture à La Réunion », mobilisant des dizaines d’artistes «imprégnés des richesses de leur île, qu’elles soient naturelles, patrimoniales ou culturelles, afin de faire de ce nouveau rendez-vous le plus bel étendard du vivre ensemble local ».
Cette expérience immersive et gratuite se présente comme l’association d’acteurs privés et publics. Avec nul autre que le collectif mauricien à qui nous devons Porlwi by Light.
Celui-ci est en effet invité à La Réunion en 2017 par Pascal Thiaw Kine, président du groupe Leclerc et initiateur du Fonds Réunion des Talents, pour parler de leur expérience et de l’impact du festival. Le Conseil Régional montre aussi son intérêt.
Suite à une réflexion menée par acteurs économiques et culturels de l’île sœur, le Collectif Porlwi est invité à transmettre « la méthodologie, les rouages et l’ADN » de son festival à une équipe réunionnaise.
Au terme d’un an et demi de collaboration, c’est donc une « avant-première » qui a été présentée le week-end dernier à Saint-Paul. La baie de Saint-Paul où sinuent des guirlandes lumineuses portées par les vagues pour venir embrasser le sable noir entourant le débarcadère. Lieu symbolique s’il en faut, dans cette ville qui fut le premier et pendant longtemps le seul port de La Réunion, celui qui vit débarquer aussi bien colons qu’esclaves.
C’est aussi la portée de cette histoire, son présent et sa projection vers l’avenir, que disent les illuminations proposées par Sanjeeyann Paleatchy. Chaque soir à 19h, la jetée réinventée par Jean-Claude Jolet en Salle Verte 2.0, s’est animée sous les pas de la Kompani Soul City de Didier Boutiana pour un vivifiant spectacle d’ouverture. Le public pouvait par la suite déambuler à travers les rues adjacentes. Découvrir ici ou là un mapping signé Yann Péron & Électrocaïne, des street artists menés par le duo Kid Kréol et Boogie habillant les murs de la ville, un arbre à câlins interactif d’Esther Hoareau qui s’illumine et chante lorsqu’on l’enlace, l’envol d’un millier d’oiseaux tissés en palme de coco par Jordan Tress’ali, diverses performances musicales programmées par David Mantault et Arno Bazin sur des « Kombi Sound System ». Le tout en profitant de l’offre variée de restauration proposée par des food trucks entourant de grandes tables où tous se côtoient.
Féérie, convivialité, enthousiasme, émerveillement, plaisir de l’être-ensemble. C’est ce que l’on pouvait rencontrer le week end dernier dans les rues de Saint-Paul.
Il y aura une suite. Une « vraie » première édition plus élaborée l’an prochain à Saint-Paul même. Et puis, vu que Réunion Métis vise à être itinérant, des éditions dans d’autres lieux de La Réunion. Avec l’apport d’un nombre grandissant d’artistes de la région.
Et Porlwi alors ? L’absence de festival en décembre dernier après trois éditions, et « l’exportation » vers La Réunion, signifient-ils la fin à Maurice ? « On a fait une pause. On espère tous qu’elle sera temporaire », répond Astrid Dalais. « Pour la troisième édition, on a beaucoup lutté. A une semaine du festival, nous nous sommes retrouvés avec seulement 15% du financement public sur les 30% prévus ».
Il faudrait sans doute dire aussi que le ministère qui avait vraiment soutenu le projet, celui du Tourisme, avait entretemps perdu sa tête… Xavier Duval ayant quitté le gouvernement, il fallait sans doute jeter le bébé avec l’eau du bain. Ce dont le festival littéraire Confluences a aussi fait les frais après 2014…
Quand, ici et ailleurs, nous aurons compris que la revanche politique ne nous mènera à rien, et que le partage créatif permet d’aller au-delà des frontières, qu’elles soient historiques, culturelles ou topographiques, alors peut-être pourrons-nous construire mieux. Tisser de vrais ponts. Aussi bien ancrés qu’élastiques et mouvants. Vivants.