Lettre à des jeunes (bacheliers)

Vous venez de passer cette semaine, ici, à Maurice, l’édition 2019 du baccalauréat. La version française du HSC. Une étape de vie qui se clôt, une autre qui débute.
Je vous regarde et je me demande s’il faut vous envier.

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S’il faut vous envier d’avoir 18 ans et la vie devant vous, alors que vous vivez dans un monde beaucoup plus dur et difficile que celui où j’ai grandi.

Dans mon monde, je pouvais marcher et jouer dans la rue sans que mes parents craignent sans cesse pour ma sécurité.

Dans mon monde, une pomme m’apportait 400mg de vitamine C par jour, là où elle ne vous en apporte plus aujourd’hui que 4mg.

Dans mon monde, on ne me disait pas que chaque bouteille d’eau que je buvais venait rajouter à la marée de plastique et de déchets qui menace de submerger la planète.
Dans mon monde, je n’entendais pas chaque jour que les glaciers étaient en train de disparaître, que le réchauffement climatique menaçait notre survie à très courte échéance, que notre planète, de par l’action de l’humain, était en train de devenir invivable.
Non, je ne suis pas là pour plomber l’ambiance !

Pas plus pour jouer les vieilles chouettes qui serinent que « c’était mieux avant ».
Juste pour vous dire qu’en fait, en y regardant bien, je vous envie.
Je vous envie parce qu’il va vous revenir de réinventer le monde.

Il y a quelque temps, j’ai découvert un site internet qui vous indique la population mondiale au moment de votre naissance. Quand je suis née, il y avait 3,4 milliards d’humains sur la planète. Aujourd’hui il y en 7.7 milliards. Soit plus de deux fois plus.
Entre le moment où vous êtes nés, il y a environ 18 ans, et aujourd’hui, il y a 1.5 milliard d’humains de plus

Bientôt, la Terre devra abriter et nourrir 10 milliards de personnes.
C’est une évidence : on ne pourra plus continuer à vivre de la même façon.
Et c’est à vous que va revenir la tâche, à la fois gigantesque et passionnante, de créer ce nouveau monde.

Quand je dis à des jeunes qu’internet n’existait pas quand j’avais votre âge, j’aime voir leurs yeux s’agrandir comme poisson totof. Non, je ne suis pas une créature préhistorique ! Mais cela fait tellement partie de nos vies aujourd’hui qu’on ne se rend même plus compte qu’il y a douze ans à peine, les téléphones ne servaient encore qu’à téléphoner.
Internet a amené une spectaculaire accélération de la modernité. Qui nous offre d’immenses atouts, mais qui nous laisse aussi parfois dépourvus. Avant internet, la transmission se faisait de façon verticale. Nous apprenions de nos parents, de nos enseignants. Pour votre génération, la transmission se fait aussi, aujourd’hui, de plus en plus de façon horizontale : entre vous, à travers internet.

A vous de capitaliser sur ces deux dimensions.
Pour arriver à ce baccalauréat que vous fêtez aujourd’hui, vous avez eu ce que les générations précédentes avaient à partager avec vous. Les années à venir vous donneront la possibilité d’approfondir et de parfaire vos connaissances et vos compétences dans un certain nombre de domaines. Sur le plan académique, sur le plan technique, sur le plan pratique. Sur le plan humain.

Vous faites partie d’une élite. C’est un privilège. Cela entraîne aussi des responsabilités.
Et votre principale responsabilité sera de rêver le monde à neuf.
Ne laissez personne vous dire que le monde n’est pas fait pour les rêveurs.
Un jour, un homme s’est assis. Il a levé la tête vers la fenêtre du ciel. Et il s’est dit qu’il ferait une masse d’acier s’arracher du sol, que cette masse d’acier monterait dans le bleu du ciel, et qu’elle ne retomberait pas. Qu’elle irait loin, avant de redescendre doucement sur terre. C’est grâce au rêve de cet homme que nous avons des avions.
Il va vous revenir de rêver le monde où il vous sera encore possible de vivre.
Le monde où il vous sera possible pas seulement de survivre, mais de vous épanouir, dans toute la diversité d’expériences et de choix que cela peut représenter.

Avec ce que vous avez en vous de plus sensible et de plus puissant, avec vos espoirs, vos envies, vos peurs, vos doutes, vos colères, votre curiosité, avec vos outils en main et dans la tête,

Il va vous revenir de rêver le minuscule et le grandiose
De rêver l’individuel et le collectif.
De rêver la solidarité. (Parce qu’il ne nous sera plus possible de vivre dans la bulle d’un matérialisme égoïste. Parce qu’à mesure que la population augmente, la Terre, elle ne s’agrandit pas. L’autre sera de plus en plus proche de vous. Et un préjudice, une injustice causés à l’un finiront par rejaillir sur tous.)
Il va vous revenir de rêver et de créer le moteur qui permettra à vos rêves de décoller, puis d’atterrir, en vous emmenant plus loin.
Il va vous revenir de rêver la beauté.
Le poète Guillaume Apollinaire disait «Il est grand temps de rallumer les étoiles ». .
Notre Kaya local chantait le « Sime lalimier »
Aujourd’hui, les stars, c’est vous.
Je vous souhaite d’arriver à vous donner les moyens de ré-enchanter le monde…

(Texte adapté d’une allocution prononcée le 28 juin 2019 à l’occasion de la remise de diplômes aux bachelières et bacheliers du Lycée des Mascareignes)

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